mardi 12 avril 2011

Souris ! L'espoir au bout du rouleau de printemps

Mourir de faim
J'ai toujours voulu mourir un vendredi, en mai, le douze, dans l'immédiat après-midi d'une chaleur brutale. Recroquevillé comme pas deux, comme une île des Kiribati, Howland ou Tarawa, loin.
De dire les choses sur le long terme d'une indolente insolence n'est possible que par chance d'appartenir à cette société de l'abondance. Il en irait différemment si ma faim tenait à un fil. Pour “ma part”, j'aurais toujours plus ou moins quelque chose à grignoter, ailleurs c'est loin d'être le cas pour nombre de mes contemporains.
C'est chaque fois pareil, je suis repus et là-bas une femme calme la faim de son enfant en confectionnant une galette de glaise. Hier le Biafra, le Darfour, l'Afrique subsaharienne. Aujourd'hui le Mexique, Haïti, le Kazakhstan, les pays arabes au bord de l'émancipation. Comme si la malnutrition rurale d'hier s'installait au cœur des villes, touchait cette fois les ouvriers, les employés de nos cités. Les classes moyennes.
Ils descendent dans les rues, récriminent contre l'augmentation des produits de grandes nécessité comme le lait, les céréales, les œufs, la volaille... Ils brandissent des baguettes de pain, exit ce manifestant dans les rues de Dakar en avril 2008.

                                                          Marche contre la vie chère, Dakar 26 avril 2008 @ afp

Les chercheurs [1] expliquent cela par l'abandon des cultures vivrières au profit d'une agriculture dédiée aux biocarburants, mais aussi par ce qu'ils appellent « l'homogénéisation » des habitudes alimentaires – grosso modo, nous mangeons désormais tous pareils. Ils expliquent cela cependant que les intéressés continuent de crever de faim ; image vectorielle du on-sait mais on-ne-fait-rien (vectorielle par le fait qu'elle s'inscrive à l'appui de maintes courbes et diagrammes associés).


La fronde de la middle class
Longtemps, j'ai pris l'Amérique pour cet eldorado où personne ne travaille mais jouit de la vie comme pas deux : belles bagnoles à pneus crissant, espaces légendaires, ranchs et Côte Ouest.
Là-bas, les grandes manifestations d'octobre dernier sur les retraites, comme nous savons faire en France, seraient i-ni-ma-gi-na-bles ; le mot grève encore plus improbable. Because politiquement incorrect, interdit. Because la puissance des richissimes frères Koch opposés à tout syndicalisme, because le choix des Républicains, du Tea Party.
À la manœuvre, le gouverneur du Wisconsin, apôtre de l'intransigeance des frères Koch, le généralissime Scott Walker. Seulement début mars 2011, le onze, c'est le coup de semonce : ratifiant une loi pratiquement calquée sur les plans d'austérité européens, Walker s'attire les foudres de la populace, et plus particulièrement de la middle class. Dès le lendemain, 70.000 enseignants, jeunes, employés des services sociaux, étudiants, retraités battent le pavé devant le Parlement du Wisconsin, à Madison.
Que dit cette loi qui contraint les 14 sénateurs démocrates (du camp d'Obama) à quitter le Wisconsin afin d'éviter qu'elle ne soit abrogée ?
Un, que des coupes drastiques doivent être opérées dans la couverture santé pour les familles à faible(s) revenu(s) ;
Deux, que les fonctionnaires sont obligés de cotiser davantage (+ 8%) pour leur retraite ;
Trois, que le rôle des syndicats doit se limiter aux seules négociations salariales, autrement dit à rien, (et non plus aux questions liées aux congés, aux pensions...), avec interdiction à ces derniers de prélever automatiquement les cotisations sur la fiche de paie de leurs adhérents.

                                                                                          Walk like an Egyptian / Madison © Google images

Mais la fronde ne s'arrête pas là, elle gagne peu à peu l'Ohio, l'Illinois, l'Iowa, l'Indiana, le Tennessee et fait sortir de sa réserve Obama soi-même. Si une grève générale venait à s'amorcer, prévient-il, l'impact en serait si grave que les militaires ne toucheraient pas l'intégralité de leur solde, les parcs nationaux, les musées, les instituts de recherches fermeraient tout bonnement leurs portes, les centres nationaux de la santé n'accepteraient plus de nouveaux patients et ne lanceraient plus d'essais cliniques.
Gain de cause obtenu ric-rac ce vendredi 9 avril, jour où l'accord sur les dépenses budgétaires a été conclu au Congrès, évitant de peu la paralysie des États-Unis.


