lundi 27 septembre 2010

SERPENT DE MER et autres monnaies



Le Plan A :
Conservateur (Rossi) ; Ambitieux (Stiglitz)
Alors, si c'est Stiglitz qui le dit, comment mettre en doute sa grande question : Pourquoi le monde doit-il abandonner le dollar ? Il est vrai qu'en ce début de XXIème siècle, il paraît de plus en plus aberrant de confier à une superpuissance pour le moins chahutée l'hégémonie d'une économie de crise ? Ainsi sur les 4.000.000.000.000 de dollars échangés chaque jour sur le marché des changes, le billet vert est actuellement impliqué dans 84,9% des transactions (contre 86,8% en 1998).
Ce que préconise Joseph Stiglitz n'est rien moins qu'une monnaie mondiale susurrée ici et là aux différents sommets. Pour preuve celui du G20 de Londres en avril 2009 ainsi que le soulignait la Tribune de Genève du 2 avril sous la plume d'Emmanuel Barraud. La Chine – aujourd'hui les 4 BRIC (Brésil, Russie, Inde et... Chine) et les principaux grands pays émergents dont l'Arabie Saoudite, l'Afrique du Sud, la Turquie, l'Indonésie, l'Ukraine...) – propose(nt) qu'un étalon monétaire international soit mis en place pour rééquilibrer le commerce mondial et surtout pour limiter les crises économico-financières. Exception faite que l'or ne pourra jamais plus redevenir la référence puisque seulement 2.500 tonnes d'or sont extraites chaque année ; loin, fort loin des volumes qui s'échangent.
Sans remonter au surintendant des finances de Louis XIV, Nicolas Fouquet, qui, pour sortir la France d'une grave crise, impose dès juillet 1653 une réévaluation de la pistole d'or de 12 à 20 livres, on peut néanmoins affirmer que l'idée de Stiglitz n'est pas nouvelle. L'économiste John Maynard Keynes l'avait déjà exposée en 1944 lors de la Conférence de Bretton Woods en avançant le Bancor pour monnaie internationale. Plus près de nous, dans un document daté du 13 avril 2010 (soit deux mois et demi avant le G20 de Toronto) et intitulé « Accumulation des Réserves et Stabilité Monétaire Internationale » [1], le département de la politique et révision du FMI recommande d'adopter une monnaie mondiale nommée “Bancor”, et qu'une banque centrale mondiale soit créée pour administrer cette devise.
De même que le Nobel d'économie Stiglitz eut l'intelligence de chercher un modèle qui définisse le PIB autrement qu'en termes des seules richesses d'un pays mais plus encore par le bien-être à y vivre [2] ; de même sa monnaie de réserve internationale apporterait-elle solution à la crise. On retiendra sa dernière interviewe pour le magazine « l'Expansion » en date du 22 septembre 2010 [3]. Certes, les riches en sortiraient vraisemblablement plus riches, mais du moins balayerions-nous les risques de rechute. C'est en somme la faiblesse de ce plan A, mais pour autant cela demeure une porte de sortie en faveur de la relance.
Le professeur de macroéconomie et de politique monétaire à l'université de Fribourg, Sergio Rossi, dans son article à « la Tribune de Genève » ne cache pas non plus ses craintes quant au maintien de l'étalon-dollar :
« La Chine a compris que le régime de l'étalon-dollar, mis en place après l'abandon de l'or comme référence internationale, perturbe fondamentalement l'équilibre des transactions économiques entre les pays et contribue à l'instabilité financière dans le monde entier. »
Ce qui rejoint parfaitement les vues de Stiglitz quand il dit, en ce mois de septembre 2010, que « quand l'économie va mal, on crée plus de monnaie, ce qui permet à plus de pays de dépenser un peu plus ». D'où l'idée d'une version ambitieuse et autonome du FMI pour régler les objectifs d'intérêt public, comme la lutte contre le réchauffement climatique, voire en aidant les pays les moins développés à financer par ce biais leurs réductions d'émission de CO2.
Le modèle retenu par Sergio Rossi se prévaudrait quant à lui d'une version plus conservatrice que l'on a déjà pratiquée, à savoir l'émission de nouveaux “ droits de tirage spéciaux ”, les DTS du FMI. En fait, Rossi va plus avant en répondant à une autre question d'actualité : pourquoi la Chine, les BRIC appellent-ils de leurs vœux à cesser d'utiliser le dollar dans les paiements internationaux ? Réponse de l'intéressé : Quand les États-Unis paient en dollars, en fait ils ne renvoient que l' “ image ” des dollars déposés dans leurs banques. C'est ainsi qu'ils ne font aucune concession quand ils règlent leurs importations. L'écart inflationniste que supportent les pays exportateurs, qui eux font de réels sacrifices en alignant leur propre monnaie sur le dollar, alimente une masse de pétrodollars ou d' “eurodollars” dont se servent les États-Unis pour lancer des crédits très bon marché (souvenons-nous des fameux “subprimes” qui ont anéanti l'économie mondiale). Le mécanisme est donc en place pour générer de nouvelles et interminables crises. On comprend mieux, dès lors, l'ostracisme des États-Unis dans leur entêtement, leur blocage et leur pression auprès du FMI et de la Banque Mondiale.
Les “ droits de tirage spéciaux ” attribués par ce “FMI réformé” aux pays membres en difficulté avec leur balance des paiements, permettraient ainsi de les aider. Utiliser uniquement par les banques centrales nationales pour le règlement des échanges internationaux – le public n'en verrait pas la couleur –, cette monnaie supranationale servirait à tous les transferts de capitaux d'un pays à l'autre. Ce seraient ensuite aux banques centrales respectives d'assurer la conversion des monnaies de manière à ce que chaque pays exportateur reçoive de vrais actifs financiers. Mais à l'inverse de ce qu'on a fait avec l'euro, il convient donc que chaque pays conserve sa propre monnaie.



Un tel plan A, quelle que soit sa version, n'est pas sans alimenter la théorie du complot dans l'implacable mise en place d'un nouvel ordre monétaire mondial ; celui-là même que prêchera le président Nicolas Sarkozy au prochain G20 de Séoul, les 11 et 12 novembre prochains. S'il est d'admettre l'empirisme de Bruxelles dans les directives européennes – comme on le voit actuellement avec les Règles pénitentiaires européennes, voire avec l'uniformisation des systèmes de retraites [4] –, on l'imagine encore plus volontiers d'une gouvernance de niveau mondial. Mais de là à y voir le montage d'un complot à la Da Vinci Code, il est des romances d'écrivain dont nous nous abstiendrons ici ; à tout le moins d'en prendre acte.


