samedi 29 mai 2010

Les Raisins de la Raison Close **



« Nous entrerons dans la carrière
Quand nos aînés n'y seront plus.
Nous y trouverons leur poussière
Et la trace de leurs vertus.
»

L'hymne le plus sifflé de France comporte aussi ces quatre vers que l'on peut aisément rapporter à la retraite des uns faisant la carrière des autres.
Dans un monde rationnel la retraite sert à cela, la passation, comme elle contente celui qui aspire à la prendre. Grosso modo, on part avec 1288 € brut par mois [1] auxquels s'ajoutent généralement quelque 300 euros de retraite complémentaire. Bon an, mal an, retenons ce chiffre : 19.056 € brut/an, compte tenu de quarante-et-une annuités de versement à 60 ans (55 exprimés en terme de pénibilité)... Un monde rationnel, lui-même à toute aune du seuil de grande pauvreté, estimé en deçà de 10.800€ par an.
Mon pauvre Rouget de Lisle, les temps ont, hélas, diablement changé !


Foi de Lolo
La dame Medef l'a crié haut et fort : Non et non, on ne touchera pas aux cotisations patronales pour financer le régimes des retraites ! Ah ça, non ! Les grandes entreprises cotisent [2] déjà suffisamment pour provisionner les dizaines de millions d'euros nécessaires pour financer les retraites complémentaires de leurs dirigeants, Suffit comme ça ! S'agirait pas que nos PDG fassent le grand écart pour boucler le remboursement de leur pavillon de banlieue, ou qu'on les voie traîner du côté de Barbès, rayon Tati.
« Le code Afep-Medef sur la gouvernance des entreprises n'a même pas inclus cette pratique [des provisions] dans la liste des informations à fournir aux actionnaires », s'insurge Pierre-Henri Leroy du cabinet de conseil Proxinvest.
Des provisions ?
Eh oui ! Les entreprises provisionnent de substantielles sommes quant au futur bien-être de leur PDG, qu'on en juge :

Provisions*
En millions d'€ (2009)
En % (2009)
VINCI
40
2,5% du résultat net
SOCIETE GENERALE
32,9
5% du bénéfice net
BNP PARIBAS
28,6
0,5% du résultat net
VEOLIA
13
2,2% du résultat net
PPR
11
1,1% du résultat net
SOLENDI
3,675 (2008)
12% du résultat net (2008)
* dénommées “ Produits constatés d'avance ” ; voir page 5 l'exemple consternant de Solendi et des 3.675.149€ alloués en 2008
¤ Et en plus de toucher des salaires “faramineusement” indécents (que la boîte coule ou dégage des bénéfices, c'est du kif)... salaire de Lindsay Owen-Jones [3] en 2009 :

Rémunération fixe
1.984.664
Rémunération variable
975.000
Jetons de présence
90.000
Avantages en nature*
15.336
total
3.065.000
*dont une McLaren F1 d'un demi million (vous ne rêvez pas)

¤ En plus des stock-options ; 250 millions d'euros pour Antoine Zacharias chez Vinci [4], 27 millions d'euros en seulement 30 mois pour Jean-René Fourtou chez Vivendi...
¤ En plus des parachutes dorés (3,2 millions à Thierry Morin, Valeo, en 2009 ; 6 millions à Patricia Russo, Alcatel, en 2008 ; 8,5 millions à Noël Forgeard, AEDS, en 2006, 13 millions à Zacharias, Vinci, en 2007...)
¤ En plus des bonus, des pensions versées par la Sécu et la caisse de retraite des cadres, les PDG toucheraient une retraite complé-mentaire. La tant décriée retraite chapeau !

Et quelle retraite complémentaire ! Que le boss ait œuvré sa vie entière (cas d'Owen-Jones chez l'Oréal) ou durant quelques années, à son départ à la retraite à soixante ans – crevé, vidé, laminé, usé on s'en doute –, son entreprise lui garantit une rémunération de 50% de tout ce qu'il percevait : salaire, primes, jetons de présence [5]... Exemple : un PDG qui a travaillé trois ans chez G2 & Cie et qui gagnait 2 millions d'euros, touchera 1 million par an, à vie. Si ce même PDG est passé de G2 & Cie à K5 SA (comme Fourtou passé de Aventis chez Vivendi, ou la double casquette de Proglio d'EDF à Veolia) et que K5 SA le payait 3 millions d'euros/an, il touchera 1,5 million/an auquel s'ajoute le million de G2 & Cie, soit 2,5 millions d'euros par an et jusqu'à son décès. Sans compter tout ce qu'il a mis à gauche, en France ou au Delaware (plusieurs millions de biftons), et sa retraite des cadres, disons 100.000 à 135.000 euros par an plafonnés. Total, arrondissons je nous en prie, au bas mot 5 briques par an de moyenne, 395 fois le SMIC [6] net... Oups !
L'est-i pas belle, la vie ?