L'humanité ne produit des optimistes que lorsqu'elle a cessé de produire des heureux  [2]
Je vis dans un pays, la France, qui me donne à manger, qui m'accorde une couverture santé, un régime de retraite et le droit de me syndiquer ; ce qui n'est pas le cas partout dans le monde.
Et pourtant, tout cela ne saurait me faire oublier ni la cherté des produits alimentaires de prime nécessité ; ni l'amincissement des droits en matière de santé, de retraite ; ni l'ascendance limitative des manifestations, si importantes soient-elles. Parlant à tout va d'homogénéisation, nous réduisons la planète à une vaste contrée tôt ou tard mue par les mêmes effets, les mêmes douleurs (À tel point qu'il est quand même stupéfiant de distinguer les démocrates des républicains, et vice versa ; comme si un républicain ne pouvait être démocrate et un démocrate républicain).
Et voilà soudain que, dans ce concert, je m'entends dire : « Allez, souris ! Tout va bien, tu es d'un pays riche. »
Mais d'où vient ce clairon d'optimisme à marche forcée dont – si nous nous en tenons à ces cercles d'économistes en vogue [3] – il faut désormais faire montre ? Que diantre, sortons du burn-out latent, dixit le dernier Médiateur de la République, Jean-Paul Delevoye ; émergeons de cet épuisement collectif, viles ténèbres tétanisantes ! Affichons notre “antidéclinisme” de circonstance ; comme c'est le cas du cancéreux qui résorbe sa maladie par excès d'optimisme.
Jean-Hervé Lorenzi, président du Cercle des économistes, le chante à tue-tête, le message aux Français est on ne peut plus simple, nous vivons « dans un pays qui a créé 600.000 entreprises l'an dernier, qui a des enfants, des médailles Fields... Un pays où il fait quand même bon vivre... même s'il souffre d'un mécanisme d'exclusion – 8 millions d'exclus sur 65 millions d'habitants – inacceptable, unique dans l'ensemble des pays développés » [4].
Il est vrai qu'à part cela, tout baigne.
« Les réseaux sociaux sont de puissants leviers, en France comme ailleurs dans le monde. De petits groupes d'individus éclairés, instruits, gourmands de culture, d'économie... échangent sur un avenir meilleur », enchaîne sur le même ton l'éditorialiste de Centre France, Philippe Rousseau.
Mais alors, serions-nous de ce siècle qu'il nous faille à ce point ignorer les Lumières d'Illuminati inspirés ? Serions-nous à ce point neuneus qu'il nous faille fermer les yeux sur les fins de mois à rallonge, les misères à répétition ? Serions-nous les enfants gâtés de la farce qu'il nous faille nous entendre dire que c'était pour rire, que le Fabuleux destin d'Amélie nous pouline enfin dans le sens du poil ?
Suggérons seulement à ces hommes de grande culture d'aller cultiver leurs caddies dans les rayons des supermarchés... avec maintes précautions : ne pas craquer plus d'une centaine euros sous conditions de ressources et d'exigences d'une famille de quatre personnes [5]. Au jeu du déniche-nouilles-les-mois-chères, au jeu du premier-prix-pas-encore-assez-bas, on verra bien qui le dernier perdra le sourire. Parce que ce jeu-là c'est du même acabit qu'un leitmotiv qui revient tous les trois quatre jours.


Démagos contre intellos
Je ne sais.
Comme je ne sais s'il faut se taper le ventre du revers de sa pensée.
Comme je ne sais s'il faut se fier à son instinct ou se contenter de regarder passer les nuages sur l'écran de son iPhone.
De toute façon, ça ne coûte rien d'essayer, d'être optimiste. Paraît que ça rend les dents blanches et les enfants joyeux. Paraîtrait même que l'enseignement fera bientôt partie du cursus des amphithéâtres de LMD.
Pour l'instant, j'ai dans la tête cette vieille chanson de Gabin :



Je broadcast myself de ce doux parfum d'incertitude et je me dis qu'on entretient ses rêves comme on entretient l'espoir de les vivre – et la crainte de les affronter. Ces salopards ne sont jamais tant vivaces qu'en ces périodes végétatives. Mais, comme dit l'autre, c'est toute la problématique du désir. Désir d'en bas, du ras des pâquerettes ; désir d'en haut, un cran au-dessus du middle rank.
Jamais content... d'une autre chanson.



