lundi 28 février 2011

Eden Earth



Petit pot de potins


Le président sortant
Voici l'une des résidences d'été de Moubarak : le palais de Ras el Tin à Alexandrie. Évidemment, pas facile de quitter pareil pied-à-terre de 55.775 mètres carrés d'inspiration Renaissance italienne.


La façade (agrandir)


La salle du trône


Le bureau du président sortant


Le salon d'apparat


La chambre du président sortant

Cependant que 40% de la population vit avec 2 dollars par jour, la fortune de Moubarak, avant gèle de ses avoirs en Suisse, est estimée à 80 milliards de dollars. (Anne Lowrey, pour Slate, 12 février 2011 [1])
Bien que non classés sur la liste Forbes des personnes les plus riches du monde, Moubarak et ses deux fils, Gamal et Alaa, possèdent également des résidences dans la station balnéaire de Charm-el-Cheik (lieu de sa fuite), sur la Côte d'Azur, à Londres, New-York ou encore Beverly Hills. (Rich Newman, U.S. News & World Report, 12 février 2011 [2])


Le roi des plumards
Signé du designer britannique Stuart Hughes et nécessitant 3 mois de travail, voici le lit le plus cher du monde, dont un Italien vient de faire l'acquisition.



Bois de lit en châtaignier, frêne et cerisier brossés à la feuille d'or 24 carats (pour un total de 107 kilos); tête de lit incrustée de diamants ; rideaux de soie italienne, le baldaquin ne manquerait certes pas de fière allure si, moyennant ses 6,4 millions de dollars, on nourrissait pendant plus d'un an les bidonvilles de Haïti. (Morgan Brennan, Forges.com, 19 févier 2011 [3])



Les cinq villes les plus riches et les plus chères du États-Unis
1) Sagaponack, état de New-York, 582 habitants, valeur immobilière médiane en novembre 2010 : $ 3.406.640, villégiature de John Malkovich, Madonna, Gwyneth Paltrow, Donald Trump pour les plus célèbres. Autrement dit, 340 millions de dollars les 100 m2 ; comptez le triple pour une maison dans le patelin.
2) Jupiter Island, Floride, 620 habitants, valeur immobilière : $ 2.810.434, villégiature de Céline Dion, Tiger Woods...
3) Kings Point, état de New-York, 5.076 habitants, valeur immobilière : $ 2.379.905, villégiature d'Oprah Winfrey, Larry King (les Drucker américains), James LeBron de la NBA...
4) Los Altos Hills, Californie, 27.693 habitants, valeur immobilière : $ 2.161.255, villégiature de Steve Jobs (Apple), Jerry Yang (Yahoo)...
5) Water Mill, état de New-York, 1.724 habitants, valeur immobilière : $ 2.111.688, villégiature de Sharon Stone, Rudy Giuliani (ex-maire de NY), Richard Gere...

… Aussi, quand une de vos connaissances vous dit qu'elle habite New-York, méfiez-vous, rien n'est moins New-York que Water Mill, Kings Point et encore moins Sagaponack. (Vanessa Wong, Bloomerg Businessweek, 22 février 2011 [4])
À titre de comparaison, en France, au 29 décembre 2010, la valeur immobilière médiane se situe [5] aux alentours de :
. National, Appartements : 2.825 €/m2 ($ 3.872 avec 1 € = 1,3708 $ US au 23 février 2011)
. National, Maisons : 2.140 €/m2 ($ 2.933)
. Bord de mer, Appartements : 3.660 €/m2 ($ 5.017)
. Bord de mer, Maisons : 3.500 €/ m2 ($ 4.797)

Finalement, on comprend mieux pourquoi Vanessa Paradis et Johnny Depp (2ème Hollywoodien le mieux payé en 2010 avec 100 millions de dollars [6]), Brad Pitt et Angelina Jolie (22ème avec 23,5 millions de dollars), Geoffrey McDonald, l'héritier, choisissent le sud de la France.
Et comme disait Nicolas Cage (22ème ex æquo) dans Lord of war :
« Sur Terre, il y a une arme pour chaque douzaine d'hommes. La question est : Comment armer les autres autres ? »
C'est dire des richesses.








[1] http://www.slate.com/id/2284862?wpisrc=xs_wp_0001
[2] http://finance.yahoo.com/news/How-Hosni-Mubarak-Got-Filthy-usnews-3723955512.html?x=0
[3] http://shopping.yahoo.com/articles/yshoppingarticles/520/the-worlds-most-expensive-bed-for-sale/
[4] http://realestate.yahoo.com/promo/americas-richest-small-towns.html
[5] http://www.cotation-immobiliere.fr/aspx/cotations/indice/CotationIndices.aspx
[6] http://www.digitaltrends.com/entertainment/cameron-257m-and-depp-100m-top-list-of-hollywood-earners-in-2010/

mercredi 23 février 2011

La nostalgie du fifre



Écoutez, les Gascons... Ce n'est plus, sous ses doigts,
Le fifre aigu des camps, c'est la flûte des bois !
Ce n'est plus le sifflet du combat, sous ses lèvres,
C'est le lent galoubet de nos meneurs de chèvres !...
Écoutez... C'est le val, la lande, la forêt,
Le petit pâtre brun sous son rouge béret,
C'est la verte douceur des soirs sur la Dordogne,
Écoutez, les Gascons : c'est la Gascogne !
Cyrano à Carbon
Acte IV, scène III





