jeudi 28 octobre 2010

La huile sur le feu


On a tout dit sur la retraite, tout entendu. Ce dossier restera sans doute comme l'un des plus révélateurs de la société française dans son ensemble, de haut en bas. Affrontement, le mot clé, comme un barbarisme sans cette violence où peu se reconnaissent.
Le travail est donc bien au cœur de nos préoccupations ; retraite et travail étant indissociables. On demande rarement à quelqu'un autre chose que se qu'il fait dans la vie, voire, dès lors que nous l'avons catégorisé, comment il va. D'instinct, il nous importe d'appréhender les genres par l'emploi qui leur échoit : la fameuse loi de la jungle, ou tout au moins comment hiérarchiquement se situer. Je n'aurais, hélas, pas la même considération d'une factrice que d'un oncologue à 50 euros la consultation. C'est une véritable tristesse et nous sommes tous des demeurés. Mais tout est là et, quoi qu'on dise, nous nous efforçons de le minimiser par un pseudo train de vie trop souvent usurpé. Revers de la médaille.
Partant de cette dynamique qu'il me faut coûte que coûte intégrer, on s'aperçoit rapidement de ce que préfigure le chômage autrement qu'en une admonestation sociale sans appel – quand même prétendra-t-on que l'assisté est toujours mieux loti qu'un exploité. Ainsi, par projection de ce que représente la retraite comme le désamorçage de tout ce qu'on a enduré dans la plupart des cas, nous vient alors cette soudaine envie de respirer, de se poser. D'enfin jouir.
Jusqu'au jour où... en approche de piste, il nous appartient d'amorcer la phase deux. Mais, encore une fois, pas tous de la même manière. Il y a ceux qui, pour diverses raisons dont la complaisance indispensable dans le travail (on imagine lequel), remettent plein gaz ; et ceux qui, dans leur immense majorité, guettent le jour J, l'ordre d'atterrir. Combien de collègues ai-je vu s'affubler de compte-à-rebours ringards, au propre comme figuré. Ils concevaient leur retraite comme l'exutoire d'une vie à ce point remplie qu'elle se laissait aller d'égoïsme et d'abandon. Les Anglais parlent de retirement, un peu comme un repli stratégique ; on se retire, on est hors-jeu. Plus pragmatiques, Allemands et Italiens préfèrent le mot Pension ou pensione ; on mange et après on voit ce qu'on peut faire. Les Espagnols exultent à l'idée de la jubilación ; c'est la fiesta !
Un mélange de tout cela...
Si l'acteur endosse tel ou tel habit pour les quitter tout aussi facilement, il n'en va pas de même dans la réalité de celles et ceux qui ambitionnent cela, cette juste sérénité – Tu parles d'une ambition ! L'exploit (de l'exploité) n'est donc pas dans un César, une médaille honorifique, mais plutôt dans la lente ascension de l'échelle où les heures ont de plus en plus de mal à passer. On dit que l'homme aspire, et c'est aussi ce qui l'épaule dans son combat.
Un mot des jeunes. Au jeu dangereux d'envier les vieux de soixante-dix balais, de brûler les étapes, peut-on leur reprocher d'agrémenter leurs espoirs des mêmes supports qui ont desservi les générations d'avant : un travail à point nommé, une vie sociale plus ou moins équilibrée ? Personne ne voulant être le fossoyeur de personne, pas même d'une Terre que l'on saccage, encore moins de ses enfants.

Leur retraite en trois mots...


Gérard Depardieu en scooter en pleine manifestation à Paris
© théo wurmster [1]


Âge effectif de cessation d'activité :
Malgré les disparités affichées en matière de retraite, on remarque actuellement une certaine homogénéité dans l'âge de cessation d'activité au sein de l'Union Européenne : Allemagne 61,7 ans, Belgique 61,2, Danemark 62,3, Espagne 62,9, France 59,3, Italie 60,8, Royaume-Uni 63,1, Pays-Bas, 63,7 et Suède 64,4. La moyenne se situant aux alentours de 61,7 ans.
En France donc, avec un âge de cessation d'activité de 59,3 ans, il faut comprendre que 6 salariés sur 10 sont hors emploi dès cet âge, soit à cause du chômage, soit d'une invalidité, d'une inactivité (les entreprises se refusant à embaucher ou garder des séniors), soit tout simplement à cause d'une dispense de recherche d'emploi de la part de Pôle emploi qui baisse les bras, toujours pour les mêmes raisons. Ce qui n'est pas payé par la caisse de retraite l'est principalement par les Assedic, les fonds de solidarité ou les centres régionaux de pensions. Dans tous les cas, il faut payer.
Plus l'on recule l'âge légal de retraite, plus il faut compenser la période comprise entre cet âge légal et la cessation d'activité.


Répartition et/ou capitalisation ?
En Grande-Bretagne, on peut travailler jusqu'à 70 ans et toucher une prime de 32.000 euros. C'est l'exception qui confirme une règle qui voit la plupart des Anglais partir au bout de 44 ans de versement. En cela, deux arguments : le taux d'emploi des séniors (55-64 ans) y est de plus de 57,5% (il n'est que de 39% en France) et la retraite par capitalisation atteint 28% du montant global. Les Anglais raquent pour leurs vieux jours, ce que nous serons obligés de faire dans les années qui viennent, à l'instar des Allemands (11% par capitalisation), des Hollandais (32%).
Pour autant, l'on peut comprendre la capitalisation de deux manières. Soit par une épargne privée, soit en augmentant les cotisations du système par répartition. L'avenir de la génération montante passe par encore plus de sacrifices : les jeunes d'aujourd'hui peineront à cumuler leurs trimestres de versement et devront épargner pour arriver à l'équilibre précaire de leur pension de retraite. Pas gagné.