[1] On lira L'état de l'insécurité alimentaire dans le monde, 2010 de la FAO, site : http://www.fao.org/docrep/013/i1683f/i1683f00.htm  
[2] Le paradoxe ambulant : 59 essais, Gilbert Keith Chesterton, Actes Sud, coll. Le cabinet de lecture, 2004
[3] Karine Berger et Valérie Rabaud (Les Trente glorieuses sont devant nous aux éditions Rue Fromentin), Bruno Tertrais (L'Apocalypse n'est pas pour demain aux éditions Denoël), Michel Godet (Bonnes nouvelles des conspirateurs du futur aux éditions Odile Jacob), l'inoxydable Alain Minc (Un petit coin de paradis aux éditions Grasset)...
[4] Interview d'Yves Carroué pour Centre France, 9 avril 2011 ; on lira également l'article de Denis Ranque (ancien patron de Thalès) sur tousoptimistes.com : http://tousoptimistes.com/?p=1226  

mardi 5 avril 2011

La 5ème roue du chariot


  
Il est des signaux que l'on m'envoie et que je peine à décrypter et qui, pourtant, me sont si familiers. Paradoxe où l'essentiel des choses rivalise souvent avec le simple fait de désherber, de peindre une grille, de promener son regard depuis un belvédère, de pêcher à la mouche, de dire bonjour à son voisin, de prendre le frais, de croquer une tomate sur pied.
… Ainsi la course du temps dans la lenteur des jours.


Le souffleur
Souffleur – (1549) personne chargée de prévenir les défaillances de mémoire des acteurs.
Un écrivain ne sert à rien, sinon ça se saurait et il y aurait nettement moins de bouquins. Le livre serait un objet d'autant plus précieux qu'on viendrait de très loin, un peu comme à Christie's, un peu comme pour un vase Ming, un collage de Peter Beard. Ne s'en porterait pas acquéreur qui voudrait. Il faudrait s'en donner les moyens. C'est aussi, dans une moindre mesure, ce qui arrive la première fois qu'on lit un texte, on devient en quelque sorte son découvreur. Vainement, tant les étalages des libraires restent sans fin.

                                                                                                   Dali Accident on 125th street, NYC, 1963 /
                                                                                                        Peter Beard © Christie's catalogue

Le travail de l'intellectuel de profusion (telle que nous la connaissons aujourd'hui) est une fiction qui ne nourrit pas son homme. Ce bouillonnement neuronal ne confère nul statut ; retenons ces aigrettes de pissenlit qu'aucun enfant ne disperse, las du jeu. Plus profondément, le travail intellectuel ne sert à rien tant que sa version manuelle ne l'a pas validé – l'écrit se fait ouvrage, la toile peinture, le cliché photographie, l'auteur artisan. Les mains de l'écrivain se crevassent alors de la dureté de sa peine ; il peut gagner son ciel, comme dans les contes de fées.
Mais on le sait bien, ça ne sait rien faire d'autre, un écrivain. Ça se met dans la peau de n'importe qui ou de n'importe quoi, ça noircit de la ramette ; à part ça... Tenez, parlez-en à votre conseiller de Pôle Emploi.
-  Vous recherchez dans quel domaine ?
-  Écrivain.
-  Oui, un peu comme ma belle-sœur, factrice sur ISS Entreprise.
-  Non, sans blague !
-  Moi aussi, sans blague, elle est intérimaire à Inter.
-  Tiens, ça rime.
-  Vous trouvez ?... Pigiste en balnéothérapie fonctionnelle, ça vous dit ?
-  Ah oui, c'est quoi ?
-  La plonge.

Dans ce cas, à quoi me sert d'écrire quelque chose comme :
« L'aube néfaste n'efface ni mes frasques et la faconde qu'un clair soleil emporte haut »
ou
« Monsieur, je ne vous permets pas ! s'enflamma-t-elle plus rayonnante que jamais » ?
Rien.
Juste cette idée qu'au départ je croyais dur comme fer au récit, à ce dialogue. Personnellement (j'adore ces lapides loqui), personnellement, j'écris, je ferme, quand vais-je relire ? Jamais ou presque. C'était juste histoire de coucher sur le papier ce qu'un échange synapsique totalement indépendant de moi s'est permis de me souffler et que je prends pour argent comptant. Mon cerveau a fonctionné, j'en suis extrêmement fier.
-  Très bien, cher monsieur, voici votre accessit !
T'as qu'à y croire...
Et quand bien même vais-je bâtir l'histoire qui tienne la route et que je juge porteuse d'inédit, quand bien même l'alignement de ces quelque cinq cents pages, fruit d'un “travail” suivi avec ses valses hésitations, ses reprises, ses rejets qu'on appelle cure d'amaigrissement, ses allers-retours Terre-lune... rien.
Ma pensée ne vaut pas tripette.