Le Plan B de Maurice Allais
Partant du principe que nous sommes tous des économistes en puissance ou en devenir, l'avantage avec le plan A revient à s'abstenir de tout didactisme. Seuls importent les deux grands courants : celui d'un étalon monétaire international et celui des DTS. En revanche, pour comprendre et mesurer la pensée de Maurice Allais [5], unique prix Nobel d'économie français, il convient de fourbir d'autres armes que l'imprécation finalement en vigueur et s'en tenir à une démonstration de fond pour mieux appréhender la forme. C'est en somme à un cours d'économie pour nuls que nous convie d'abord le presque centenaire.
La monnaie :
Produisant 1 kg de navets, je lui attribue une valeur de 1, soit 1 euro en Europe. Je peux donc vendre mon kilo de navets aux alentours de 1 euro. C'est donc le prix moyen des biens et des services qui définit l'échelle des valeurs économiques. En admettant que je fasse un chiffre d'affaires de 50 euros sur l'ensemble de ma récolte, après déduction des frais de fonctionnement de 40 euros, je réaliserai un bénéfice de 10 euros.


À supposer maintenant qu'un faux monnayeur fabrique un faux billet de 50 euros, il pourra s'acheter 50 kg de navets. Arrive ce qui doit arriver : il est pris et mis en prison. Il existe pourtant une catégorie de faux monnayeurs qui échappent à toute geôle : les banques et les États. On dit non pas qu'ils font de la fausse monnaie mais qu'ils créent de la monnaie. Système vieux comme le monde qui incite, dans les limites du raisonnable, les producteurs à produire et les acheteurs à acheter. Les banques et les États créent ainsi des valeurs économiques et de la croissance. Quant aux limites du raisonnable, elles se situent essentiellement dans la capacité d'absorption de la monnaie créée par l'économie ; au-delà, elles génèrent des crises.
La monnaie de banque :
Les banques n'impriment pas de billets mais elles prêtent de l'argent et approvisionnent les comptes de leurs clients. Dans un premier temps, le profit réalisé avec la vente de mes navets m'a rapporté 500 euros que je confie à une banque de dépôt.
Si 100 producteurs déposent la même somme que moi, la banque se retrouve détentrice de 50.000 euros, lesquels servent de garantie pour consentir des prêts (à la consommation ou à l'investissement) – C'est le fameux « 100% monnaie » qui impose aux banques des réserves de 100% des dépôts monétaires ; sans cela, si tous les prêts bancaires étaient remboursés, il n'y aurait plus ni le moindre euro en banque, ni la moindre pièce ou billet en circulation. Mais par cette activité de prêt, la banque prend des risques qu'elle minimise en s'assurant de la solvabilité des emprunteurs. C'est ce mécanisme qui créer de la monnaie de banque.
Parallèlement à cela, en se regroupant au plan international, les banques spéculent en faisant supporter les risques par d'autres selon deux principes de base.
Le premier consiste à prêter de l'argent à des individus, des entreprises ou des gouvernements aujourd'hui incapables de rembourser mais pour lesquels elles se basent sur des conditions de marché « porteuses ». Pariant sur le fait qu'un jour le cours du navet ne cessera d'augmenter, la banque me prête de quoi acheter de nouvelles parcelles... ce que ne manquent pas de faire d'autres banques pour d'autres producteurs. De sorte qu'il arrive un moment où le cours du navet cesse de grimper pour s'effondrer. Les banques ont ainsi créé une bulle sur le navet dont l'implosion entraîne la chute des producteurs de navets trop engagés, voire celle des banques ayant pris des risques au-delà des capacités de remboursement de leurs clients.
Le second principe consiste cette fois à spéculer sur les cours des marchandises. Le navet faisant l'objet d'une forte demande mondiale, les banques peuvent par exemple espérer vendre le kilo de navet 1,50 euro dans le mois qui suit l'achat. Elles font alors automatiquement monter le cours du navet et incitent de nouveaux producteurs à se spécialiser dans le navet. X raisons faisant que le cours du navets finit par s'effondrer, les banques d'affaires et plus encore leurs déposants se retrouvent en difficulté. C'est une crise économique générale.
Mais pourquoi, diantre !, les banques de dépôt, de prêt ou d'affaires – dont on ne sait plus trop qui est qui – continuent-elles à spéculer dès lors que des risques d'implosion existent ? Tout simplement parce qu'avec l'aide des États, elles font de plus en plus supporter à l'économie (consommateurs, producteurs, épargnants) l'objet de leurs spéculations avortées. Il n'est pour cela de comprendre avec quelle virtuosité le pouvoir financier (banques et actionnaires) sont parvenues à convaincre l'opinion publique que la faillite des grandes banques généreraient de très graves crises. Les États n'hésitant plus dès lors à renflouer les dettes des banques menacées... qui, remises à flot, peuvent de nouveau spéculer. [*]
L'économie réelle (produire et vendre des biens et des services) comme l'économie virtuelle (spéculations pouvant conduire à des crashs ou des bulles) sont intimement liées à la monnaie de banque. Les superpuissances concluent avec le pouvoir financier des banques (pensons à Wall Street ou la City de Londres) des accords explicites et implicites visant à dominer le monde. Par ce jeu, ou ce mariage de raison comme l'on voudra, les banques bénéficient désormais de la puissance économique et politique qui incombaient jusque-là aux États, seuls capables d'émettre de la monnaie régalienne.
La monnaie régalienne :
Le privilège de « battre monnaie » permettait aux États de financer leurs dépenses militaires et civiles, elles-mêmes compensées par des ressources régaliennes tels que les impôts et les taxes. Lorsque les émissions de billets dépassent les capacités de l'économie à les utiliser aux profits d'investissements productifs, elles génèrent de l'inflation [6] : il y a plus d'acheteurs que des biens disponibles, les prix grimpent ; un tel système inflationniste a par exemple engendré la montée du nazisme. L'utilisation abusive de la planche à billets conduit les États à se tourner vers les banques pour emprunter et couvrir leurs déficits budgétaires. Ceci étant, ils ont laissé le loup pénétrer dans la bergerie et les marchés sollicités ont peu à peu édicté leurs modèles de société, des choix géopolitiques dont on mesure, hélas, tous les jours l'ampleur.
Monnaie de banque et monnaie régalienne :
Les banques financent les dépenses et les investissements de court terme des particuliers dont moi, producteur de navets – sens propre et figuré, of course ! De leur côté, les États, par les impôts que je lui verse, finance les dépenses sociales, d'éducation et d'infrastructures. Un équilibre précaire entre privé et public mis à mal avec la mondialisation : le pouvoir financier tenant à s'immiscer partout dans la gouvernance (main basse sur l'énergie, les mines, l'agriculture, l'industrie). Et qui dit banques dit spéculation, et dit aussi parfois déficits (si abyssaux soient-ils)... que les États et les contribuables prennent à leur charge.
Du coup, en tant que producteur de navets, j'aurai plutôt tendance à me laisser tenter par des fonds spéculatifs promettant 15% en deux ans !, que par les 0,5% d'intérêts qu'une épargne classique m'octroierait. Je renonce donc aussitôt à investir dans l'économie réelle, propre à ma profession, pour vendre mes terres et me tourner vers les placements risqués... laissant aux navets chinois de pitoyablement remplacer ceux qui me permettaient de vivre avant que je ne devienne chômeur sans droits.
Aujourd'hui, la crise menace ceux qui, comme moi, ont renoncé à se doter d'activités productrices autonomes (agriculture, industrie, services, techno-sciences). Ce que certains gouvernants commencent à comprendre, voulant réinvestir dans du “concret”. Mais avec quels capitaux, sinon en créant de la monnaie.
« Les intérêts financiers ont prévu le coup, nous dit Maurice Allais. Aujourd'hui, notamment en Europe, les États sont juridiquement contraints de ne pas dépasser un certain niveau de déficit budgétaire et d'excédent de la dépense nationale sur le revenu national. Par ailleurs, la Banque centrale européenne qui pourrait couvrir les endettements des États en rachetant les titres de leur dette se voit interdire de le faire. Tout est donc prévu pour que le système économique et social actuel puisse s'effondrer, sans que les États dont la mission prioritaire est de le protéger soient autorisés à le faire. »
Pour s'en sortir, on a récemment vu la Grèce faire appel aux États, qui eux-mêmes ont fait appel aux marchés. Jusqu'à quand ?