Une photomaton

Comme tout, j'attendais l'occase. Puis l'interview de James Ellroy, extraite de Petite mécanique de James Ellroy, aux éditions l'Œil d'or [1]. C'est souvent ainsi que tout commence, au petit détour la chance, l'opportunité ; et cette photo de ma mère lisant un livre sous la véranda, offrant pause gracieuse à son photographe. Elle sourit si tendrement qu'elle en devient réellement plus jeune que moi.
[Je ne comprends pas la possession que la photo – qui, comme disait Bachelard [2], « n'a pas de passé » – peut exercer sur nous. On a beau parler d'instantané, en fait, il n'en est rien. On classe, on range, on oublie, l'image rentre dans sa coquille, y compris celle qu'on a sous les yeux à longueur de temps. Jusqu'à ce jour, où pour x raison, on tombe dessus :
Au beau milieu du désert,
La fleur éclot,
Jamais pareille.
Dingue !
Tout à fait comparable à l'exclamation du visiteur, à l'amusement de fin de soirée qui consiste à montrer la photomaton de son permis de conduire : plus rien n'est soi que soi-même l'on cherche à entrevoir.]


Une nostalgie mouton

À tout dire, la nostalgie est aussi politiquement correcte qu'un Grand blond avec une chaussure noire – surtout n'en jamais parler à son maître de stage, son DRH. Et bien qu'on lui doive les plus belles pages jamais écrites, l'Iliade et l'Odyssée, les poèmes de du Bellay, plus près de nous les chansons de Brassens ou de Polnareff, parler de nostalgie c'est comme concéder au passé un alibi de sortie ; cette façon qu'ont les artistes de tirer leur révérence d'un trait de chapeau. En cela, jamais meilleurs arguments que les grands débats télévisés post-présidentiels joutant sur le thème d'un passéisme déstabilisateur.
La nostalgie ne ferait pas plus avancer les choses qu'une 49,9 poussive, à contrario, rien ne véhicule plus l'allégresse, la marche en avant que l'inverse. Mais justement, qu'est-ce que l'inverse qu'aucun dictionnaire n'arrondit d'antonyme sûr ?
Et donc Ellroy, à qui l'on posait la question : « La nostalgie des gens pour ces années-là cache un désir de revenir à une époque inconsciente. Une époque où tout était sous contrôle. Où ils ne voyaient rien, ne décidaient rien. Ne savaient rien. Aujourd'hui nous savons, et nous ne contrôlons pas. C'est une nostalgie de mouton. La paix du tout dissimulé. »
Autrement dit, la nostalgie, c'est l'histoire biblique des cochons qui se jettent du haut de la falaise [3] : ici, version américaine d'une possession qui mène droit dans le mur. Tandis que connaître, savoir, c'est plutôt chercher des noises à tout ce qui ne bouge – pas ou plus. Parfait.
Las, mon James, tout n'est pas si simple. J'ai bien peur que ta réussite et l'espérance que tu attends de ta vie n'aient que faire d'une quelconque nostalgie. Bois donc ton lait.
Dans Les Bienveillantes, Jonathan Littell dissèque la vie d'un nazi pur et dur, quasi nostalgique d'un temps qui faisait de lui un respectable SS-Obersturmbannführer... pris entre le désir d'être et le non-être d'avoir été. Ainsi serait-on, dans ce cas, nostalgique plus par devoir que par aspiration. Et c'est bien là, le paradoxe. Pour nombre de gens, la nostalgie se conjuguerait au présent souhaité et non pas à la disgrâce de devoir piocher dans le noir de café. On veut bien fouiller mais sans se souiller. Sans avoir à se justifier. Et c'est ici, dans cette extrême ambiguïté d'un passéisme extrêmement mal vu, que la nostalgie est perçue comme désuète ou permissive. Et ce, d'autant que personne n'ait réellement connaissance de la meilleure Histoire qui soit ou serait. Chercher des solutions dans le passé, certes, mais rien ne prouve qu'elles soient d'une conductibilité avantageuse. C'est après que l'on peut dire. Toujours cette notion d'antériorité du chat qui se mord la queue.


N'empêche.

Il est de bien bonnes choses que nous ayons vécues et que nous gardons de par vers nous comme inimitables. Et quel pied de nez ! Alors au diable les croque-mitaines, les sénateurs de la cause arrêtée !
On avait beau en savoir moins sur le déroulement du monde, on était peut-être bête comme chou, mais alors qu'est-ce qu'on savait vivre ! De valeurs et de respect. Une femme aurait pu sortir de Carrefour à 22h30, le caddie rempli ras la gueule, charger tranquillement sa voiture et s'en aller la laver à l'automate qu'il ne serait venu à personne l'idée de la violer et autres us du genre. Enfants, nous jouions des heures sans portable collé aux basques, ni parents furibards méga-inquiets. L'hiver, on revenait de l'école à nuit tombée parce qu'on savait où gauler des noix. Ce monde-là est passé comme une lettre à la Poste, beaucoup trop vite. On aurait dû exiger le tarif lent. Il n'y avait d'herbe que le pissenlit au lard ou le panais pour les lapins. Il n'y avait de champignons qu'une poêlée de giroles ou de ceps. Il y avait les Blousons noirs, mais uniquement le samedi soir, et encore, se battaient-ils entre eux.