L'espérance de vie :
Ce qui nous amène à l'emploi des séniors. Dans tous les cas, nous nous apercevons que, quels que soient les pays de l'Union européenne, les chiffres de l'âge légal de la retraite sont rattrapés par ceux de la réalité de terrain : l'âge de cessation d'activité est toujours moindre que celui de l'âge légal.
Parler d'espérance de vie grandissante, c'est oublier la fatigue qui fait, que l'on soit Italien, Grec, Polonais ou Français, on arrive au constat que tous les médecins connaissent : il n'est pas beau de vieillir. Être en bonne santé voilà la première richesse et chacun sait qu'il est plus agréable de travailler dans de bonnes conditions que se retrouver en fauteuil devant Secret Story (!).
L'échéance qui vient normalement ensuite, ce temps qu'il nous reste à vivre plus ou moins décemment, inquiètent à plus d'un titre. C'est le propre de l'homme. Mais rien n'arrête le temps dans son enfilade de peur et de reproches : ce qu'on aurait pu faire qu'on n'a pas fait, cet insatiable goût de vivre quel qu'en soit le prix. Parce qu'au final nous sommes toutes et tous des jouisseurs de vie, et il est humain d'espérer en jouir le plus longtemps possible.
Peut-être pourquoi nous taquinons-nous quant à savoir pourquoi l'espérance de vie est toujours plus élevée chez la femme que chez l'homme [2]. Une dérobade.




Digression factuelle
Le temps ne suspend en rien son vol, c'est plutôt le vol des jours qui nous suspend d'interdits : touche pas à ça, p'tit con ! La légitimité des grèves contre la réforme des retraites avait pour elle deux objectifs : contrer le pouvoir dans toutes ces exigences, et pas seulement la retraite ; exacerber la peur du lendemain. Deux interdits globalement liés, eux aussi. Non, ce n'est pas la société que nous voulions, ce n'était pas ce monde-là que nous souhaitions. Celui que nous portons au fond du cœur a pour lui tous les errements d'enfance, la grande paix et le verbe clair, tous à égalité de jeux, sans plus de violences qu'une belle bosse, un fou rire. Genre de contrat social à la Rousseau.
Et nous avons inventé les chiffres, créé de nouveaux langages, donné un nom à ce qui n'en avait pas. Nous avons ouvert la boîte de Pandore. Les chiffres ont mué en statistiques bornées, l'instance populaire a transmué en raison d'État, les couleurs ont viré au gris roi, une sorte d'hiver boréal s'est levé et la vérité s'est mise à dépasser la fiction – J'imagine la tête de Stanley Kubrick s'apercevant que nous lui grillons toutes ses idées, mais lui aussi a tiré sa révérence.
Les générations passent, réfutant d'usage celles qui les ont précédées ; la génération passe, bidouille son alchimie et ne fait pas mieux que la précédente. Parfois en pire : guerres (toutes les guerres, territoriales ou économiques), aveuglements, choix politiques, exodes. Exode des rues qui s'emplissent et grondent au sein de ghettos parfaitement structurés, bellement ignorés. Exode de la grande mendicité ; faire la manche pour le redonner aussitôt (aides aux agriculteurs, allocations en tous genres). Dirigisme d'énarques formatés bêtes comme choux, Pythies des temps modernes, ceux que l'on consultent parce qu'ils savent, un peu comme madame Irma et sa boule de cristal. L'ignorance dans tous les sens du terme : ne pas savoir, ne pas reconnaître. On dit que c'est comme ça, et pas autrement – Voix de cour et chasse réservée...
Ugh !

[1] La plupart des photos de Depardieu pris dans la manif du 19 octobre 2010ont "disparu" du web...
[2] En 2010 : 77,8 ans pour les hommes et 84,5 ans pour les femmes (Insee)

jeudi 14 octobre 2010

EXULTEZ !

Vous, les jeunes !