On l'aura compris, Maurice Allais pointe du doigt le système financier mondial dont la finance américaine et anglo-saxonne dans sa globalité représente l'axe dominant d'un mécanisme visant à faire sauter les barrières protectrices que pouvaient se donner les États et les économies plus faibles. C'est par un retour à des économies régulées par les puissances publiques et mettant en œuvre un protectionnisme raisonné que les pays ainsi dominés pourront s'en sortir.
Quésaco ?
Insistons sur deux grandes idées allaisiennes, sur deux mesures immédiates et simultanées qui permettraient à l'Europe et aux États membres de reconquérir le pouvoir monétaire confisqué par les banques :
1 – Autoriser la Banque centrale européenne à créer de la monnaie par simple jeu d'écriture au profit du Trésor Public ;
2 – Interdiction aux banques de créer de la monnaie de banque ; elle deviendraient alors de simples intermédiaires entre la Banque centrale européenne et les agents économiques (particuliers, entreprises...), ne réalisant au passage que des profits nécessaires.
Et Maurice Allais de préciser :
« Il ne s'agirait en aucune façon d'isoler totalement une Communauté régionale de la concurrence extérieure par un protectionnisme illimité. Il s'agit seulement de mettre fin aux effets désastreux d'un libre-échangisme mondialiste sans limite [7] et d'une libération inconditionnelle des mouvements de capitaux qui en l'absence d'institutions appropriées ne cessent de développer leurs effets pervers. » Sachant, par ailleurs, que les « marchés ne sont manipulés que par de petits groupes de Golden Boys qui au sein des grandes banques ont pour mission de réaliser des profits en spéculant contre les monnaies avec des moyens de paiements créés ex-nihilo », de toutes pièces. Un libre-échangisme où « il est évident qu'avec le point de vue doctrinaire du G20, toute l'industrie française finira par partir à l'extérieur » ; soulignant combien « il est scandaleux que des entreprises ferment des sites rentables en France et licencient, tandis qu'elles en ouvrent dans les zones à moindres coûts. » [8]
Nous pourrions également insister sur un autre fondement de la crise actuelle : l'organisation du commerce mondial. Comment seulement concevoir d'avoir supprimé les protections douanières avec la Chine, colosse écrasant tout sur son passage ? La libéralisation du commerce génère en nos pays un chômage que personne ne peut plus enrayer, aggravant d'autant la situation sociale... et que Maurice Allais qualifie de « sottise majeure ». Pour lui, le directeur général de l'OMC, Pascal Lamy, qui « ne comprend rien, rien, hélas ! » est « un des facteurs majeurs de chômage » qu' « il faut de toute urgence délocaliser ! ».
Exclu des plateaux de télévision et bien avant que la crise n'éclate – son livre date de 1999 –, Maurice Allais mettait déjà en garde contre le rôle des banques et de leurs traders. Mais qui pour l'écouter ou lui donner la voix alors que les médias sont tous, comme il le dit, à la botte d' « une finance de “casino” » ? Qui ?