Âmes sensibles, s'abstenir
30 millions d'euros, c'est ce que perçoivent chaque année les 24 dirigeants d'entreprises cotées, relevant du CAC 40 et de la SBF 80... au titre de leur retraite complémentaire (voir le tableau ci-dessous).
Cotation
PDG
Société
Départ en retraite
Retraite chapeau
(en millions d'euros par an)
Équivalence en SMIC
(12.672€/an net)
Équivalence
moyenne COR
(17.620€/an net)
CAC 40
Lindsay Owen-Jones
L'Oréal
2006
3,4
268
192
CAC 40
Antoine Zacharias
Vinci
2006
2,2
173
124
CAC 40
Igor Landau
Aventis
2005
1,8
142
102
CAC 40
Jean-René Fourtou
Aventis
2002
1,6
126
90
CAC 40
Jean-François Dehecq
Sanofi-Aventis
En fonction
1,6
126
90
CAC 40
Edouard de Royère
Air Liquide
1995
1,6
126
90
CAC 40
Jean-Louis Beffa
Saint-Gobain
En fonction
1,5
118
85
CAC 40
Noël Forgeard
EADS
2007
1,2
94
68
CAC 40
Daniel Bernard
Carrefour
2005
1,2
94
68
CAC 40
Jean-René Fourtou
Vivendi
2005
1,2
94
68
CAC 40
Georges Pauget
Crédit Agricole
En fonction
1,13
89
64
CAC 40
Henri Proglio
Veolia
2009
1
79
56
CAC 40
Louis Schweitzer
Renault
2005
1
79
56
CAC 40
Bertrand Collomb
Lafarge
2003
1
79
56
CAC 40
Alain Joly
Air Liquide
2001
1
79
56
CAC 40
Benoît Potier
Air Liquide
En fonction
1
79
56
SBF 80
Thierry Morin
Valeo
2009
0,88
69
50
CAC 40
Michel Pebereau
BNP-Paribas
2003
0,8
63
45
CAC 40
Daniel Bouton
Société Générale
2008
0,73
57
41
CAC 40
Jean-Martin Folz
Peugeot Citroën
2007
0,63
50
35
CAC 40
Serge Weinberg
PPR [7]
2005
0,6
47
34
CAC 40
Pierre Richard [8]
Dexia
2008
0,583
46
33
SBF 80
Alain de Pouzilhac
Havas
2005
0,1375
10
8
SBF 80
Ch. Gazet du Chatelier
Solendi
2007
0,13
10
7