Nous avons volontiers de Léon Tolstoï l'image vieillotte du sage barbu écrivant à sa table nappée de grosse cotonnade sous l'œil inquiet d'un pieux serviteur, et nous avons de Philip Roth, romancier du New Jersey révélant avec une rare perspicacité la déchéance, la maladie, l'impuissance ou la mort, l'image polie d'un esthète d'aujourd'hui. Entre eux deux, Tolstoï et Roth, et même beaucoup plus avant et plus après eux, une foultitude de gens admirables a couché sur le papier la révélation de notre monde au point d'emplir de rayonnages ininterrompus la toute grande Bibliothèque de France et d'autres encore. C'est dire si l'inventaire a de quoi submerger les plus blasés d'entre nous dont la seule entremise est de vivre et de partager ce siècle de fourmillements intellectuels.
« Jouissez du geyser de la vie ! Vous êtes jeunes, exubérants, il y a de quoi exulter ! »
Dans son dernier opus, « Indignation » [1], Roth n'y va pas par quatre chemins, et il a bien raison. Mille fois raisons. Il n'est d'ouvrir un ouvrage d'Eugène Le Roy, « Jacquou le Croquant », ou d'Hector Malot, « Sans famille » ; il n'est de contempler une toile de Jean-François Millet, « L'angélus » ou « Les glaneuses », pour comprendre d'où nous venons et combien la ou les vies qu'ils nous décrivent ont été dures, pauvres, harassantes, soumises à toutes les famines, de la tête au ventre.
Quand même les jeunes de ces époques-là ont-ils été jeunes, vifs et en constant éveil ; quand même planaient-ils sur eux des bonheurs simples, ils n'avaient pour inventaire que l'espace restrictif d'un univers limité. Il aurait été malvenu de leur parler de geyser ou d'exubérance. Ce qu'aujourd'hui notre jeunesse a.
Et même pire. Et même en trop. Le gisement qui s'offre à eux est, lui, bel et bien illimité. Le tour de force, la clé qui donne accès à ces combles qu'Harry Potter soi-même ne saurait renier, le digicode c'est la lecture. La belle lecture calme et lente comme une digestion fournissant au sang sa vitalité. Tout ce qui nous entoure se lit.
Petit aparté récent : Je suis chez le kiné, en salle d'attente, j'ai oublié mon bouquin. Je prends donc le premier magazine qui vient, un truc sur la pêche. En moins de cinq minutes, initié par le champion du monde de pêche à l'ablette, Patrice Burckenstock (590 poissons en une heure dans le Fossé d'Auxonne), je sais tout ce qu'il y a à savoir sur le sujet : ligne, bouchon, canne, plombée, esche à la perle, préparation des farines d'amorce... etc. Et j'imagine maintenant Jacquou muni du même passeport d'indiscrétion, comblant plus qu'un loisir sa faim... si son époque avait été la mienne.
Tout ce qui nous entoure se lit, usage permanent d'un savoir dispensé par la foultitude mentionnée. Des milliers de gens à mon service, toute sorte de gens, des vrais, des plagiaires, des pédants, des inventifs, des génies... des milliers ! À moi de faire le tri, d'ouvrir ceci, de creuser cela, ou de clore untel, de se réjouir d'un autre. Je pratique la course, j'ai tout sur la course. Je suis fondu d'aviation, j'ai tout sur la navigation, la météorologie, le pilotage. Je veux séduire la brune incendiaire, j'ai dix mille poèmes et le nom des roses : indémodables ringardises qui touchent au cœur cent fois plus que n'importe quel JTM texto.
Et puis Google. Histoire de fouiller, d'orienter, guide imparfait si je me laisse prendre dans sa toile. Mais là encore, tout vient, tout apparaît dans l'entreligne de la lecture. Lire, comme les roses, n'est donc pas ringard. Il faut seulement donner du temps au temps.
Second aparté : Il me faut soudain savoir tout ou presque du Séti. J'ai distraitement regardé la fin d'une émission de télé qui parlait de paraboles orientées depuis la Terre vers l'espace et j'en viens à me dire que si l'on met des sommes astronomiques dans des projets d'apparence aussi farfelue, c'est que le jeu en vaut forcément la chandelle. J'ouvre donc le moteur de recherche et tape « seti ». En 0,36 seconde, j'ai accès à plus de quinze millions de références ! Jacquou ou Rémi de Sans famille se seraient émus, nous pas. Le site d'ouverture parle d'aliens, puis de manière graduelle j'arrive à quelque chose évoquant la recherche d'intelligence extra-terrestre. Je tombe ensuite sur le fameux article Wikipédia décrivant le Seti comme the Search for extra-terrestrial intelligence, autrement dit un programme visant à détecter les signaux d'une intelligence extraterrestre, avec toute une série de liens propres à approfondir. Je comprends mieux maintenant les paraboles entraperçues à la télévision. On me suggère également des livres qui couvrent le sujet : À l'écoute des E.T, du mensuel « Astronomie », deux ouvrages scientifiques, À l'écoute des planètes de Florence Raulin-Cerceau et After contact d'Albert A. Harrison, voire deux romans, Miroir aux éperluettes de Sylvie Lainé et Planètes de Makoto Yukimura. J'ai dû faire le tour de la question et, si la chose venait à réellement m'intéresser, j'ai de quoi assouvir durablement mon intellect, combler mes attentes. Sorte de guide, ce maître dont j'ai toujours rêvé – quand bien du maître l'esclave n'est jamais loin. La vie mode d'emploi du regretté Perec.
« Elle est révoltante votre insondable ignorance de l'époque où vous vivez », s'indigne de nouveau Roth.
Plus crûment : Vous avez tout chié et vous ne savez rien. Tout cela parce qu'on a fait de vous – vous et moi – des enfants gâtés, pourris. Uniquement passionnés d'éphémère et de jetable. Par le cent-à-l'heure de votre insatiable goût de la nouveauté, vous n'êtes et ne serez donc que des pies attirés par tout ce qui brille ? Pas croyable ! Il est pourtant là, le monde qui vous tend les bras. Y'a pas d'âge, pas de mensuration, de ticket, encore moins d'élites, de préciosité dans l'étouffante actualité évènementielle, de progrès meilleur qu'un autre. C'est là, maintenant, dans le service des petites choses aboutées les unes aux autres qu'on devient et qu'on objecte. Parce qu'il y a vraiment « de quoi exulter ! ».
Faites feu de tout bois ! Faites comme la Renée, concierge lettrée de « L'élégance du hérisson »[2], qui s'adonne au secret d'un intarissable savoir ; faites comme elle, lisez, étendez vos branches :
« J'ai lu tant de livres...
Pourtant, comme tous les autodidactes, je ne suis jamais sûre de ce que j'en ai compris. Il me semble un jour embrasser d'un seul regard la totalité du savoir, comme si d'invisibles ramifications naissaient soudain et tissaient entre elles toutes mes lectures éparses – puis, brutalement, le sens se dérobe, l'essentiel me fuit et j'ai beau relire les mêmes lignes, elles m'échappent chaque fois un peu plus tandis que je me fais l'effet d'une vieille folle qui croit son estomac plein d'avoir lu attentivement le menu. Il paraît que la conjonction de cette aptitude et de cette cécité est la marque réservée de l'autodidactie. Privant le sujet des guides sûrs auxquels toute bonne formation pourvoit, elle lui fait néanmoins l'offrande d'une liberté et d'une synthèse dans la pensée là où les discours officiels posent les cloisons et interdisent l'aventure.
»