Serpent de mer
Voilà. Et quand bien même Maurice Allais serait-il le « nuisible exceptionnel » que prétend François Guillaumat dans liberpedia.org, on ne peut s'empêcher de relier entre eux le plan A du lumineux Stiglitz et le plan B de l'ombrageux Allais, serait-ce au moins par le mot Monnaie ; internationale pour l'un, régionale pour l'autre. Monnaie, comme un droit ancestral, comme un dû de proche imminence. Monnaie, mais les obstacles ne manquent pas : superpuissances d'un côté, pouvoir financier de l'autre – Oups, rien que cela !
Est-ce donc lui le serpent de mer que l'homme des cavernes s'amuse à graver, tantôt Ouroboros grec se mordant la queue, tantôt Quetzalcóatl à plumes ? Est-ce donc cela que nous redoutons tant de voir ressurgir pour que nous en préférions aujourd'hui encore les souffrances virtuelles ?
Je ne sais qui croire des légendes, « des vérités établies, des tabous indiscutés, des préjugés admis sans discussion » [9] ? Je ne sais que voir l'intransigeance des crises qui s'empilent, et je cherche. Je cherche et j'entrevois des portes, d'autres portes encore : David Ricardo (1772-1823), Irving Fisher (1867-1947), Ludwig Von Mises (1881-1973), Milton Friedman (1912-2006), James Tobin (1918-2002). Tous cherchant eux-mêmes à dissocier la monnaie du crédit. Et je vois aussi combien profitable serait pour les États et les peuples de bénéficier des bienfaits des émissions monétaires (internationales, DTS ou régionales) telles qu'ils les conçoivent les uns et les autres.
Madoff en tête, comme beaucoup en ont fait les frais, « L'économie mondiale toute entière repose aujourd'hui sur de gigantesques pyramides de dettes […], jamais par le passé une pareille accumulation de promesse de payer ne s'était constatée. […] Jamais, sans doute, une telle instabilité potentielle n'était apparue avec une telle menace d'un effondrement général. »
Pas une ride, le père Allais ! Rien qui ne nous laisse douter de l'issue prochaine d'une économie de tourmente qui n'a de cesse, de crise en crise, de se mordre la queue et d'implorer les dieux que nous sommes, vous et moi.
[*] Sous la plume de Laurent Cordonnier, économiste préconisant une « reflation » des salaires, je lis « le Monde Diplomatique » de ce mois de septembre 2010 : même et terrible constat.
« Ainsi la crise financière aboutit-elle, deux ans après la faillite de la banque Lehman Brothers, à la rigueur pour les populations de l'Ancien Continent, fermement “invitées” au sacrifice pour expier des fautes qu'elles n'ont pas commises. »
Terrible constat, en effet, de nous voir repartis de plus belle dans ces travers spéculatifs qui ne sont ni de notre ressort, ni de notre responsabilité puisque, à cette échelle, n'ayant rien à voir avec les quelconques paris des boursicoteurs :
« Lorsqu'ils [les marchés] seront déniaisés concernant les objectifs de réduction des déficits publics affichés à l'horizon 2013 – lesquels apparaîtront tôt ou tard comme mensongers, avec l'aide sans doute des agences de notation –, un deuxième krach obligataire ne sera plus impensable. »
[1] Source FMI (document de 35 pages) http://www.imf.org/external/np/pp/eng/2010/041310.pdf
[3] Source L'Expasion http://www.lexpansion.com/economie/actualite-economique/stiglitz-pourquoi-le-monde-doit-abandonner-le-dollar_239316.html Joseph Stiglitz enseigne à la Graduate School of Business de l'université Colombia et fut nommé par Jean-Paul II à l'Académie pontificale des sciences sociales
[4] Livre vert de la Commission européenne : Vers des systèmes de retraite adéquats, viables et sûrs en Europe, Bruxelles, juillet 2010
[5] Deux livres intéressants : Économie pure et rendement social, Maurice Allais, Dalloz, 2006 ; La crise mondiale aujourd'hui : Pour de profondes réformes des institutions financières et monétaires, Maurice Allais, éditions Clément Juglar, 1999 = preuve s'il en est de son bon flair quant à l'effondrement financier de l'été 2008
[*] se reporter à l'astérisque de conclusion
[6] Et non pas de la "fellation", exit Rachida Dati ce dimanche 26/9 sur Canal+
[7] En 2010, à 99 ans, Maurice Allais se livre à une critique féroce du libre-échangisme dans la revue de l'École nationale supérieure des Mines de Paris dont il est professeur honoraire, Réalités Industrielles, éditions Eska, mai 2010
[8] Marianne n° 659, décembre 2009
[9] Ibid Maurice Allais, Réalités Industrielles

dimanche 19 septembre 2010

La CIA de Pont-Saint-Esprit



J'allais écrire n'en avoir jamais entendu parler, quand il me revint ces soirs d'été où nous prenions le frais sur le pas de porte en compagnie des voisins. Mon père, pur méridional, avait une maison dans le midi, c'est là que nous allions en vacances, on nous connaissait comme les « parisiens ». Moi j'étais très jeune, huit ou neuf ans.
Les anciens se sont mis à chuchoter cette histoire de boulanger qui avait empoisonné tout un village à deux pas d'ici. Sans doute était-ce parti des relents gracieux de fougasse que le nôtre, à une rue de là, était en train de faire cuire ? Leur histoire, à eux, datait de 1951 ! Et pour qu'ils la chuchotent fallait-il que l'affaire soit d'importance. Avant de partir jouer sous les réverbères, j'attrapai un nom : Pont-Saint-Esprit. Voilà tout. Brève scène de vie rapportée en un bloc léger alors qu'il dût en être autrement ; lointain(s) souvenir(s) d'enfance.
N'empêche, quand j'entends cet Américain parler de Pont-Saint-Esprit avec l'accent que l'on devine, c'est cela qui me revient. Cela et la route sinueuse qui menait à Vallon-Pont-d'Arc, les Gorges de l'Ardèche.


A Terrible Mistake
Le journaliste s'appelle Hank P. Albarelli Jr et son bouquin paru en octobre 2009 : « A Terrible Mistake » :
http://www.youtube.com/watch?v=LUY-WHQ_BDY
La quatrième de couverture nous apprend que le livre retrace en 864 pages « une enquête sur les expériences de drogues conduites par la CIA durant la Guerre froide, et plus particulièrement sur la mort du docteur Frank Olson, un chimiste affecté à Fort Detrick, chargé d'étudier les applications militaires des drogues. En 1975, face aux enquêteurs de la Commission [Nelson] Rockefeller, l'US Army avait admis avoir fait absorber au chercheur du LSD à son insu, ce qui aurait provoqué une crise de délire pendant laquelle il se serait défenestré. Le Pentagone avait offert 750.000 dollars d'indemnisation à sa famille. Mais, en 1994, une expertise médico-légale pratiquée après exhumation du corps avait invalidé la version officielle et conclu à un probable homicide. De nouveaux documents attestent que le docteur Olson dirigea diverses expériences de guerre chimique, notamment... à Pont-Saint-Esprit. »
CIA, Pont-Saint-Esprit, il n'y va pas avec le dos de la cuillère, le Ricain !
Et si les anciens chuchotaient, c'est parce qu'à l'époque, bien que les faits fussent connus et relativement simples, l'énigme était encore loin d'être élucidée – le sera-t-elle un jour ? En 1951, la population de Pont-Saint-Esprit compte environ 4.950 habitants. À partir du 17 août, une intoxication alimentaire cause la mort de sept personnes dont deux suicides. Trente autres sont internées en psychiatrie et près de trois cents souffrent de nausées, de douleurs gastriques, de brûlures d'estomac, de vomissements, de maux de tête et d'accès de folie (« convulsions démoniaques », hallucinations et tentatives de suicide) [1]. Un responsable : le pain de la boulangerie Briand. L'affaire fait grand bruit comme en témoigne France Soir :