Que justifie de telles retraites ?
À fidéliser les PDG, nous dit-on du côté du Medef. En leur offrant des retraites chapeaux, on évite qu'ils aillent voir ailleurs... ce qui n'empêchent ni les Fourtou, ni les Proglio de jouer les filles de l'air.
Logiquement, un dirigeant dirige et énonce des stratégies. Il est donc sensé savoir ou prévoir ce que les autres ignorent. Delà à penser qu'il est en ligne direct avec l'au-delà, n'exagérons rien. Il n'est de se remémorer la contribution de l'État français pour aider les banques à survivre à la crise – qu'elles ont elles-mêmes créée –, pour se rendre objecti-vement compte de l'incapacité de ceux qui en furent, qui en sont toujours à la tête. 730.000 euros de retraite chapeau à Daniel Bouton qui a coulé la Soc Gé, 800.000 pour Michel Perebeau de la BNP-Paribas mouillée jusqu'au coup avec la crise des subprimes..., on frôle carrément l'indécence.
Il y aurait de quoi fournir maintes eaux à notre moulin (Daniel Bernard et le scandale de Carrefour ; Noël Forgeard et son parachute doré de 8,5 millions d'euros alors que la prime octroyée à chaque employé d'AEDS n'était que de 2,88€ en moyenne, oui, vous avez bien lu, 2,88€, même pas 20 balles !), c'est pourquoi, je ne parlerai que du cas du “ petit dernier ”, Christian Gazet du Chatelier. Le monsieur 1% logement [9], autrement dit le logement social Solendi, c'est lui.
… Or donc, ce monsieur 1% de chez Bahlsen n'a rien trouvé mieux que de s'adjuger en 2007, sans coup férir – on ne sait trop comment, ni par qui –, 130.000 euros de retraite chapeau et la Jaguar qui va avec ! Chapeau Chatelier, s'écrie feu Séguin ! Car voilà que la Cour des comptes, se penchant d'un peu plus près sur le cas Solendi, découvre en octobre 2009 que 3 dirigeants touchent plus de 200.000 euros par an de salaire, que 19 touchent entre 150 et 200.000 euros, et 31 entre 100 et 150.000 euros :
Bingo, la timbale !
Du jamais vu dans le logement social !
Mieux que les HLM de Paris
Parole de Tiberi [10].

Et moi, et moi... mon Transporteur
Ces jours-ci, je vais à un stage de retraite – eh oui, déjà ! En fait, les acquis d'aujour-d'hui fondant comme neige au soleil, on ne sait jamais quand la prendre. Pour preuve la bonification du 1/5ème dont bénéficient les policiers, les douaniers, les gardiens de prison, les pompiers ; la possibilité de départ anticipé pour les infirmières, entre autres : deux spécificités actuellement « regardé[es] de près », dixit Georges Tron, secrétaire d'État à la fonction publique, ce 21 avril 2010 dans La Croix.
On verra donc l'heure venue. Mais c'est sans doute avec émoi que je vais prendre connaissance de l'archaïsme qui me guette au tournant d'un pâle 12.000€ “cantinable”... à une dizaine d'aunes du petit dernier de la classe. Ce qui, dois-je l'avouer, rapporté en terme de stratégie, correspond finalement à mon profil. Le chapeau, je m'assois dessus.

De tout cela, je garde une pensée profonde pour mon père qui fit de même et nous éleva dans cette noblesse qui fait aujourd'hui tant rigoler les gens de la haute, nos footballeurs et tous ceux de la raison close. Sa banque fut son vélo, comme il se plaisait à le dire. Le vélo noir qui l'emmenait de la gare à chez nous, avec au fond de la sacoche l'argent de la dignité. De ce temps où l'enveloppe constituait le réceptacle des payes, il disait ainsi les millions qu'il avait transporté. Comme une chanson à la Daniel Guichard, on riait, on s'imaginait... et les Aphrodite's Child en pattes d'eph' prenaient fièrement le relais – le pensaient-ils.
_________

** Voir à ce sujet deux très bons ouvrages : Histoire secrète du Patronat de 1945 à nos jours, de Benoît Collombat, David Servenay, Frédéric Chagnier, Martine Orange et Erwan Seznec, La Découverte, 2009, 719 pp ; et Hier la crise, demain la guerre ? de Pierre Pascallon et Pascal Hortefeux, L'Harmattan 2010, 296 pp. On citera aussi quelques sources : Provinvest, AgoraVox, Basta, Wikipédia, La Croix, l'Express, LesEchos.fr, focusco.fr, le Parisien.
[1] Actualité du COR (un ouvrier touche environ 65% de son salaire brut) ~ 17.620€ net par an
[2] Les montants provisionnés sont très peu imposées, quant aux cotisations, elles ne sont si soumises à la CSG ni à la CRDS
[3] Journal du Net : sir Owen-Jones, jeune retraité de 64 ans, perçoit ainsi 3,4 millions de retraite chapeau cumulés au 3,065 millions de rémunération pour la présidence non-exécutive de l'Oréal, auxquels s'ajoutent les 135.000 € de retraite des régimes de la Sécurité sociale et de l'Agirc-Arrco (normal, le pauvre), soit 6.600.000 €/an. Bigre : deux fois les six bons numéros par an et à vie !
[4] Salaire moyen chezVinci BTP en 2006, date de départ de Zacharias = 2.750 €/mois (hors PDG, of course). Zacharias fut condamné en 2010 à 375.000 € d'amende et deux ans avec sursis pour "Abus de biens sociaux" et plus précisément pour rémunérations excessives.
[5] Rémunération accordée aux membres d'un conseil d'administration de SA. Exemples datant de 2005 : Claude Bébéar, 267.958 € (pour BNP Paribas, Vivendi, Schneider Electric et Axa), Antoine Bernheim, 249.528 € (pour la seule LVMH), Henri Lachmann, 231.875 € (pour Vivendi, Schneider Electric et Axa)
[6] SMIC net par mois = 1.056 euros (1.343 brut), au 01/01/2010
[7] PPR, pour anciennement Pinault-Printemps-La Redoute : Gucci Luxe, Puma, La Redoute, LMVH, Fnac, Conforama, le Vert Baudet...
[8] Non, pas lui
[9] Organisme social crée en 1953, le 1% logement est la participation des employeurs à l'effort de construction
[10] Et non pas "Krank" Ribéry, le patient français d'Outre-Rhin