Josiane Balasko dans L'élégance du hérisson
Lisez ! Alors même qu'on ne retient pas tout, qu'on se laisse soi-même absorber, vous verrez – enfants gâtés – les racines chercher et trouver d'elles-mêmes leurs nutriments. À ce point tel, qu'on peut dire que nous lisons toujours le livre dans une continuité qui nous dépasse, un peu comme le fil rouge propre à tous les bouquins qui nous sont passés entre les mains. On pourra aussi facilement discourir de phénoménologie – Je me gratte la tête, mais ai-je la conscience réflexive que je me gratte la tête, et plus encore ai-je conscience que j'ai la conscience de me gratter la tête ? – que discerner qu'avec la voiture électrique, rien n'est joué – prix prohibitif, entretiens tout autant coûteux, autonomie parcellaire, bilan carbone avoisinant les 126 grammes de CO2 par kilomètre contre 161 pour un véhicule thermique, concurrence avec la voiture hybride, impératif de rechargement des batteries en heures creuses [3]... Savoir, non pas à seule fin de paraître mais à toute fin d'exister, d'être pleinement en accord avec ce que le siècle m'offre d'opportunités. Ce que nous comprenons et admettons du domaine sportif dont la palette n'a de cesse de croître et d'agrémenter tous les plaisirs jusqu'aux plus extrêmes, comprenons-le aussi pour la santé de notre cerveau, en rien adapté au picorage de poulet.
Quelle chance avez-vous, jeune homme et toi belle ingénue, de disposer de tous les luxes qui soient, à commencer par ceux qui participent à sa propre évolution. Au-delà des touches vaporeuses d'un CTRL + MAJ + Z, au-delà de tous les accessoires à culture consumériste, l'étendue d'un écran, d'une tablette, d'un livre ou de nos bibliothèques permet à nulle autre pareille d'embrasser le monde depuis l'Everest, de la physique quantique aux espaces interstellaires. Lisez, œuvrez de curiosités, répondez à toutes vos questions, des plus intimes aux plus frivoles ; la matière engrangée finit toujours par teinter la grisaille.
Lisez, même des romans, des fictions, ces histoires de gens comme vous et moi qui n'ont justement pas notre histoire, nos repères, qui nous emportent ailleurs et font qu'on finit par se caler, trouver ses marges, apposer ses repères. Lisez la nature aussi. Les grands espaces mais aussi nos sous-bois, nos prairies de microcosmos : appelez cela bol d'air, oxygénation, découverte, respiration, intériorité ou tout cela à la fois. C'est de là que nous allons et venons, de là que viennent Jacquou et Rémi trop tôt usés. Lisez les silences, à commencer par le vôtre, celui que vos veines distribuent. Lisez la Terre, les nuages, une flaque à salamandre, une cressonnière, vous y trouverez toujours un poème, une variation, une mesure, une aria, une prière, une déchirure, une présence, son absence.
Voilà jusqu'où va la lecture au sens le plus vrai du terme, cette ouverture d'esprit à la fois unique et incommensurablement variée. Ne plus craindre de lire c'est appréhender que tout se rejoint, tout se tient. Hawking couvrant à foison des tableaux noirs de sa frénétique cabale mathématique nous interpelle d'une poésie qu'on ne soupçonnait même pas. Entrer dans des lectures aussi rébarbatives d'apparence et en sortir perclus d'émotion, vous aurez beau prendre tous les LSD du monde, vous gavez de toutes les cochonneries, rien jamais ne remplacera le partage auquel votre cerveau peu à peu enrichi vous convie.
Lisez Depardon et sa France colorée d'hier (tracteur orange Soméca, boucherie-charcuterie, paquet de P4 fumé en douce et roudoudou), vous lirez Braudel, Vincenot, Jeury, Giono, Kressman Taylor, Cornaille, Sebold, Forest, McCarthy, Chauviré, Fallet, Bouvier, Cheng, Échenoz, Zundel... etc. Vous vous surprendrez à vous prendre au jeu. Alors pourquoi pas Tourgueniev, Genevoix, Littell, Romain, Amis, Gougaud, Chattam, Dantec, Némirovsky, Reza, Khadra, Klapczinski, Jarry, Vautrin, Soumy, Germain, Ernaux, Agus, Goethe, Mazeau, Ishiguro, Gagnon, Leavitt, Jankélévitch, Zweig, Cioran... etc ? Foultitude d'un moment ou d'une vie. Unité de temps, d'espace et de lieu dans la multiplicité des approches.
Hugo, Zola, Balzac... pure richesse.
Œuvrez de tâche, Exultez !
[1] Indignation, Philip Roth, Gallimard 2010
[2] L'élégance du hérisson, Muriel Barbery, Gallimard 2006

samedi 9 octobre 2010

La légèreté des choses graves *


En ce qui concerne son espèce, l'homme n'est fait que pour l'amour et la haine. L'indifférence est un acquis des sociétés. »
L'indifférence, véritable maladie de Sachs – Maurice Sachs [1] – donne à ceux qui s'en prévalent des airs entendus de supériorité : on est ce que l'autre ne sera pas. Et c'est terrible. Terrible de croire que notre indifférence n'a d'égale que celle des rocs millénaires, montagnes célestes seulement lasses d'érosion. D'où certainement cette propension à croire en un cœur de pierre que rien n'use, fidèle à son égoïsme de toutou.
« L'indifférence est un acquis des sociétés... »
L'homme et la société, ne pas croire pour autant qu'il existe de passerelle, de pont résistant à toutes les marées ni même de bac, de support ou de bouée. L'homme en société me fait penser à ce fou furieux, sans bras ni jambes, qui se met en tête de traverser la Manche : exploit d'un temps qui dure une vie. Mais on ne va pas larmoyer, le disque dur tourne et se remplit, voilà tout. Se remplit de tout ou de rien, parfois d'indifférence. On frôle ces sommets que les nuages cachent, on se perd dans des puits tout aussi impressionnants.