« Les versions les plus abracadabrantes circulent. On accuse le boulanger (ancien candidat RPF, protégé d'un conseiller général de De Gaulle), son mitron, puis l'eau des fontaines, puis les modernes machines à battre, les puissances étrangères, la guerre bactériologique, le diable, la SNCF, le pape, Staline, l'Église, les nationalisations. »
On accuse, mais aucune des pistes suivies – ergot du seigle, fongicide, mycotoxines, composé chimique pathogène – n'aboutit à la vérité. Les historiens de l'époque, dont le professeur d'histoire européenne, Steven L. Kaplan, auteur d'une thèse de plus de mille pages [2], se sentent frustrés. De leur côté, le docteur Gabbaï et le professeur Giraud, respectivement médecin en exercice à Pont-Saint-Esprit et enseignant à la faculté de Montpellier, démontrent le parallèle entre les recherches menées en Suisse dans le laboratoire Sandoz par Albert Hofmann sur la découverte du LSD 25, synthèse de l'ergot de seigle, et ce qui s'est passé dans la paisible bourgade gardoise.
Voilà pour les faits. Reste qu'Albarelli, au terme d'une minutieuse enquête recoupant divers témoignages, parfois inédits, est convaincu d'un autre parallèle qu'il décrit dans son livre en 2009 : celui du pseudo-suicide d'un biochimiste de l'armée américaine, Frank Olson, et le LSD ; à fortiori ce qui est arrivé à Pont-Saint-Esprit.
Olson travaillait au sein du Special Operations Department, à Fort Detrik. Et conjointement avec la CIA, le SOD monte l'opération gardoise... qui vire au désastre.
« A l'époque, on a évoqué l'hypothèse d'une expérimentation destinée à contrôler une révolte de la population », se rappelle un spiripontain de 71 ans, Charles Granjhon qui avait bien « failli caner » (et tenté, sous l'empire de la folie, d'étrangler sa mère). Il avait onze ans.
L'expérience en question visait rien moins qu'à pulvériser du diéthylamide (le D de LSD) dans le secteur de Pont-Saint-Esprit [3]. Avec le résultat que l'on connaît ; l'un disant avoir « des serpents dans [s]on estomac ! », l'une se croyant attaquée par des tigres, l'autre sautant de sa fenêtre d'hôpital parce qu'il se prend pour un avion.

Cinquante-neuf ans plus tard
Mais alors le pain ?
La farine provenant du meunier viennois Maillet, un temps soupçonné, ne peut l'avoir contaminé – Vienne n'étant pas Pont-Saint-Esprit4. L'eau vraisemblablement, du moins ce qu'en conclut Albarelli.
L'épandage aérien de LSD d'une part, le pain d'autre part, la population cobaye n'avait réellement aucune chance. Mais pourquoi Pont-Saint-Esprit, pourquoi le territoire français ? Les services français étaient-ils de mèche comme le suppose Albarelli ? Aujourd'hui, on ne peut qu'avancer quelques théories : la mise au point d'une arme chimique en vue de la Guerre froide, la proximité des laboratoires Sandoz en Suisse. D'autres encore, s'il faut en croire ce qu'avance Claude Moniquet, président du Centre européen pour l'intelligence stratégique et la sécurité (ESISC) basé à Bruxelles, pour qui :
« Les zones d'influence des thèses négationnistes sont plus ou moins les mêmes [que celles de l'antiaméricanisme] : le monde musulman en général, la Russie, d'anciens pays communistes, l'Amérique latine et quelques pays isolés comme la France et l'Allemagne [5]. »
En tout cas, à l'instar de Charles Granjhon qui « aimerai[t] savoir pourquoi » il a « failli caner », personne à l'heure actuelle n'est pratiquement sûr à 100% de l'une ou l'autre des versions. Il n'empêche qu'on ne désigne pas la CIA, comme le fait Albarelli tout au long de son pavé, sans savoir, ni sans risques. Peut-on dire à sa décharge que, malgré le remue-ménage causé par cette douloureuse affaire, personne non plus n'est venu infirmer ses thèses. A l'appui desquelles nombre témoignages et documents exhumés souvent classés top-secrets.

En guise de conclusion, je reprendrais volontiers ce que disait Marie Blume dans le New York Times du 23 juillet 2008 :
« L'infortuné boulanger Briand donnait à ses clients ce qu'ils voulaient. De nos jours, c'est beaucoup plus facile : chaque supermarché vend du pain pré-tranché à mie blanche ; ersatz de pain que détestait tant Kaplan [6] »
Par-delà les faits de 1951, on le voit donc, ce qui relève du pain en France relève également de l'image patrimoniale, quasiment du caractère sacré – le pain de la disette, le pain du condamné, le pain de la besace, le pain signé. Toucher le pain, c'est comme attenter à la vie, au propre et au figuré. Et quand bien même la farine d'hier était-elle de moins bonne qualité – sans aller jusqu'à parler d'empoisonnement –, le pain des fournils d'autrefois paraît toujours plus louable que l'industriel qu'on nous propose aujourd'hui.


Aparté sur un fait d'actualité spiripontaine
Décidément, il s'en passe à Pont-Saint-Esprit :
L'auteur d'un virulent blog intitulé Journal de Gilbert B est mis en examen, courant juillet, pour avoir diffamé et réglé ses comptes avec le maire de Pont-Saint-Esprit, Gilbert Baumet. Entre 2008 et 2009, la mairie accuse un fort défit budgétaire et le magistrat de la Chambre régionale des comptes chargé d'instruire le dossier, Jean-Paul Saleille, balance son venin sur le Net [7].
Quand on pense qu'un autre rapport de la Chambre régionale des comptes d'Ile-de-France sur la gestion des ressources humaines de la ville de Paris depuis 2002 épingle et critique le maire, Bertrand Delanoë [8], on ne peut s'empêcher de penser au futur blogueur qui viendrait à déballer que « le coût salarial des 20 directeurs généraux les mieux rémunérés atteignait 248.000 euros en moyenne en 2008 ». Précision faite par la CRC IdF que l'emploi de directeur général n'existe normalement pas.