Le stand de tir
Comprendre cela demande des années d'orbite.
L'image qui fédère généralement est celle du mec qui refuse de vieillir, qui n'accepte pas de voir son crâne se dégarnir, les taches sur ses mains. Mon cerveau a beau être la plus belle machine jamais conçue, il est pure ineptie de croire à sa maîtrise, sa portée. Pourquoi nous avons le bon goût de dissocier l'esprit et l'âme de l'enchevêtrement neuronal conceptuel.
Disons que l'esprit c'est ce qui vient quand on lit le texte, l'âme quand on referme le livre sur la dernière phrase. Ici le lecteur a beau jeu, et c'est même tout l'intérêt et l'inassouvissement de la lecture – ce passage de l'émotion au joyau. Rapporté au cinéma, voyons avec quelle rapidité les films se délitent, et ceux que nous mémorisons en poignée vivace. Les livres que nous portons se comptent aussi sur les dix doigts.
Dans le florilège des compositions de tout poil auquel un écrivain peut, libre à lui, s'adonner matin-midi-et-soir comme l'ordonnance d'un trop-plein plus ou moins perturbateur, une tête bien remplie est totalement impotente dès lors qu'elle est étrangère au cénacle ambiant. Sa prose est aussi féconde qu'une éjaculation dans le vide. Ça rappelle les tirs de fêtes foraines à tous coups perdants (l’œuf étant le ballon), à moins de : tomber sur la bonne carabine, viser la bonne case ou venir avec sa propre carabine, ce que refusera systématiquement le tenancier. Passer son bonhomme de chemin et se dire qu'il n'y a pas marqué la Poste part également d'une autre résolution.


Le lanceur de javelot
En marge de ces méandres, je l'ai maintes fois dit, la culture est intensivement productive pour qui s'y adonne. On ne sait jamais qui, du champ de blé ou du vent, nous est le plus profitable. Ni même l'instant où, par bonheur, une vétille scintillera de sa gloire indélébile. Mais dans la masse de ce que nous sommes amenés à lire au cours d'une vie – à écrire pour certains [1] –, force est de constater qu'ainsi sustenté, notre esprit vagabonde au gré d'humeurs qui lui sont propres et dont nous serions bien incapables de dire où se trouve la source. Si ce n'est que nos chères lectures, nos écrits fomentent souvent d'eux-mêmes l'objet de nos réflexions, j'en veux pour preuve ce que je lisais pas plus tard que cette après-midi sous le clair soleil.
Chapitre « Le fascinant fantôme de la liberté », je m'instruis de L'art difficile de ne presque rien faire du nivernais Denis Grozdanovitch [2] (Auparavant, j'ai corrigé l'impression de ce que vous lisez). Et voici sur quoi je tombe, citation de Samuel Buttler :

Comme nous connaissons mal nos pensées !... Oui nous connaissons nos actions réflexes – mais nos réflexions réflexes ! L'homme, parbleu, s'enorgueillit d'être conscient ! Nous nous vantons d'être différents des vents, et des pierres qui tombent, et des plantent qui croissent sans savoir comment, et des bêtes errantes qui vont et viennent, suivant leur proie sans l'aide, il nous plaît à dire, de la raison. Nous autres nous savons si bien ce que nous faisons et pourquoi nous le faisons ? J'imagine qu'il y a quelque chose de vrai dans l'opinion qui commence à se répandre aujourd'hui, selon laquelle ce sont nos pensées les moins conscientes et nos moins conscientes actions qui contribuent surtout à façonner notre vie et la vie de ceux qui sortent de nous. [3]

La lumière est belle et bien là, au bout de cette dictée à voix multiples – exercice quasi involontaire, comme tombé tout cuit dans le bec, sceau d'une sorte d'écriture automatique. Et, croyez-moi, ça vaut son pesant ! On peut même rapprocher cela de l'effet tunnel bien connu en physique quantique : de par sa double nature, l'objet corpusculaire qui vient à buter sur un obstacle donne le relais à son alter égo ondulatoire qui, lui, le traverse comme s'il n'existait pas.
Cette lumière ne s'apprend pas, elle passe et nous illusionne d'effets d'optiques remarquables. On se laisse bellement éblouir, et c'est tant mieux ; tout bénéfice !