jeudi 27 mai 2010

50 ans... et toujours pas de Rolex

J'étais vraiment loin de me douter voir ça un jour. Comme quoi tout arrive, même au pont Mirabeau de remplir la Méditerranée.
En fait, je m'étais toujours demandé ce qui faisait que tel ou tel gagnait tout ou rien, et, par rebond, que l'une de nos principales obsessions était l'occupation de l'autre ; entendons par-là le traditionnel « Qu'est-ce que vous faites dans la vie ? »[1]. Rares sont ceux que nous côtoyons qui ne nous ont pas posé la question et que nous ayons fait de même avec eux – pour ce qui me concerne, au bout de deux ans, mon coiffeur ne sait toujours rien de mon métier. Non que je tienne à m'en préserver ; les choses étant ce qu'elles sont, disons que c'est plus un défi rigolo qu'une tare.


La reconnaissance du travail
Dans les années 70 il était de bon ton pour le comédien de minimiser son job en le comparant à celui du mineur de fond. Aujourd'hui, nous voyons ce que la nounou ou l'aide-soignante peuvent produire eu égard à la présomptueuse improductivité dans laquelle se complaît une grande partie de l'élite. Sans ces emplois liminaires, rien ne serait possible aux dirigeants ; ainsi le banquier qui ne trouverait pas commodément à faire garder ses enfants – voire à soigner sa vieille maman –, ne pourrait pas “plumer” à satiété.
Pour autant, ces tâches jugées basiques mais non moins essentielles ne sont ni rémunérées ni reconnues comme il se devrait. A l'Hibernatus qui débarquerait à notre époque, il lui serait impensable de concevoir que le coucou gagnât davantage que le productif. Dans un environnement naturel, la meute se reconnaît non seulement dans son guide mais aussi dans la générosité de ses femelles. Que faire d'un jardin où ne croîtrait que fétuques et chiendent ?
C'est ce que retient le rapport britannique de la N.E.F., the New Economics Foundation, intitulé A Bit Rich ?



S'en tenant au degré d'utilité rendu à la société, de nombreuses professions malmenées tiennent le haut du pavé. A celles précédemment citées, ajoutons, d'abord celles qui vous passent par la tête, mais aussi le personnel de nettoyage, d'entretien, de recyclage, les puéricultrices, les chirurgiens, les maçons, les militaires... Tous ces gens créent davantage de valeurs pour la société que la plupart des PDG, fiscalistes, cadres en publicité ou brokers.
Qu'est-ce qui peut justifier qu'un dirigeant qui va “lourder” xxx ouvriers, au seul nom de son infini bien-être et de ses actionnaires, qu'un trader à qui l'on doit la plus grande crise de l'Histoire gagnent tant ? Ce sont autant de mythes auxquels nous avons petit à petit adhéré, au point de les prendre pour vérité.
Sans remettre en cause l'éloquent cursus de l'élite et la normalité rémunératrice qui en résultent, le rapport de la NEF relève une dizaine de mythes extraits de ce qu'il nomme “la société des extrêmes” ; tendant à prouver qu'il n'y a pas de relation directe entre haute récompense pécuniaire et bons résultats pour la société. On comprendra que par-delà l'exercice intellectuel, cette démarche qui nous a tous un jour ou l'autre interpellé, trahit les grandes disparités entre la société et l'économie qui la structure. À l'inverse, demandons-nous pourquoi le monde a basculé dans l'absurde et pourquoi n'encouragerait-il pas dès à présent les activités objectant l'altruisme et la disponibilité ?