[1] Source Wikipédia
[2] Ayant servi de base au téléfilm "Le pain du diable" de Bertrand Arthuys, diffusé en février de cette année
[3] http://www.voltairenet.org/IMG/pdf/olson_documents.pdf (particulièrement les pages 26 et 27)
[4] En 1951, l'Office national interprofessionnel des céréales fixe les tarifs et la répartition de la farine entre les départements excédentaires et déficitaires. C'est ainsi que la farine du Gard provient de la Vienne

[5] Le Figaro du 25 janvier 2010 : http://www.lefigaro.fr/international/2010/01/25/01003-20100125ARTFIG00710-l-amerique-cible-de-choix-du-revisionnisme-.php

[6] le NYT du 24 juillet 2008, article "France's unsolved mystery of the poisoned bread" ( traduction perso) : http://www.nytimes.com/2008/07/24/arts/24iht-blume.1.14718462.html?_r=2

[7] Le Midi Libre du septembre 2010 : http://www.midilibre.com/articles/2010/09/16/A-LA-UNE-Un-magistrat-blogueur-pris-par-la-justice-1385965.php5

[8] Le Monde du 16 septembre 2010 : http://www.lemonde.fr/depeches/2010/09/16/la-crc-idf-critique-la-gestion-des-ressources-humaines-de-la-ville-de-paris_3208_38_43405190.html

lundi 13 septembre 2010

Bibracte la Gauloise


… pensée à Claude Chabrol


Tout ce qui se passe aux États-Unis serait-il systématiquement transposable en Europe, qui plus est en France ? Dans la plupart des cas, on peut répondre oui et préciser qu'il s'agit souvent d'une question de délai. Dans d'autres cas, ce n'est pas non plus impossible, notamment par confrontation du cheminement démocratique, à tout le moins de veiller à ne pas amalgamer les politiques propres à chaque pays, à chaque culture, chaque Histoire. Ainsi cette grogne, cette internationale du mécontentement qui prend aujourd'hui autant d'ampleur qu'en leur temps les hippies des années 60, les féministes des années 70.

Le mouvement des Tea Parties
À cette grande différence qu'en France, la contestation – ne pas confondre avec une opposition finalement structurée autour des mêmes thèmes que ceux de la majorité – se cantonne en une bonne quinzaine de micro-partis, dont les mouvements alternatifs et indépendants (blogs politiques, newsgroups, cyber-partis...), les mouvements libertaires (l'anarchisme, les mouvements contestataires proprement dits – communautarisme, pacifisme, écologisme, militantisme homosexuel... etc –, les mouvements fédéralistes tel que le mouvement européen, les mouvements autoritaires (extrême-droite, extrême-gauche, monarchie non-parlementaire), voire les courants anti-industriels exempts de tout clivage.
Particularisme actuel de la politique états-unienne, la gauche démocrate de Barack Obama est au pouvoir et son opposée, la droite républicaine, se tient à l'affût des prochaines élections de mi-mandat, le 2 novembre. C'est grossièrement le schéma... Avec cette fois-ci un nouvel acteur de la politique américaine guettant lui aussi avec intérêt ces Midterm elections [1] : le mouvement des Tea Parties.

Origines et extension
La Tea Party du 16 décembre 1773 qui voit la colonie du Massachusetts jeter dans le port de Boston une cargaison de thé de la Compagnie des Indes pour dénoncer les taxes imposées par Londres, peut être considérée comme le signe précurseur de la Révolution américaine du 4 juillet 1776.


Tea partiers © Washington Post 16.4.09

C'est donc sur cette même base révolutionnaire et sur les principes fondamentaux de la Constitution énoncés par les Pères fondateurs de la Nation ( Samuel Adams, Jefferson, Madison...) que les Américains de la classe moyenne ne décolèrent pas contre l'ennemi d'aujourd'hui : leur propre gouvernement. Répondant à l'appel de Glenn Beck, présentateur de Fox News, et par une sorte de bouche à oreille empreint du web – en cela les blogs politiques, les newsgroups français relaient-ils d'identité –, ils étaient 100.000 ce 28 août à Washington pour « restaurer l'honneur » [2] de l'Amérique.


Restoring Honor Sarah Palin 28.8.10 © images Google

Force grandissante, quasi apolitique et difficile à manœuvrer, le mouvement des Tea Parties est pour ainsi dire animé par trois courants. Le premier prône une réduction drastique du déficit budgétaire, un refus de tout nouvel impôt (le fameux « no taxation without representation » de 1773), la fin de la réforme de l'assurance maladie telle que le souhaite Obama, une politique étrangère plus stricte et une législation sur le changement climatique qu'ils remettent en doute. Ce courant s'accorde une large représentativité chez les tea partiers à l'instar de Sarah Palin, ex-colistière de John McCain et figure de proue du mouvement. Le second courant reflète la montée des théories du complot faisant d'Obama celui par qui le pays peut basculer dans le socialisme. Nombre de ses tea partiers gardent également un œil sur les “comploteurs” du G8, du G20, de l'OMC, du groupe de Bildberger, du Council of Foreign Relations, de la Commission Trilatérale, du groupe Carlyle (copiloté par Olivier Sarkozy, le frère), des Skull and Bones... Le troisième et dernier courant anti-establishment trouverait ces racines dans la manifestation d'un immense ras-le-bol vis-à-vis de cette société où tout est régulé par des experts, des élites, des spécialistes, le Congrès. Ce sont, quant à eux, les « révoltés du county » – l'Amérique de base – croisant contre le plan de relance, l'avortement, le mariage gay ou le contrôle des armes, et pour la prière à l'école ou la peine de mort.
Prendre tous ces gens, à dominante blanche, pour des hurluberlus serait à ce point réducteur que des milliardaires, des gens en vue n'hésitent pas à y aller de leur franche obole : Rupert Murdoch, le patron de Fox News, mais aussi les frères Koch, magnats du pétrole ; Scott Brown, sénateur ; Pat Robertson, télévangéliste. Autant de personnalités dénonçant les oligarchies au pouvoir à Washington.
De blogs en blogs, de Facebook en Twitter, de chaînes câblées en radios locales la Vox populi s'est rapidement formée, a régulièrement grossi. Cette spontanéité fait réellement peur. Redoute-t-on les rassemblements du mouvement comme les échéances électorales à venir ; sa calme mais ferme impétuosité allant même jusqu'à prouver l'inéligibilité de Barack Obama, un peu kenyan, un peu britannique [3].
Voilà donc, dans le domaine de la contestation, ce qui croît outre-Atlantique [4].

Sommes-nous des tea partiers ?
Ce mouvement des Tea Parties pourrait-il faire des émules en France, en Europe ? Répondre à cette question relève certainement de la partisanerie. On peut néanmoins affirmer combien la contestation va grandissant ici et là, il n'est de sillonner les marchés, de prêter l'oreille aux salles d'attente... pour s'en rendre compte. Et ne croyons pas qu'il en aille différemment de la Grande-Bretagne ou de l'Allemagne.
À nous rabâcher la crise, non seulement chacun d'entre nous finit pas abonder d'objectivité, mais aussi par décrier ces rouages que nous peinons de plus en plus à maîtriser : vie chère, euro facile, un jour ci, un autre ça, vis sans fin et grand essorage. La grogne fait partie de notre grande gueule, certes, mais là, à ce point, au point d'en parler comme de la pluie et du beau temps, comme de l'ennemi qui nous assaille tous, tout âge confondu, ce n'est vraiment pas commun.