Une chose que j'ignorais – que n'ignore-t-on pas ? –, c'est qu'on peut quantifier la pauvreté autrement qu'en terme de déficience sociale. L'usage tout à fait inattendu des mathématiques permet une approche statisticienne du seuil de pauvreté. On l'explique en partie par le “BIP 40” ; nous y reviendrons.
Différents autres indices, dont le “coefficient de Gini”, s'arment de démonstration pour savoir, à l'instar de la sacro-saint INSEE, qui définira de manière infaillible, à l'aide de courbes ou de diagrammes, l'œuvre au noir de la déchéance... À contrario de celle qui suscite tant d'indifférence – n'est-il pas plus commode de dire que de faire, d'expliciter que remédier ?
Nos sociétés modernes n'ont en effet pas leur pareille pour substituer à leur perversité maints objets dont l'enchaînement des conséquences ne sert qu'à les dédouaner de leurs actes ; le fameux « responsable mais non coupable » des cours de récré.
« C'est pas moi, M'sieur ! C'est lui ! »

Le RAI qui BIP
En 1995, une brochette de militants associatifs et syndicaux, de statisticiens décide de mettre en place le Réseau d'Alerte sur les Inégalités, posant ainsi les bases d'un « observatoire de la pauvreté » également voulu par le premier Ministre Alain Juppé. Mais parler de pauvreté s'avère au moins aussi ardu et tabou que parler de richesse, les deux étant intimement liés. Entre la réalité de terrain et les discours officiels trop de choses divergent. Dès ce moment, en collaboration avec les mensuel Alternatives Économiques, le RAI met sur pied un indicateur permettant de disposer d'informations fiables sur l'évolution des pauvretés, des précarités et des inégalités.
Par référence au CAC 40 incarnant le summum de la richesse et à l'anagramme du PIB, le RAI créé en 2002 le BIP 40, Baromètre des inégalités et de la pauvreté en France. Le BIP repose sur une batterie de plus de soixante indicateurs statistiques propres à déterminer une mesure synthétique de l'insécurité sociale. Il varie sur une échelle de 0, niveau faible, à 10, niveau le plus élevé :


(cliquez pour agrandir)

Six repères fixent le BIP 40 : chômage (8 indicateurs)-précarité (5 indicateurs)-conditions de travail (8 indicateurs) et relations professionnelles (3 indicateurs), revenus (salaires, pauvreté, inégalités et fiscalité, consommation, au total 15 indicateurs), logement (5 indicateurs dont la part de logements sociaux), éducation (5 indicateurs dont les jeunes sans diplôme, les inégalités scolaires), santé (5 indicateurs proches de ceux du PNUD [2]) et justice 4 indicateurs dont le taux de personnes incarcérées par rapport à la population). Malheureusement, non retenu par l'INSEE, tout s'arrête pour le BIP en 2005.

Le Coefficient de Gini
On retiendra aussi la variable d'un autre statisticien, Corrado Gini, à qui l'on doit le coefficient indiquant dans quelle mesure la répartition des revenus entre les individus ou les ménages est plus ou moins inégalitaire : le chiffre 1 représente une inégalité absolue et 0 l'égalité parfaite. Plus on se rapproche de 1, plus l'inégalité des revenus est forte dans un pays donné.
Ici l'indice de Gini (aire comprise entre la ligne d'égalité parfaite et la courbe de Lorenz) exprimé en pourcentage, concernant la Hongrie et le Brésil (deux fois plus pauvre que la Hongrie) :

© http://www.worldbank.org/ (cliquez pour agrandir)

Le tableau suivant nous montre, toujours en pourcentage, les différences entre les pays dans les années 90 (1999, France à 33% d'inégalité des revenus) :


© http://www.worldbank.org/ (cliquez pour agrandir)

La version actualisée du coefficient de Gini, depuis la fin de la Guerre jusqu'aux années 2000 (2009, 0,289 d'indice en France, soit, 28,9% d'inégalité des revenus) :


(cliquez pour agrandir)

Moralité : si l'on s'en tient à la rigueur des chiffres, on peut dire que la pauvreté baisse en France. Qu'en est-il vraiment ?

Lundi 4 octobre 2010
En 2008, ils sont 8 millions d'abonnés à la pauvreté, 8 millions à se contenter du minima : une paille, une grosse !
D'autres chiffres récemment rendus publics nous apprennent que 13% de Français disposeraient de moins de 949 euros de revenus mensuels ; un ménage sur huit dans la panade. Et pas que des chômeurs, des travailleurs qui ne peuvent se payer un logement et dorment dans leur bagnole.
… Et encore, les statistiques de l'Insee ne concernent que les : « personnes vivant en France métropolitaine dans un ménage dont le revenu déclaré au fisc est positif ou nul et dont la personne de référence n'est pas étudiante ». Ce qui fait encore un paquet de laissés pour compte. Lesquelles statistiques s'appuient sur un revenu moyen. En gros, on prend les revenus de Mme Bettencourt et ceux de Melle Chambon au RSA et on divise par deux ! On arrive à 18.990 euros par an, soit 1.582 €/mois ; ce qu'on appelle le niveau de vie médian [3].
Voilà donc comment l'on détermine financièrement une personne pauvre dès lors qu'elle touche 60% du revenu médian (version privilégiée par Eurostat), soit 949,20€/mois. On l'a vu, ils sont 13,2% (exactement 7,960 millions de personnes) dans ce cas... et 7,1% de très pauvres (4,272 millions de personnes) parce que touchant 50% de ce même revenu médian, soit 791€/mois.
Ils ce sont les familles monoparentales (30% des ménages pauvres), les couples avec trois enfants (20% des ménages pauvres), les colocataires (20% des ménages pauvres), les personnes seules (17% des “ménages” pauvres)...