Horloge ORTF 1961

On respectait les aînés, les instits, le garde-champêtre, le curé, et tout cela sans souffrir d'aucun manquement de politesse. Il n'y avait qu'une chaîne de télé en noir et blanc, pour quatre heures un bout de chocolat à croquer, de deux morceaux de bois on faisait une épée, une vraie guerre de tranchées entre ceux de la place et ceux du champ de foire, avec ses blessés geignards, ses rapatriés boueux. À la première neige, la ribambelle dévalait les pentes le cul tripé, Paul-Émile Victor était dans toutes les têtes, avec une vieille remorque à vélo on s'inventait des chiens de traîneaux et c'était parti. Les grands bols d'air du jeudi relevaient de notre propre ressort : on décidait de pêcher, on pêchait des bleues, des perches arc-en-ciel en veux-tu en voilà ; on faisait les cons dans le foin, un bon coup de pied au cul nous remettait aussitôt dans le droit chemin ; il y avait des experts en lance-pierres, en radeau, des acrobates de peupliers – tout là-haut –, des déconneurs de caté dans le dos des bonnes sœurs, d'aventureux cyclistes sans freins et sans garde-boue. On bichait les gamines sans penser à mal.
On n'aurait pas changé d'un iota pour tout l'or du monde, c'était notre vie et elle était sacrément belle. On s'enfumait de Goldo dans l'arrière-salle du babyfoot, pas un samedi soir sans son bal du Vox. Pour un Charles Bronson, un Delon, un Ventura on se talait, fiérot, les fesses sur des sièges en bois, les plus riches lichaient un Kim cône, froissaient des papiers La Pie qui Chante le regard rivé sur l'immobilité d'une réclame Jean Mineur. Ça sentait bon l'eau de Cologne et les vieux empestaient la Gomina. Cinéma Paradiso ! Le dimanche, foot et tournoi de sixte, en mobylette.
Et le lundi, ça repartait de plus belle : l'usine, les trois-huit, les trains réglés comme un régulateur, les bouchers, la boulange, Les Économiques Troyens, le camion-tournée des Coop, les cours de ferme, le toubib qui partait en trombe au volant de sa DS, les Chausson pollueurs brinquebalaient leurs flots d'élèves, les plâtriers-peintres revêtaient leurs blancs, les mécanos leurs salopettes. C'était jour de lessive. Les allocs tombaient au début du mois, un grand mandat bleu-rose que le facteur réglait rubis sur l'ongle. Avec ça et la paye du père, fallait tenir. À douze ans, n'importe quel gamin savait bêcher un jardin, l'emblaver, arracher les patates ; les filles montaient leur trousseau. Y avait le bois, de A à Z : hache, cognée et scie à bras ; y avait toujours un fricot qui mijotait sur la cuisinière ; l'été on tirait l'eau du puits, on s'arrosait avec.
On avait nos SDF, mais ils ne mouraient pas de faim ou de froid, tout simplement parce qu'il y avait toujours un petit boulot pour eux. On les disait rudes à la tâche. Plus souvent avinés que méchants, on évitait de les croiser, eux-mêmes avaient leurs points d'eau, un ou deux bouibouis attitrés. Quels malheureux ? Tout le monde était plus ou moins à la même enseigne. Les notables ne faisaient pas forcément montre d'ostentation, ils étaient notables comme nous étions ouvriers. On finissait tous dans la 203 à pompons noirs du père Biquet.
On a vécu la guerre des Six Jours, la guerre civile cambodgienne, l'assassinat de Kennedy sans vraiment savoir ce qu'il en était. On se méfiait de la radio autant que du nouveau franc de Pinay. On confondait Barcelone et Lisbonne, c'était « tout du pareil au même ». La Limagne nous faisait penser à Vercingétorix, et on aurait volontiers situé Romagnat sur les rives du Tibre. Et puis les journaux servaient à d'autres fins : chercher les morts, trouver le bon cheval, allumer le poêle, emballer des plants de poireaux, caler des conserves, on en couvrait les cageots, on en faisait des semelles de bottes. Ça n'empêchait ni le lilas de fleurir, ni les fins de mois de se boucler.