Mythe 1 : la finance est essentielle à l'économie mondiale :
Si la finance est vitale au fonctionnement de l'économie telle qu'on la conçoit aujourd'hui, par son incessante quête de profits, elle n'en est pas moins outrancièrement agressive, dirigiste [2]. C'est un vecteur de crise qui s'empêtre chaque fois davantage dans les rouages des bulles spéculatives qu'elle créer.
Mythe 2 : Les emplois faiblement rémunérés sont un tremplin pour gagner plus :
Sérieusement, que peut espérer une femme de ménage ? Gravir un ou deux barreaux de l'échelle ? Le temps qu'elle piétine, les hauts revenus s'emploient quant à eux à participer à la meilleure éducation, à la meilleure position de leurs enfants (école en Suisse, cercles fermés, clubs élitistes...), à disproportionner l'échelle par l'argent. À dire vrai, qui sait même ce qu'il y a en haut ?
Mythe 3 : Les différences de salaire n'ont pas d'importance tant que nous n'aurons pas éradiqué la pauvreté :
En focalisant le problème sur la seule pauvreté, on tronque le débat et on fait abstraction des problèmes sociétaux (criminalité, mauvaise santé, faible taux de scolarisation, toxicomanie) relevant essentiellement d'une société à deux vitesses. On n'est pas criminel parce qu'on est pauvre mais parce qu'on veut accéder coûte que coûte à la richesse. Moins il y aurait de différences de salaire, moins il y aurait de crimes, de mauvaise santé... etc.
Mythe 4 : Nous avons besoin de payer des salaires élevés pour attirer et retenir les talents :
Encore faudrait-il démontrer que salaire élevé rime avec talent ; et si tel serait le cas, il n'est pas sûr que les meilleurs et les plus brillants soient disposés à déraciner leurs familles de pays en pays. Les études faites en ce sens tendent à prouver que les rares pays où l'écart salarial est le mieux contenu sont ceux qui parviennent à conserver leur part d'innovation et de capital culturel.
Mythe 5 : Les travailleurs hautement payés travaillent plus intensément :
Les gens au bas de l'échelle doivent, en plus de leur travail, gérer les tâches domestiques et l'éducation des enfants. Ils sont également susceptibles d'occuper plus d'un emploi pour maintenir la tête hors de l'eau et éviter la pauvreté. Tenant compte de cela, il est évident que les bas salaires travaillent tout autant (voire plus) que les mieux lotis.
Mythe 6 : Le secteur privé est plus efficace que le secteur public et le travail bon marché n'est pas nécessairement efficace :
Ce mythe tenace que le secteur privé est plus efficace a motivé la concurrence des services publics avec les entreprises privées et a ainsi justifié des coûts plus faibles du secteur privé (et des salaires plus bas)... souvent obtenus au détriment de la qualité du travail effectué – ce qu'on retrouve dans la construction des nouvelles prisons, des hôpitaux, des lycées... Il en résulte ainsi du mythe que les hauts salaires sont en fait plus efficaces.
Mythe 7 : Si l'on taxe trop les riches, ils vont tailler la route :
La preuve avec le bouclier fiscal qui n'empêche pas l'évasion fiscale. En fait, de manière intuitive, nous voyons bien que les opportunités d'émigrer sont beaucoup plus complexes que ce que les gens gagnent. Tout dépend d'une multitude de facteurs : non seulement la situation financière, mais aussi la connaissance de la culture, l'environnement, la proximité des amis et de la famille, la qualité des services publics.
Mythe 8 : Les riches contribuent davantage à la société :
Proportionnellement, les riches paient moins d'impôts que les pauvres et beaucoup de nos impôts indirects courants (TVA, essence...) sont plus pénalisant pour les pauvres que pour les riches. Il est même prouver qu'en matière caritative, les riches sont moins généreux que les pauvres.
Mythe 9 : Certains emplois sont si gratifiants qu'ils mériteraient qu'on les rémunère moins :
La satisfaction au travail est liée à un certain nombre de facteurs dont l'autonomie, le revenu et le statut. Mais autant un salaire élevé contribue à minimiser le risque, le stress et les longues heures, autant certains emplois dangereux sont loin d'être récompensés : pour ne citer que quelques-uns : les marins pêcheurs, les couvreurs, les personnes exposées au recyclage des déchets, les pompiers...
Mythe 10 : Les hauts revenus sont toujours synonymes de rentabilité :
Il est évident qu'il n'y a qu'une faible corrélation entre la rémunération et le rendement des cadres. Il n'est de penser à ces entreprises qui perdent de leur valeur tandis que leurs dirigeants voient leurs salaires exploser [3]. Sous couvert de satisfaire les exigences des actionnaires, nombre de PDG servent avant tout leurs propres intérêts.