Manifestation du 7.9.10 La Réunion © ActuRéunion Orange / *ImazPress

À tout dire, il y a chez nous de cet irréductible Gaulois, peuple fondateur. Nous portons en nous comme un ferment de révolte, ce Spirit of 68' qu'on aimerait retrouver, des hardiesses qu'on aimerait s'approprier. De Voltaire à Rousseau, de Robespierre à De Gaulle, du marché noir au système D, la France est un pays de frondes et de révoltes, nous avons l'âme révolutionnaire. Et si nous ne l'avons pas d'autres l'ont eue, d'autres l'auront. C'est ainsi. Et c'est cela qui nous fait mal, cette automutilation de la conscience autant générée par le respect que par la crainte. Ni vous ni moi n'y pouvons rien, dit-on ; et pour peu qu'il fasse soleil on se prend à tailler ses rosiers.
Ni vous ni moi ne sommes des tea partiers, d'une part parce que tout ne nous “branche” pas ; d'autre part, parce que l'Amérique est encore loin. On pourrait même parler de décalage, de quelque chose qui rend patraque, comme jadis une indisposition de hippies, de baba-cools. Parce que l'éphémère aussi est en nous : « Après moi, la fin du monde ».
Des contestataires défilent, d'autres brûlent, mais aucun parti politique, aucune force coutumière et constitutionnelle. Juste une multitude de programmes, de promesses, d'harangues, de vœux pieux décryptés les élections même pas achevées, à coup de résultats sortis des urnes, de redistribution des voix, de re-positionnements, de projections. Des fourchettes à vous couper l'appétit ; maudite abstention, alors que nous sommes au moins tous d'accord sur un point : les choses changent et se délitent. Pourtant, que d'efforts ne menons-nous pas au nom de nos familles, du Pays, et de nous-mêmes afin de laisser la meilleure trace qui soit !
Tout cela pourquoi : un balayeur à bac +5 et au smic, la charge héroïque du toujours plus et de la mendicité ? Finalement, nous sommes tous des Roms en devenir, des apatrides d'une Patrie qui ne nous aime plus, qui se la joue perso, côté flambeur et mondialiste. Comme si égoïsme – et toutes ses déclinaisons, de népotisme à passe-droit –, comme si égoïsme et patrie pouvaient aller de pair ! On pourrait même dire qu'à mesure où s'ouvre l'avenir (pensons à l'espérance de vie), le ciel n'a de cesse de s'obscurcir. Un paradoxe que d'aucuns exorcisent fiévreusement au comptoir des buralistes [5]. Comme si, pour eux aussi, il y avait quelque chose derrière la case grisée : avatar réducteur de têtes qui enverrait tout balader ; tout ça et les autres : Pôle Emploi, Lidl, la retraite, la génération Mitterrand, 2012... Avatar de manif'.
[1] Élections où l'ensemble des 435 sièges de la Chambre des représentants des États-Unis, où 33 ou 34 des 100 sièges du Sénat américain et plusieurs législatures ou gouverneurs d'états américains sont renouvelés. Ces élections interviennent à la moitié du mandat du président des États-Unis, d'où leur nom (Wikipédia)
[3] Un flyer de l'organisation The Birthers dit ceci : « Obama is NOT a Natural Born American Citizen. His Father was not a US Citizen nor an Immigrant. Barack Obama Jr. Is a natural-born British Subject ». Site « birthers.org ».
[4] Voir document de l'IFRI, Potomac Paper 2 : http://www.voltairenet.org/IMG/pdf/Mouvement_des_Tea_Parties.pdf
[5] Au bilan du 24 août dernier de la Française des Jeux : les jeux de grattage qui ont été plébiscités par les Français ; les mises de jeu étant en progression de 16,9%, s'établissant à près de 3,9 milliards d'euros.
http://www.larep.com/une-19386.html

jeudi 9 septembre 2010

AINSI, le dimorphisme de Germinal


C'est quoi, ce monde... à bout de souffle, à bout de rien et de jubilations dilatoires ? C'est quoi, ce monde pour qu'on batte AINSI le pavé des pas perdus d'avance [1] ? Ainsi, c'est-à-dire avec ça de service minimum, avec ça de petit doigt qui fait qu'on se fait croquer la main, le bras, le buste, tout le corps. Et le lendemain, y' a plus qu'à déchanter, la douleur de s'être fait bouffer en sus.
À quoi ça sert d'amender AINSI le but pas si tôt à atteindre qu'il est déjà dans les cartons, comme un bonbon gardé en poche ?
Et dire qu'ils parlaient de défiler un samedi, voire un dimanche (les 18 ou 19 septembre prochains) ! Y' avait plus qu'à ouvrir la buvette et se ronfler la gueule en silence, parce que le dimanche ça coince fort dans les rues des capitales vides, ça bloque dur, ça perturbe à outrance. Le musée des barricades montre bien toutes ces actions menées le week-end pour que la France d'en haut dorme sur ses deux oreilles, peinarde dans ses jacuzzis gonflés d'orgueil : le meilleur des avancées du week-end, c'est encore de pêcher à la calée.
Le 23, dit-on. Le 23, plein pot... avec ça de service minimum pour que la France tourne plein pot, comme d'hab ; avec ça de Laurence Ferrari pour pointer du doigt les turpitudes engendrées par les manifestations, avec ça de leçon et va te coucher sans manger. Sûr que demain ils exigent la semaine de 48 heures, qu'on y revient comme en 40, en 36 pour les puristes. Sûr qu'ils nous gavent d'impôts et que dans le même temps le CAC 40 exulte, qu'on baisse pavillon avec le sentiment d'avoir ouvert une brèche.
Non. Je ne pensais pas nos générations si pleutres, si connes à ce point. Je ne pensais pas à ces vilénies quand nos cours d'écoles voyaient monter en nous tous les espoirs du monde, raillaient la dèche des pères ; factotums ingrats de gens morts sous la mitraille [2], crevant réellement de faim. Ce qui nous manque sûrement : la misère, la vraie. À huit dans un garage avec l'idée d'un autre service minimum, foutre le dernier dans une boîte à chaussures et le déposer sur le parvis d'une église, d'une mosquée. Ceux-là aussi, les vraiment pauvres, on se demande bien ! La calée, et rien d'autre ; ou brelan d'as pour les mêmes. Rappelle-toi le coup de gueule de Gabin dans La traversée de Paris ( http://www.youtube.com/watch?v=6bwuChgUtPE), l'Histoire de France :
- C'est une révolte ?
- Non Sire. Une carmagnole !
La preuve, ce sondage BVA pour Canal+ en date du 9 septembre : 55% des Français pensent que le gouvernements doit céder sur l'âge de la retraite (2% ne se prononçant pas). Résultat, c'est du kif-kif, quasiment du 50/50.
La retraite : dans le fion. Les augmentations EDF/GDF à répétition : dans le baba. Le dégraissage du mammouth : dans l'os... Allez vas, t'es un brave gars, on te renverra au charbon. Y' aura bien un rôle pour toi ; figurant dans Germinal, ça a de la gueule, non ?