La part d'héritage

Alors, je veux bien que ma version soit aussi partiale que mes années d'enfance bonheur ; n'empêche. Si au moins notre époque osait se regarder dans le miroir...
Que dalle !
On ne respecte plus personne, c'est dire de la politesse. Le 11 novembre : c'est quoi tous ces monuments aux morts ? Les commémorations, les fériés, les Victoires, Noël, autant de pièges à pognon dans la ruade des centres commerciaux ; c'est tout. 19 chaînes TNT sur écran plasmatique essentiellement dédiées au sensationnel, à la cuisine, la déco, au jeux dispendieux, la pub en boucle ; rien. Plus de neige sans sports d'hiver, plus de vélo sans frein à disque, plus de poilade dans le foin sans coup de fusil milicien, plus de gamine sans chercher à la baiser. Herbe et drogues dans le palliatif des jours : dimanche défonce et lundi jusqu'à point d'heure.
Les usines débrayent, le marché du travail s'amincit à mesure que les tâches se bubonisent de celles qui disparaissent. Les trains, quel train, quelle heure ? Les jardins, quel jardin, quel gamin ? Les cours de ferme plus désertes qu'un Mojave en plein cagnard. C'est vrai qu'on n'est plus dans cette « paix du tout dissimulé », mon James. C'est vrai qu'on inscrit tout en toutes petites lettres, qu'on sait tout sur tout. Mais qu'est-ce que le détail quand l'essentiel n'y est pas, n'y est plus ? À quoi ça me sert d'avoir la composition du gel douche dans son intégralité si je n'arrive même pas à me débarbouiller l'âme au bon vieux savon de Marseille ? À quoi ça me sert de vivre 100 ans si d'une huitaine à l'autre je me demande à quelle sauce on va me croquer ?
Il y a du feu rouge à tous les coins de rue et de l'interface au fond de toutes les poches : c'est l'histoire absurde des bagnoles de plus en plus puissantes et des radars verbalisateurs. Je n'ai pas sitôt qu'on me le reprend déjà. On a forfait et forclos nos vies... Il n'est seulement d'imaginer ce quelles seraient si, sans nécessairement sacrifier au progrès, à la santé, et même au confort, nous adopterions celle de nos pères. Mais bon, comme disait Signoret : La nostalgie n'est plus ce qu'elle était [4]. Et puis quoi, il faut bien vivre avec son temps. Mes enfants auront d'autres combats que je n'aurai pas eu. Eux aussi, qui sait, auront peut-être à récriminer contre leur époque, disant que la pollution n'est plus ce qu'elle était, que deux salaires faisaient honorablement vivre une famille, que leur mère et moi savions nous passer de ces futilités qui envahissent désormais leur vie. Ce temps qui me grattouille de toutes parts fera-t-il pour eux l'objet d'une nostalgie dont je n'ai même idée ?
Mais une chose est sûre, sans morale, sans éducation, sans principes de base, ni valeurs, plus aucune notion de bien et de mal n'est possible. Voilà peut-être ce qui, justement, m'insupporte le plus : le désengagement des parents, des éducateurs dans la transmission du message qui prime sur tout. Et nul ne peut prétendre moins aimer son enfant parce qu'il a en charge un devoir qui passe autant par la tendresse que par la fermeté. Ma nostalgie ne regarde que moi mais ce que je tiens de mes propres parents, cette oralité, cet enracinement de la meilleure éducation qu'ils nous souhaitaient, à mes frère et sœur et à moi-même, c'est une part non-négligeable de l'héritage qu'il m'appartient de dédier à mes propres enfants, au compte-gouttes des jours.

Autrefois, on pouvait rester des heures devant l'horloge ORTF et sa grande aiguille animée. C'était ça la télé, un état de veille.


Mire 2008

Bien plus tard est venue la grille colorée de fin de programmes et son état de zap – Qu'à cela ne tienne, on allait voir ailleurs.
Depuis, nos zappettes n'ont cessé de prendre le pouvoir à grand renfort de touches et de menus.
Et la vie, dans tout ça ?






[1] Collection Essais et entretiens, juin 1999
[2] La poétique de l'espace, Gaston Bachelard, essai PUF
[3] Matthieu 1, 28-32
[4] Simone Signoret, Seuil 1978

mardi 15 février 2011

La revanche des nénuphars


Je dirai qu'il est des réflexes que nous portons tous du commun usage de nos habitus. Ainsi Giscard se prenait-il pour Verchuren dans les couloirs de sa noble maisonnée ; ainsi, du post-aveu de Mazarine, Mitterrand se plaisait-il à regarder Starsky & Hutch. Peut-on pareillement supposer qu'hier soir, j'ai bien dû regarder quelque chose que notre Élyséen a zieuté.
À part ça, RIEN.
Ils avaient, ils ont pour eux d'émietter notre pauvre et benoîte société. Rien de partage entre eux et moi. Autant demander à Némo ce qu'il sait des pêcheurs de palourdes, à Roland Emmerich
[1]
ce qu'il sait de la fin du monde : entre ignorance pour le premier et parfait décalage pour l'autre. Le goût de l'enrobé que l'hiver s'amuse à défoncer et qu'on rustine au printemps. C'est un peu le sens des nombreux PPS que l'on reçoit.
À part ça donc, RIEN.
Disons, une mare silencieuse dans la ferveur de ses pets méthaniques : des coassements, le dos sombre de la poiscaille, la platitude des nénuphars ; mettons Monet en sus et figeons la perspective, l'attrait touristique.



La revanche des nénuphars
La Révolution du jasmin, aujourd'hui celle des Cairotes de la Place Tahrir, c'est un peu la revanche des nénuphars quand la crue vient à s'en mêler. La crue, comme la sarabande de la piétaille appelée à faire taire les crapauds pour que dorme en paix la seigneurie lasse. Et cette danse, cette incantation vire soudain à la pluie, aux rus qui se ruent en troupes compactes, décidées, battant pavé et formant d'amples deltas contestataires.
Mais quoi pour en arriver là que nul [au sens propre] ambassadeur, nulle pompe, nulle CIA n'a vu venir ? C'est comme si notre pêcheur de toute à l'heure s'intéressait plus à l'attirail qu'à la faune halieutique fricotant à ses pieds.
Alors quoi ?
Quoi, si ce n'est ce que l'on peut résumer du seul mot de mafia. Prédateurs mafieux fourvoyés à l'extrême dans la corruption généralisée où tout se paie, tout s'achète. Une voiture négociée le matin même à 4000 dinars et contractée le lendemain à 8000 [2] ; des billets glissés entre les pages du passeport ; le blé coté en Bourse comme une vulgaire ferraille. Affameurs, corrupteurs et la liesse populeuse qui monte et Louis XVI de s'interroger qui de la révolte ou de la révolution. Trop tard.
Un jeune s'immole par le feu.