Du côté des associations caritatives
Un décryptage somme toute long mais nécessaire qui interpelle au premier chef les associations humanitaires. Ainsi, la secrétaire nationale du Secours populaire s'inquiète-t-elle de l'accroissement de la précarité :
« On a constaté que la pauvreté grandissait. Nous avons une hausse de fréquentation de 20% dans nos permanences, ce qui est considérable » [4].
Même son de cloche à la fondation Abbé-Pierre où l'on souligne l'aggravation du coût de la vie, 20% en dix ans ; l'inflation des loyers HLM, 29% ; l'augmentation des prix de l'immobilier, 107% toujours durant la dernière décennie.
De sorte qu'autour de nous, sur cent personnes sept vivent en très grande précarité, c'est-à-dire qu'ils n'ont même pas de quoi décemment manger, se loger, étudier, travailler ou se soigner. Ils forment tout autant la société que tout un chacun mais ne peuvent s'y insérer.


Est-il vraiment besoin du « Measurement of inequality of income » de Gini pour s'apercevoir du génocide quasi ethnique que nos pays industrialisés ne sont même pas fichus d'enrayer ou d'amoindrir ?
Et voilà que, par-delà l'entrefilet dont les médias se font rapporteurs, voilà que tout un pan de société, des millions de gens sont outrageusement comptabilisés, comme pré-ensachés du devoir pleinement accompli.
Triste.

Pauvreté intérieure
Pourtant, à bien y regarder, nous sommes tous pauvres de quelqu'un, voire de nous-mêmes quand d'affligeantes situations nous contraignent à faire l'inverse de ce que nous voulions faire au départ, ou d'instinct, ou de promesse. Qui d'entre nous n'est pas le Rrom d'autrui ? Nous vivons une pauvreté bêtement conditionnée par ces modèles de sociétés imposées, comme allant de soi : pauvreté de prendre sa voiture pour aller chercher du pain ; pauvreté de ne céder en rien sa place de caisse... Il faut bien comprendre cela comme l'appauvrissement des ressources que nous avions en nous-mêmes.
Pauvreté donc en rapport avec ce que l'autre a : pauvreté d'esprit à cent lieues de son propre libre-arbitre que d'aucuns appellent encore la liberté. Pauvreté réactive de vouloir, coûte que coûte, ne surtout pas rater sa vie, cet espace de temps qui nous échoit, vaste chantier que nous avons de cesse de combler.
Regardant un film d'époque, en tout cas celui dont l'action se situe sans qu'aucun propagandiste ne puisse plus témoigner, il est surprenant de voir avec quelle énergie les personnages se débattent comme de beaux diables pour faire ceci ou cela, pire, lorsqu'ils s'engagent d'idéologie. Quand bien même la fiction, on sait que tous ces personnages sont appelés à disparaître. En vue dessus, et si je repositionne cela dans cette pauvreté intérieure qui nous pousse parfois jusqu'à nous entretuer, on se dit que tout cela manque cruellement de discernement. Les mafiosi des années 30 qui s'éliminent pour une sorte de survivance et de code d'honneur, oublient à ce point qu'ils sont tous appelés à naturellement mourir qu'ils en sont ridiculement ridicules. Cette pauvreté-là a beau nous interpeller, nous replongeons de plus belle dans la nôtre, présente, terriblement actuelle, unique.

Cette même pauvreté nous conduit à juger ou méjuger la pauvreté matérielle. Il suffit de regarder l'écart de trottoir que nous faisons à la rencontre d'un SDF. En soi l'image est en parfaite concordance avec ce qui pourrait nous advenir si... le SDF c'était nous. La pauvreté fait peur.



Elle ajoute à notre misère la pauvreté du miséreux. Et c'est méprisable, à tout le moins misérable. Alors que les biologistes décryptent chaque jour qui passe le mystère de l'encodage de la vie, nous manquons sérieusement de code, d'ARN messagers nous prévenant que nous ne faisons que passer.
Les moines se saluant se rappellent à leur condition humaine de mortel. Pourrait-on juger la chose déplacée, un rien cynique, qu'il n'en est rien et nous ferions bien, sinon d'adopter leur extrême légèreté, du moins concevoir la chose comme intérieurement faisable.
Apaisante et enrichissante.