[1] "Désormais, quand il y a une grève, personne ne s'en aperçoit", ironie du 5 juillet 2010 au Conseil national de l'UMP
[2] http://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9volte_des_vignerons_du_Languedoc_en_1907

lundi 6 septembre 2010

Molécule


Combien de fois ne nous a-t-on pas rabâché que nous faisions un geste essentiel en optant pour les médicaments génériques ? Combien de médecins ne se sont-ils pas fait remonter les bretelles parce que ne prescrivant de préférence les génériques ?



Soit, bon an mal an, nous nous y sommes tous soumis. Et quand bien même y aurait-il matière à débat quant à la valeur de ces substituts, on ne peut s'empêcher de s'interroger quand on voit certains praticiens exiger encore que le médicament princeps soit donné. Mais c'est une autre histoire que la véracité, les tests, voire la mise sur le marché de ces génériques.
Tenons-nous en plutôt à l'aspect financier des choses, à cette l'histoire de gros sous, au lobbyisme de l'industrie pharmaceutique.

Le rapport de 2008 [1]
Se fiant aux données de la Commission européenne, en 2007, chaque européen a dépensé pour 430 euros de médicaments. Le marché des médicaments a ainsi généré 138 milliards d'euros de fabrication et rapporté 214 milliards d'euros de vente. En moyenne 25% moins chers que les produits d'origine dès la première année, les génériques tombent à 40% moins chers au bout de deux ans. Ce qui permet à chaque système de santé européen d'économiser 20% dès la première année et 25% après deux ans.
Dès lors que le médicament d'origine a perdu son exclusivité (expiration du brevet principalement), le temps d'entrée du générique sur le marché est dans la plupart des cas d'environ sept mois, réduit à quatre mois pour les traitements prioritaires ou les plus vendus. Ce qui retarde d'autant les économies.
Expiration du brevet... autrement dit entrave à l'entrée des médicaments concurrents sur le marché. Ainsi, pour qu'un générique voit le jour, il lui faut :
. franchir l'écueil de la multiplicité des brevets, ce qu'on appelle les “grappes de brevets” couvrant l'ensemble du territoire de l'Union européenne (jusqu'à 1300 brevets déposés pour un seul médicament),
. s'affranchir des procédures de litiges et de contentieux (700 litiges recensés par la commissaire européenne chargée de la concurrence, Mme Neelie Kroes ; soit, trois ans de procédure en moyenne et 60% de chance de voir le jour pour les génériques)
. conclure une série d'accords visant à attribuer l'exclusivité d'un générique à telle entreprise de génériques plutôt qu'à telle autre, de manière à limiter l'exploitation (jusqu'à 200 accords conclus avec les entreprises innovantes détentrices du médicament princeps),
. passer le cap des autorisations de mise sur le marché relevant des autorités propres à chaque pays (les entreprises innovantes n'hésitant pas à s'ingérer dans les procédures nationales d'agrément de médicaments !).
Tout cela dans le but d'entraîner des coûts supplémentaires – le prix du générique augmentant à mesure des difficultés rencontrées et dissuadant d'autant sa mise sur le marché – et réduire les incitations à innover. Bref, une histoire de barrage qui aurait tout de même permis d'économiser quelque 3 milliards d'euros [2] si les génériques étaient arrivés plus tôt dans les pharmacies.

Aujourd'hui
Ce rapport préliminaire de l'enquête relative au secteur pharmaceutique date du 28 novembre 2008. Il faisait état de la création d'un brevet communautaire unique et de l'institution d'une autorité judiciaire européenne unifiée.
Qu'en est-il aujourd'hui ?
Dans un premier temps, une enquête sectorielle diligentée par Bruxelles [3] a rendu ses conclusions le huit juillet 2009, à savoir :
- baisse de l'entrée des génériques sur le marché (40 par an entre 1995 et 1999, 27 par an dans les années 2000)
- allongement de la période de protection du médicament princeps avant la mise sur le marché de son substitut générique (14 ans en 2009 contre 10 ans en 2000)
- inapplication du brevet communautaire [4] :
* actuellement seuls 10 États ont signé l'accord de Londres sur le Brevet de l'OEB, Office européen des brevets (dont la France, l'Allemagne, le Luxembourg, le Royaume-Uni)
* actuellement un brevet européen coûte jusqu'à 20.000€ dont 14.000€ pour les traductions, contre 1.850€ pour un brevet US
* dans un deuxième temps, les 26 et 27 mars 2010 le Conseil européen a approuvé les éléments en faveur de la création d'un brevet européen en anglais uniquement ou en trois langues (anglais, français, allemand pour l'ensemble des États membres) avec publication au Journal officiel de l'UE et coût moindrement ramené à 6.200€
* nouvelle réunion du Conseil européen à l'automne 2010 et nouvelles discussions sur le brevet unique
- difficile mise en œuvre des articles 82 et 83 sur les règles antitrust
- ressenti de la crise financière par les entreprises de biotechnologie innovantes qui reposent essentiellement sur des investissements à capital-risque.

On le voit la question des gros sous est loin d'être résolue, comme d'hab. En attendant, soumettez-vous de grâce ou de disgrâce à la parodie des génériques dont les industries pharmaceutiques innovantes font quant à elles le blocus... engrangeant au passage les milliards d'euros que les systèmes de santé auraient pu économiser.
Mais quand même, en ces temps infinis de crise où l'on nous demande instamment de nous serrer la ceinture, 3 milliards – et tous les autres –, ça la fout plutôt mal.

[1] http://europa.eu/rapid/pressReleasesAction.do?reference=IP/08/1829&format=HTML&aged=0&language=EN&guiLanguage=en
[2] Le rapport de la Commission européenne porte sur un échantillon de médicaments dont les brevets sont tombés dans le domaine public dans 17 États membres entre 200 et 2007
[3] Article 17 du règlement 1/2003 sur l'application des règles de concurrence du traité CE
[4] http://ec.europa.eu/internal_market/indprop/docs/patent/translation_arrangements/proposition_com_2010_350_fr.pdf