Mais nous ?
Qu'en est-il de l'Europe et de ce vieux pays arguant son évangile au frontispice des mairies ? Avec nos “ Déclaration universelle des droits de l'homme et du citoyen, Convention, Constitution, chartes et serments ” encalminés, sommes-nous mieux lotis ? Les domaines ne manquent pas où nous pourrions dire : « Vivante, en effet, est la Parole, efficace et plus incisive qu'aucun glaive à deux tranchants, elle pénètre jusqu'au point de division de l'âme et de l'esprit, des articulations et des moelles, elle peut juger les sentiments et les pensées du cœur. Aussi n'y a-t-il pas de créature qui reste invisible devant elle »[3]. Fille aînée de l'Église, comme il est de la qualifier, la France laïque jusque dans ses redondances les plus athées n'en est pas moins au ban de sa propre désillusion. Paupérisation des classes moyennes – c'est dire de la France d'en-bas –, épée de Damoclès en permanence au-dessus de la tête, peur au jour le jour – c'est dire du lendemain –, technocratie omnisciente et sans état d'âme, faux prophètes mercantiles, les domaines de fauverie ne manquent vraiment pas.


T.E.S. soupe(s) aux choux
Le Travail fermement dissocié de l'Emploi et l'emploi lié à la Santé pour n'en faire qu'un seul et même ministère, comme une prophylaxie de la cause et de l'effet – la cause imparfaite et l'affaire entendue. Parce qu'il n'est plus d'emplois pour lesquels les RGPP n'ont de cesse de prôner le dégraissage ; parce que la constante, public-privé tout confondus, est justement de tordre la serpillère déjà sèche comme les couilles à Taupin. Parce qu'il n'est plus d'emploi qu'on ne s'emploie à supprimer ; façon de dire qu'il n'y a de travail que pour 28 millions d'actifs [4]. Les autres, la cour des jobs béquillés au noir, des appointements de comptoir, des fèves de galette, relevant de la réserve indienne par l'usage colonial de la cacahuète jetée en pâture ; la dignité sacrément mise à mal – le Glaude et le Bombé de La soupe aux choux.
Et la santé, cet élément comptable rationalisé d'ARS et de guingois, aussi dégarnie qu'un crane chauve, en personnels, en lits (pas sitôt opéré qu'il faut rentrer au bercail) ; aussi Picsou qu'un ticket modérateur quasiment indexé sur la grimpette du prix de l'essence [5] ; aussi préoccupée de santé que le déremboursement des médicaments et l'auto-médication le laissent penser. Pourtant. À tout salaire, toute pension la part toujours plus substantielle des mutuelles et, bizarrement, des cotisations sociales. Tout le contraire d'une Bourse repue de veaux d'or, d'un CAC40 émule de paradis fiscaux, de comptes numérotés, de bedaines daumières pavanant sur les ponts frais teckés, dans les cercles, les yacht-clubs.


Daumier 1831 (agrandir)


Saint Louis rendant la Justice New Age
La Justice chahutée pour un chêne de tapisserie, une balance d'antiquaire : bouquet garni d'une carte judiciaire remaniée à grands renforts de redéploiements, d'attributions, de pôles, avec tout ce que cela comporte de distance et de distanciation. Tribunaux engorgés, services de probation submergés de suivis et de contrôles, prisons dépassées, lampistes et dindons de la farce contraints de faire grève pour une sordide histoire de mec dont on devrait disperser les restes au quatre vents de l'indifférence – En cela, une autre volonté, du courage. Ce n'est même plus donner sa chance, c'est offrir sur un plateau ce que la société dénie au simple soldat.
Dans sa Vie de Napoléon, Stendhal affirmait déjà le vrai courage :
« [On commence à voir en Europe que] les peuples n'ont jamais que le degré de liberté que leur audace conquiert sur la peur. » [6]
Les prisons ne sont plus ces lieux justiciables où l'on met pour un temps les plus turbulents au piquet. On en est bien loin. Autant donner le contrôle d'une classe aux plus agités, leur conférant des droits là où eux-mêmes ne s'en figuraient même pas : Tu as fait le con, je te file pleins de bonus pour ton collector, voilà en substance le New Age. Application non-dissuasive des peines plancher de la récidive et du tout carcéral, tout simplement parce que la prison n'est plus le lieu du redressement, allez, de réinsertion, mais la foire à neuneu, un neuneu cent fois mieux servi, mieux assisté que les victimes ou nos Anciens – vous savez, ceux-là mêmes qui ont fait et se sont battus pour que nous soyons ceux que nous sommes, à leur grand dam, parfois leurs regrets. Donnerait-on la lune aux usagers qu'il faut désormais nommer, par antonomase circonlocutoire, « personnes placées sous main de Justice », qu'ils casseraient encore la baraque cependant que leurs proches clameraient à micros ouverts la loi du toujours plus.
Mais quoi, à peine écrouées, ces mêmes personnes se voient diversement remettre crédit de peine, accès au téléphone, trousse d'indigence... même les tampons d'empreintes ne marquent plus les doigts. Viendront ensuite les timbres, les aides juridictionnelles ou non, les colis de Noël, les spectacles, tout un panel de petits soins et de bienveillance ; entendons par-là la prévention d'un suicide hautement impensable et autrement plus capital que celui du surveillant ou de l'acculé père de famille. Dans l'heure qui suit son incarcération, ladite personne s'entretiendra avec une foultitude de monde : personnel de direction, médecin (urgentiste s'il le faut), infirmier, services sociaux. Sera-t-elle ensuite reçue par l'instituteur, le psychiatre, le psychologue ; lui proposera-t-on du travail dès lors qu'on en aura et qu'on la jugera apte. Quelle institution plus garante du bien-être de ses pensionnaires pour faire mieux que cela, mieux que la vie de tous les jours et de tout un chacun ne peut procurer en un laps de temps aussi faible ?
« Lorsque j'étais enfant, un garçon de dix-neuf ans menait une section au feu. Et la ramenait. Autant que possible. S'il s'endormait en sentinelle, on le fusillait. Quand un garçon du même âge, aujourd'hui, plante un couteau dans le ventre d'une vieille dame, on en accuse la société. On plaint le pauvre enfant d'avoir manqué d'une mère qui le chouchoutât suffisamment. Peut-être a-t-on raison […], mais on est bien obligé de constater que l'âge adulte commence plus tard. », remarquait Vialatte [7] dans son billet du 5 février 1967. Qu'en penser, quarante-quatre ans plus tard ?
Je suis fier de mon administration, c'est une ruche à nulle autre comparable, un condensé de société, une fichue école de vie en accéléré, avec ses hauts et ses bas, ses rencontres, quelques surprises. Je suis fier de mon administration, mais pas de celle qui veut nous faire prendre des vessies pour des lanternes, aussi indécise qu'une jeune mariée devant le fait accompli ; pas de celle qui passe le plus clair de son temps à produire du 21 x 29,7 parapluie, là où une bonne rodomontade s'imposerait. Je suis fier d'une administration qui m'épaule et me soutienne, mais pas de celle qui circonlocutionne devoirs en droits au bon dos d'une autocratie européenne. Qu'est-ce que cette nébuleuse vient faire dans la spécificité sociétale, pour faire plus court, l'Histoire de France ?
… Construire de nouvelles prisons c'est, d'une part, donner du travail à ceux qui y travaillent, mais certainement pas le goût d'y travailler (Il n'est de voir, en dernier lieu, tous ceux et celles que l'on recrute à des moyennes et des psychologies dépassant l'entendement : concours illusoire et comico-cruel qu'une publicité aseptisée appelle de ses vœux). Construire ces prisons modèles, c'est aussi faire entrer le loup de l'externalisation dans la bergerie. L'argent public capitalisant les grossistes de la Bourse tels que Bouygues, Eiffage, Sodexo [8], c'est dire s'il fera long feu du Public... contenant heureusement jusque-là ses pouvoirs régaliens (Il n'est de se rendre compte du crédit donné aux boîtes d'audit [9]).
À l'instar du dernier opus de Pascale Roze [10], les ratés ne sont pas toujours ceux que l'on pense.