[*]Parmi les maximes sur le mur du seigneur Naoshigue, il y avait celle-ci : "Les sujets de grande importance doivent être traités avec légèreté". Maître Ittéi commenta : "Les sujets de peu d'importance doivent être traités avec gravité".
Hagakure, code samouraï, d'après Ghost Dog, film de Jim Jarmausch, 1999
[1]Derrière les cinq barreaux, écrit en captivité, Gallimard 1952
[2] Le Programme des Nations Unies pour le Dévéloppement et ses 4 indicateurs : ISDH (indicateur "exospécifique" de développement humain), IPF (indicateur de participation des femmes à la vie économique et politique), IPH (indicateur de pauvreté humaine) et IDT (indicateur de développement technique)
[3] Remarque perso : si j'enlève les primes, les indemnités et l'ancienneté, je limite à peine la casse. Id° avec les pensions
[4] www.lexpress.fr du 28/9/10

dimanche 3 octobre 2010

LA POLITIQUE DE L'ESPOIR à la virgule près


Ce jour-là, vers 15h30, il a dit... Il a dit ce que les mots n'arrivent jamais à extraire des nuages dans les trouées bleues qui passent. Tandis qu'un doux vent de lavatère et de cosmos acquiesçait au passage de rien, pas même un chat, c'est dans le clair de cette absence qu'il a dit :
« Avec le temps bien des gens lâchent. Ils disparaissent de leur vivant et ne désirent plus que des choses raisonnables ».
Simples et raisonnables, comme Bobin en son monde.

Il venait de relever les yeux d'une page de France-Soir, ou de n'importe quel journal qui claironnent tous et toujours les mêmes redondances. Chapark et Curtis saluaient une dernière fois la salle. Mais avant qu'il ne perde son regard dans ce nulle part de toit, de vert et de clôture parfaitement blanche, il s'agrippa encore au mot « Justice » et « Enseignement supérieur ». Pensa à son fils, revint à lui-même, docile aux mots rencontrés.

« Au milieu de la rigueur, seuls les ministères de la Justice et de l'Enseignement supérieur voient leur budget augmenter en 2011. »
C'était donc cela, l'autre littérature ? Un assommoir de chiffres, de pourcentages et de projection qu'il était pourtant disposé à engranger, béatement. Comme si de savoir que la Chancellerie et ses créations d'emplois faisait de lui un privilégié. Après ce qu'il avait connu et vécu, comment penser qu'un jour la Pénitentiaire serait une des priorités de l'État ? À son tour, il ne désirait plus que des choses raisonnables. Raisonnables, la construction de nouvelles prisons, la rénovation d'établissements vétustes, l'embauche de 563 futurs surveillants. Longtemps ce qui se passait derrière les hauts murs ne regarda que les cloîtrés ; à eux de faire avec, que les fissures grandissent, que les peintures craquellent. Avec deux francs six sous, faire avec.
Et voilà que pour la cinquième année de consécutive on ouvrait les vannes, avec pour consigne de rattraper des siècles d'agonie, c'est dire si les milliards déversaient aujourd'hui leur obole : 2,8 pour 2011.

Et eux, ne s'étaient-ils pas démerdés comme des chefs !



Il reprit la pochette bleue, l'étiquette mentionnait le début d'une date : 27/7/10, un peu comme celle qu'on s'apprête à graver dans le marbre en attendant l'heure. Le dernier article parlait de leur démarche, tous syndicats confondus, au sein de l'hémicycle municipal neversois, parterre d'opposition et de majorité. Ils étaient bel et bien là, plantés de raison dans l'affranchissement de leur combat, le leur et le nôtre. Lionel, Mickaël, Stéphane et toute l'arrière-boutique au grand complet... d'uniforme et d'avenir. Photo couleur de la table d'un dialogue autrement plus ouvert que celui d'une direction interrégionale chiche, comme lasse de ces hommes et de ces femmes dans la force de l'âge ; autrement plus « mature » que le couperet d'un fax minable un matin de juillet – ce don de jouer avec les dates, qu'il s'agisse de virer les ouvriers d'Eurolia ou d'annoncer.

Et tout ce pognon dépensé. Partout la même chose, à Lure, à Guéret, Fontenay-le-Comte, Béthune, Ensisheim, Châlon-en-Champagne, Digne, Saint-Malo... Fil ténu d'une déshumanisation de l'espace le plus humain qui soit, la prison.
Alors ils frappent aux portes, entrebâillent des pans de politique locale, nationale aussi. Ils sont dans l'arène pour les leurs, enfants, conjoints, et pour l'autre dont le ciel est par-dessus le toit ou que des barreaux guettent, vous et moi, tout un chacun que l'imprudence viendrait à arraisonner. Ou l'autre encore, fût-il intervenant, directement et indirectement associé.
« N'est-il pas possible, alors, de placer Nevers au centre d'un projet de grande prison ? », revendique l'opposition.
Que nenni ! rétorque le jeune maire :
« Ce genre d'établissement est un mal ; l'intérêt de Nevers serait de voir sa Maison d'arrêt reconstruite ».




Les nuages ont fait place à une ligne d'horizon bleutée qu'un arc tendre étend de circonvolution. Oui, la Terre est ronde, et tourne d'immuabilité, comme affable de présence dans l'avenir des hommes ; mais sans plus, passant d'un ciel de traîne à cette pâleur automnale.
C'est exactement cela, décoller, s'envoler. Moteur sur Start, gaz à fond, vitesse 80 nœuds, vent quasi nul. Puis rentrer le train, ramener les volets, cap au 120 et route 396, 130 nœuds, pilote auto et directeur de vol activé, peinard et s'apercevoir d'une pointe de soleil sur Ouest 3 d'empennage.
Mais pourquoi les élus se battent-ils ainsi pour sauver une prison ? Un hôpital, une école, un foyer, un théâtre, un chantier naval ça se comprend. Mais une prison ? En manque-t-il une à Neuilly-sur-Seine qu'on nous jalouserait sans qu'on n'en sache rien ? La préservation d'un bassin d'emplois, la scolarisation des enfants, le maintien des liens familiaux, certes. Mais par-delà tout cela, tout ce qui coule de source et que l'on peut finalement résumer à la vitalité d'un territoire, pourquoi ? Pourquoi les hommes d'aujourd'hui mettent-ils l'accent sur ce que les pères d'hier décriaient ou reniaient par avance ? Curieux revers d'histoire. Comme si faire feu de tout bois donnait du grain à moudre aux symboles, quels qu'ils soient.
« Ce que je cherche dans la parole, c'est la réponse de l'autre », disait Lacan dans le tome 1 de ses « Écrits ».
Je scrute dans le ciel de 2014 les lointaines élections des conseillers territoriaux. Ou, plus près, celles de 2012 ? Tiens, les Cantonales de mars 2011.
Les réponses ne venant pas forcément à l'instant de son choix, c'est encore au maître d'éclairer nos lanternes vagabondes :
« Les non dupes errent ».