Tu as tout à apprendre, tout ce qui ne s'apprend pas : la solitude, l'indifférence, la patience, le silence.
Georges Perec, Un homme qui dort [4]

Mais aussi quel lanceur de javelot pour venir toucher l'oiseau sur un fil ?
L'écrivain est aussi futile qu'un athlète s'entraînant à cela ; sinon pour la beauté du geste, la fulgurance de s'en croire capable.
Et dire que nos gosses planchent à longueur de journée sur des scolies qu'ils décryptent au possible mais ne leur sont en aucun cas familières ! Lecture et écriture valent quand même autre chose que de vagues notes, ou l'étroitesse des cercles. Leur a-t-on jamais dit la fermentation, l’œuvre au noir (sur blanc) auxquels le librettiste, le romancier, le poète s'adonnent aux feux rouges, dans l'endormissement d'un siège de coiffeur ou sur l'appareil de n'importe quel bout de papier ? Parce que ça sort, et qu'à tout bout de champ ça peut tailler la route ou s'embraser.
Les paragraphes, le complément circonstanciel et le présent du subjonctif ne sont rien sans la faveur de dame nature qu'on dira petite voix ou don. Quel auteur n'a pas rallumé la lampe parce que son oreiller se complaisait au supplice d'une brève d'urgence ?
Alors non et bien au contraire, la sainteté ne sacrifie rien au sacrifice, l'écriture non plus. Elle vibrionne de toutes ses vibrisses, plus réceptive que l'émotion elle-même. Elle est.
Je me rappelle cet Apostrophes [5] où Soljesnitsyne – Nobel 70 – expliquait qu'au fond de sa prison, et bien qu'on le privât de tout papier, il composait mentalement à partir de ce qu'il avait mémorisé au long des jours. Sa liberté recouvrée, il n'eut plus qu'à réciter son livre, le publier : L'archipel du goulag.


Le témoin
Décidément, ce collage de Peter Beard est très parlant [6]. Il transcrit magnifiquement nos Fluctuat nec mergitur. Mais un jour – Brassens ou non – tout cela aura disparu. Nous-mêmes nous ne serons plus ; que nous ne nous étions pourtant pas débattus ! Les uns jouant aux chefs, les autres à la cinquième roue du chariot, il restera de nous ce qu'il reste de notre généalogie.
Passé ce recul, on en comprend mieux l'objet : ici le pouvoir ou l'écriture comme limite de son propre assouvissement. Tout à fait comparable à la sexualité en tant qu'intarissable jouissance pour ultime preuve d'enfantement.
… Qui lit encore les sueurs d'Agricol Perdiguier, les colères de dom Armand-Jean Le Bouthillier de Rancé, les coquineries de Nicolas Restif de la Bretonne, le prix Fémina de Marguerite Audoux, le lyrisme d'Anna de Noailles, les célébrités de Saint-John Perse ?
Qui lit encore ?
T'as qu'à y croire...
 
 
Je le disais in petto, on peut très bien prendre un battement d'ailes dans le cerisier, La montagne de Ferrat, Les Copains d'abord, une pincée de vieux vers, une Première Gorgée de bière, le transat d'une sieste méridienne pour bondieuseries d'éternité et s'en retourner guilleret à la fortune du pot. Personne ne nous en voudra (surtout pas soi-même), l'ouverture d'esprit nous en saura gré et nous serons quittes.
Quitte à reprendre, quitte à sonner du marteau sur l'enclume, quitte à battre le fer dans l'isoloir de sa forge et prendre le recul qui sied à l'artiste. C'est du vent tout cela, bizarreries de tournoiements dans lesquels se perdent des cris de corbeaux, des brises d'algues, des aspérités d'écorce, le florès des moissons, le transport des récréations. C'est du vent, mais quel charivari, quelle invite !





[1] Ne dit-on pas qu'un Français sur deux s'adonne à l'écriture... ?
[2] Denoël 2009
[3] Ainsi va toute chair, Samuel Buttler, Folio 2004 (c'est moi qui souligne)
[4] Folio 1990
[5] du 11 avril 1975
[6] d'où sa mise à prix de 25.000 €