Doucement les basses
Et ça fait le dos rond. Et ça fait de grands slupp. Ça rêve de pelotons d'exécution, de tranchées, de baïonnettes et de mines, celles qui explosent, celles qui noircissent les poumons. Ah, la guerre, la vraie, que n'est-elle plus ?
Il n'est rien de dire que la vie relève autant du continuel miracle que de cette absurdité qui nous enfonce la tête sous l'eau. C'est le grand pléonasme de la modernité.
Tiens, le prix des carburants : pourquoi chiffrer l'impossible à ce millième d'euro qui n'existe pas ? Pourquoi le litre de gasoil à Dunkerque diffère-t-il de celui de Gap, alors qu'on a créé le prix unique du livre ? Consommerait-on davantage de bouquins que d'essence ? Idem pour la carotte et le kilo de patates, les nouilles et le riz [11]. Alors quelle Europe, quand on est même pas fichu d'uniformiser sur un même territoire les produits de grande nécessité, quand le simple étiquetage, la plus subreptice augmentation ramenés au franc nous fait soudain prendre conscience du poisson que l'on noie à grand renfort de statistiques bidouillées. Et mille et unes choses de la sorte.
Là encore, ce n'était pas cette Europe-là que nous appelions de nos vœux, intouchable père Fouettard, mais celle de l'équilibre dans les échanges (main-d'œuvre, compétences...), avec ce grand tout de l'harmonie – certes utopique, en tout cas à cent lieues d'une arbitraire harmonisation.


Abstract @ Inez Correia Marques
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Miracle, ô mon beau miracle.
Il n'est pas une page de journal qui ne culpabilise de hausses ou ne chiale de suppressions. Nous le savons, nous le vivons, nous, dont la grande majorité n'est qu'à un ou deux salaires de la rue, de la caravane. Il est bien loin le temps du bas de laine entre les draps, de la poire pour la soif, des trousseaux. On le sait, la vie est à crédit : les vacances, les études, la maladie, l'espérance faussaire de se croire plus heureux l'objet acquis. Faire son jardin, élever de la basse-cour, acheter sa carte de pêche, toutes ces activités autrefois dévolues au petit peuple ont sacrément pris de l'altitude. Alors pensez, bouger le petit doigt de ses rêves, autant croire au crétacé de la farce !
Non, la meilleure place est encore celle de l'homme face à la mer. Ermite, de préférence célibataire et de grande ascèse, sans enfants, sans habitudes, sans boîte à lettres ni trop de pluie. Un Robinson, mi Koh-Lanta, mi Seul au monde [12], comme il en est tant au fond de nous. Une île seychelloise, tant qu'à faire. Et pourquoi pas celle d'Arros [13] ? Ou même au fond des bois.
Mais ça, c'est une autre histoire.
Doucement les basses ! gueulerait en chaire l'abbé Delon.