34ème sur 200, autrement dit dans le tiers de tête avec un peu plus de 16,5/20, c'est aussi cela la Maison d'arrêt de Nevers en terme de gestion. Sagement plantée dans ses bottes, dirait un ministre.
Oui, comme des chefs ! À secouer le cocotier bien comme il faut...
La preuve, le lendemain de leur forcing en plein conseil municipal, la réponse du berger à sa bergère au même endroit du journal. La gravité des hommes du Rassemblement pour l'Avenir de la Nièvre, groupe d'opposition municipale, en parfait décalage avec le sourire énigmatique de la députée, avec l'ambiance bon enfant de celui que son mandat de maire amènera sans tarder à faire « le siège des ministères ».
Mais avec un temps d'avance, le Ran annonce qu'il a déjà rencontré le directeur adjoint du cabinet de la ministre de la Justice.
« Il peut y avoir une solution alternative à la fermeture de la Maison d'arrêt de Nevers, sous la forme de la construction d'un nouveau centre pénitentiaire. »
Petit hic : que le maire abandonne son projet de rénovation de l'actuelle prison et se joigne aux recherches d'un terrain viable [1] assorties d'une autre date butoir, fin mars 2011. Sacré mois de mars, dieu des combats.

Mon avion va finalement me servir.



Carte, compas, cercle de 20 kilomètres de rayon, c'est vrai que « les solutions ne [sont] pas pléthore ». Mais bon, qui ne tente rien n'a rien. Cap nord avec l'autoroute A77, le sud-est de la Charité-sur-Loire, quelque chose comme La Marche, Chaulgnes, un petit rectangle de 400 mètres sur 380, un site désaffecté, ça doit pouvoir se trouver. Avantage non-négligeable, nous sommes en plein fief d'un député menacé, donc apte à sortir le dossier qui frappe.
Je survole un temps le champ de tir près de Forge, mais je me dis qu'entouré de bois, ce n'est peut-être pas l'idéal. Quoiqu'en cette matière, l'idéal n'est souvent que repli.
Le sud aussi présente quelques opportunités, notamment Saincaize, sa gare (pensons aux familles des prisonniers) et l'autoroute toute neuve à proximité... toujours plus directe que la nationale d'Imphy. Pure supputation.
Ou l'Est, le Cher et la traversée de la Loire par seulement deux ponts : Givry ou Le Guétin. Disons un secteur défini par une ligne nord-sud allant de Ménetou-Couture à Grossouvre en passant par La Guerche-sur-l'Aubois.
À partir de rien on a bien construit un circuit, un techno-pôle ; une taule, ce doit bien être possible.

Mais je sais qu'ils s'illustreront de nouveau et cloueront le bec à plus d'un pyrrhonien. Qu'ils feront, eux aussi, le siège de ceci ou de cela.
Et voilà comment l'on met un M majuscule à Maison d'arrêt, à la manière des Gaulois qui érigeaient des oppidums en plein néant et qu'une ancienne voie romaine pave encore ; comment l'on interpelle de façon durable. Parce qu'à voir les sphères s'agiter de la sorte, on ne peut que croire en quelque chose de plus ou moins bien. Ce bien qui fait sentir qu'on travaille avec des gens biens, que l'on n'est pas une bande de ramassis et de matons par procuration – un peu de ce que les anciens appelaient de la conscience professionnelle. Il n'est de voir ou de lire l'humanité qui ressort de tout cela : ce non aux prisons usines à gaz et totalement aseptisées ; ce non à l'effacement pur et simple d'acquis de longue haleine, inlassablement remis sur le métier d'une Procédure pénale d'observance fiable ; ce non de fausse route qui conduirait à des pertes dont nul encore ne mesure aujourd'hui la portée.
Et ce consensus qu'à ce stade l'on sent poindre parce que « C'est un dossier important pour l'avenir. Il y a nécessité de montrer un front uni dans le département ».
À croire que l'unité des gardiens en appelle d'autres tout aussi indispensables à la survie d'une Nièvre déjà si malmenée. Espérons.

« Très peu de vraies paroles s'échangent chaque jour, vraiment très peu. Peut-être tombe-t-on amoureux que pour enfin commencer à parler. Peut-être n'ouvre-t-on un livre que pour enfin commencer à entendre. »
Il relit Bobin et finit par lui. Le Folio reposé de La plus que vive, il pense à ce qu'est la vie et qu'elle n'est pas. À ce que l'Histoire retient de mineur et de concision dans les faits importants du moment. Derrière ces simples mots : La prison de Château-Chinon a fermé le 25 novembre 1945, peut-on se douter du coup de massue ressentie par les gardiens alors en poste, par les familles, la vie locale ?


La virgule, disait Cioran, tout l'art de la distraction dans la vérité des jours. L'a-t-il formulé de la sorte ? Qu'importe.
Chapeau, les gars ! Belle virgule, beau souffle !

[1] 15 hectares d'emprise à 20 km autour de Nevers et à 20 minutes du palais de justice et du centre hospitalier