[1] 2012 a été désigné par la NASA le film de science-fiction le plus absurde :
http://www.allocine.fr/article/fichearticle_gen_carticle=18600564.html
[2] Article « Les mentalités doivent évoluer aussi », Le Journal du Centre du samedi 22 janvier 2011, témoignage d'Abdelmalek et de Walid, d'origine tunisienne
[3] He, 4, 12
[4] Nombre d'actifs (en millions) : 2005 = 27,6 ; 2050 = 28,5. Sources Insee, enquêtes Emploi, Projection de population active 2006 – 2050
[5] L'on notera les 10 milliards d'euros de bénéfices engrangés par Total pour l'exercice 2010 (+ 32% !) ; sources tous Quotidiens du 12/02/11
[6] Petite bibliothèque Payot n° 611, novembre 2006, p. 19
[7] Chroniques de La Montagne, Alexandre Vialatte, collection Bouquins-Robert Laffont, volume 2, 1962 – 1971
[8] Sodexo, champion du travail bas de gamme (article Basta ! du 10 février 2011) :
http://www.bastamag.net/article1417.html
[9] Une case de tableau Excel pour unique évaluation “parfaitement licite”, cette même case qui manque à son auteur :
http://eco.rue89.com/2011/02/09/erreur-de-clic-la-drh-envoie-un-fichier-secret-aux-salaries-189612
[10] Aujourd'hui les cœurs se desserrent, Stock, 2011
[11] Nouveau pic historique des prix alimentaires mondiaux (article notre-plantete.info du 11 févier 2011) :
http://www.notre-planete.info/actualites/lireactus.php?id=2704
Quand dans le même temps, le salaire mensuel de base a progressé de 0,2% au quatrième trimestre 2010 et les prix à la consommation (hors tabac) de 0,6% sur la même période (sources France tous Quotidiens du 12 février 2011)
[12] Film de Robert Zemekis, avec Tom Hanks et Helen Hunt, 2001
[13] http://www.parismatch.com/Actu-Match/Politique/Actu/Affaire-Bettencourt-voici-D-Arros-l-ile-mysterieuse-198260/

mercredi 2 février 2011

La vaisselle

« Avec tout ce que tu nous ponds chaque semaine il n'y a aucun canard “ laqué ” digne de ce nom qui t'as proposé un poste d'éditorialiste ? »
À quoi j'ai répondu au gars revendiquant l'article défini comme signature nivernaise à son nom : « Si, ma femme, pour la vaisselle ».





C'est en lisant le dernier bouquin d'Éric Fottorino, Questions à mon père [1], que je me suis rendu compte de la facilité avec laquelle nombre d'écrivains intègrent leur vie dans leurs soi-disant romans. Dommage. C'est très beau, très bien fait, le style adroit, les enchaînements eux-mêmes se laissent prendre de non-dits, de sous-entendus propres à éveiller la curiosité du lecteur. Mais si l'on prend Genevoix ou Giono, avec eux le roman vient de bien plus loin ; et puis, n'est pas Mauriac ou Annie Ernaux qui veut pour écrire entre les lignes.
Dès le moment où j'ai lu cette remarque du copain, pensant à tout cela, à la quotidienneté des choses comme aux écrivains faisant feu de tout bois, il m'a pris de développer.


Trail de vie
Pour commencer, la vie n'est pas dans les livres, vais-je trancher. Mais ce n'est pas si simple. Écrire est un acte lent, avec ses codes. Je dirai que la vie de tous les jours, faire la vaisselle, acheter le pain, emmener sa fille à l'école, visiter son père à l'hôpital, ressemble davantage au trail d'un avion – cette traînée plus un moins longue selon le ciel – qu'à un spectacle. Cependant que l'écrit garde en mémoire l'objet de sa réflexion, de l'ordinaire il ne reste pas grand chose, sinon la conscience d'avoir été, d'avoir accompli et d'enchaîner sitôt. Comme dans le cas de l'aéronef, c'est plus le porteur et son environnement qui comptent : l'équipage, les passagers, la soute, l'énergie, la portance, le chemin.


Gabin La Horse © Pathé (agrandir)

À bien y regarder, on est rien tant soi-même que dans le dénuement d'un repas de famille, quand il est donné à chacun de raconter sa journée, ses méandres, ses silences parfois. Pas de télé, de jeux, de distorsions, un peu comme autrefois les tables de ferme s'emplissaient d'usages. Et j'ai bien mis une bonne quarantaine d'années à comprendre l'importance indissoluble des petites choses qui forment une vie.
La sagesse de l'âge ? Bof, tout âge a ses perles. Au Moyen-Âge, un vieillard de cinquante ans devait avoir amplement fait le tour de la question. C'est sans doute cela qui nous est transmis. Le reste, avec l'espérance de vie que l'on sait, n'est que surplus ou confirmation.


Ailleurs meilleur
Longtemps, nous rêvons tous d'un ailleurs meilleur, dont on ne sait pas trop en quoi il serait meilleur – à moins de vivre dans un carton, à six au fond d'un garage. C'est plutôt dans le courant des jours que nous progressons ; pensons au wagon ballotté sur ses rails. De la même manière qu'un médecin participe de progrès, la vie qui nous est dévolue doit, normalement, contribuer à cette même évolution : de ses enfants, de son chien, de soi-même ; mais pas seulement. Gabin taisait sa vie privée parce qu'il savait qu'en faisant cela, il préservait son équilibre. Ni drogues, ni subterfuges.
Longtemps, nous rêvons tous d'un ailleurs et nous nous battons, les places sont comptées, la vie forcément meilleure. C'est même là tout le principe des concours. Ainsi va-t-on demander plus au candidat que la formation des plus chanceux ne leur délivrera. Pas sûr que « La notion de préjudice dans l'action civile » [2] ou « Le discernement en droit pénal » [3] desservent pleinement le recrutement des lieutenants de l'Administration pénitentiaire ou des commissaires de Police. Et quand bien même cela se ferait-il par présélection des plus réceptifs, quand bien même aussi la moulinette des oraux ou des psychologues, il n'est pas certain de jamais parvenir à se prévaloir des plus doués. À preuve ces entêtés qui n'ont d'espérance que dans les tentatives successives [4], reculant de session en session le bien-être d'un ailleurs qui sera ou ne sera pas. En quoi d'ailleurs ont-ils été plus performants après qu'avant, ont-ils à ce point changé ? Ce sont souvent autant d'exilés que la mer aigrie chahute.
Une illusion pour laquelle nous n'avons de cesse de nous illusionner. Un commissaire de Police est constamment le cul entre deux chaises, jamais débarrassé de ses fonctions, quasi corvéable et cent fois moins payé que dans les feuilletons. Il est loin le discernement pénal pour celui ou celle qui n'ait pas préalablement discerné ce dans quoi il mettait les pieds. Certes, la gloriole, et pourquoi pas le pouvoir ; certes, on se fait à tout, aux mutations, aux cassures, mais à quel prix et pour quel préjudice ?


Le volume
Pareil pour le livre, qui vit et meurt comme les pages d'un éphéméride que l'on tourne. L'important n'est donc pas dans la matière organique du bouquin, la possession, mais dans le trail qui l'aura engendré. Le reste n'est que vide sidéral. En fait, le plus jouissif n'est pas dans ce qu'on a écrit ou lu, mais dans le mûrissement des découvertes, dans cette part de vérité qui sort du tout-venant. C'est un peu comme de se prouver à soi-même qu'on est encore capable de faire ce qu'hier nous paraissait normal.
La belle aventure est celle que l'on perpétue le plus loin, le plus longtemps possible, parce que purement et simplement indissociable de soi. Mais la vie, la vraie, n'en à rien à battre de nos conquêtes, de nos illusions. Ses exigences sont autres, banalement plus rébarbatives.
La vraie vie s'apparente plus à de la survie au ras des pâquerettes. Encore une fois, le reste n'est que surplus ou fil au-dessus du vide, comme on veut, comme on peut. Avec en plus l'épreuve du miroir : C'est qui le mec dans la glace ? Et force est bien de constater que ceux qui s'en tirent le mieux ne sont pas forcément les mieux lotis mais, à tout le moins, ceux qui compensent la banalité par la vertu des petites choses bien terre à terre.
Un canard si laqué, si bien léché soit-il, ne m'aidera jamais à parvenir à ces sommets que nous connaissons tous : monticules de conversations banales, buttes de parties de pêche, mottes de plaisirs sans nom. Monuments souvent élevés à hauteur de profondeur. C'est même souvent ce qui nous reste après des années et que nous insérons pieusement dans l'album de nos propres souvenirs. On dit alors que l'épaisseur liée à la hauteur et à la profondeur font tout le volume, prennent toute la place. C'est l'âme d'enfant qui fait que l'on se souvient si bien d'un temps que nous qualifions d'heureux. Je pense aussi à ceux qui n'ont pas eu d'enfance, ceux qui n'ont pas su la préserver.


La cherté des huîtres
Voilà, mon Wlad'. Voilà pourquoi les éditoriaux de vaisselle ne sont pas si dévalorisants qu'on le pense. Mais le savais-tu déjà.
Et ne m'en veut pas de citer Le crépuscule des idoles de Nietzsche, quand il prétendait que « la vie elle-même nous force à déterminer des valeurs, la vie elle-même évolue par notre entremise lorsque nous déterminons des valeurs » [5]. Autrement dit, la valeur des choses ne se comprend que si on la rapporte à la vie. Le jeu substantiel de l'authentique vérité naît ainsi d'une sorte d'étonnement initial, quasi originel ; ce qui fait l'essence même de la vie.
Aux trois sens du mot “ vie ” (par opposition à mort, par opposition à intelligence en tant que pur instinct et par ce qui caractérise l'être vivant), Nietzsche se plaisait à rappeler ce qui lui semblait finalement primordial : la substance. Comprenons par-là que chaque personne est à elle seule une micro-société qui l'unit et la hiérarchise – nous entretiendrons toujours avec l'extérieur et la nouveauté une constante méfiance, parfois de l'inimitié. Affirmer sa vie, c'est prendre conscience de ses capacités d'instinct. Et se fier à son instinct, c'est déjà donner – et se donner – de la valeur.
Pour rebondir aux propos du philosophe qui, cette fois, n'y voit pas la même chose mais plutôt son contraire [6], je dirais que pauvreté de vie et surabondance – au sens de richesse – font plus souvent bon ménage qu'on ne le pense. La position intermédiaire, l'égalité parfaite n'existant que dans les contes.









[1] Gallimard 2010
[2] Concours interne 2011
[3] Concours externe 2004
[4] Maximum 3 fois pour présenter le concours de lieutenant de Police
[5] La morale en tant que manifestation contre nature, §5
[6] Nietzsche n'est pas ma tasse. C'est précisément pourquoi étant “ extérieur ” à moi, il me plaît d'en décortique le propos. Ainsi, contrairement aux idées reçues, la valeur des choses ne se trouve pas systématiquement au cœur des huîtres perlières.
(À replacer les choses dans l'ordre, c'est plutôt moi qui ne voit pas la même chose que Nietzsche... m'enfin !)