Voilà, on l'aura compris, sans tomber dans cette démagogie qui consisterait à appuyer là où ça fait mal, pas plus que de remettre en cause les hauts salaires des professions indispensables à la vie comme à la société, le rapport de la NEF suggère que les emplois utiles devraient être beaucoup mieux rémunérés qu'ils ne le sont souvent. Ce qui implique un problème structurel de la société ; ce même problème préalablement avancé dans l'un des trois scenarii du devenir de la civilisation et que l'on nomme Grande Transition [4] (retenant toutefois que des trois, ce scénario préserve au mieux la pérennité de l'espèce humaine).


La politique du Care
Techniquement, humainement, l'une des plus belles prises de conscience dont l'homme est capable et que d'aucuns parisianismes se délectent déjà de critiquer comme une « nunucherie » ou encore comme « l'absurdité d'un Téléthon permanent [5] », porte le nom de Care.
Le Care, cette société du « soin mutuel, du « bien-être » tranche avec l'économie de la société du « tout avoir ». Émergence du milieu féministe américain des années 80, aujourd'hui porté par la première Secrétaire du PS, dérange surtout par la consonance politico-politicienne qu'on lui prête : un parti dénigrant l'autre et vice versa. Mais passé l'écueil facile de cette raillerie, le Care possède au moins le mérite du premier pas. Et rien que pour cela, pour cette étonnante progression d'esprit et pour son parallélisme avec le rapport de la NEF, le Care vaut sans doute droit de cité. Comment peut-on dès lors dire que ce qui conduit à faire évoluer la conception des valeurs du travail et de l'entraide puisse relever de la nunucherie ou de l'absurdité ? Autant donner tout de suite, pour dix-huit heures de travail journalier, deux cents euros à l'infortunée aide-soignante, et on n'en parle plus ; autant continuer de polariser des sommes astronomiques quitte à couler les États, leur faire courber l'échine.
Le Care, c'est déjà cela : la conscience de l'ombre abritant du feu du soleil. C'est l'attention portée aux autres, un New Altruism par la rémunération, par la considération sociale et l'organisation structurelle (je n'arrive pas encore à déterminer l'ordre de ces trois “leviers”, pour employer un mot à la mode). Dans la société actuelle, nous cherchons tous refuge, nous intégrons des association sans nombre [6], nous apportons tous nos soins à nos enfants, aux êtres chers ; nous possédons en nous l'embryon naturel du don et du retour. Les bases du Care nous sont en quelque sorte innées, sinon qu'elles se ré-acquièrent naturellement.
Le bien que nous pouvons en tirer est quasi proportionnel au capital de la Grande Transition, mais aussi de la grande Paix. Tout juste pourrions-nous rétorquer l'utopie, si la sagesse populaire du « Qui ne tente rien n'a rien » et le bien-être qui en découlent ne nous poussaient pas à vaincre ou chasser l'absurdité qui abêtit nos existences. Il n'y va ni de l'objet d'insoumission, ni du coup d'épée dans l'eau, il y va de la révolution dans la manière de « reconsidérer la stratification sociale et les relations entre les individus [7] ».
Déjà le rapport Stiglitz, en son temps commandité par la Présidence de la République, allait dans le sens d'une nouvelle donne des indicateurs à prendre en compte pour l'évaluation de la richesse d'un pays (rapport aucunement suivi d'effet, l'argent et le sacro-saint PIB étalonnant toujours les économies).
La question n'est plus de savoir si l'on peut faire de l'altruisme et de la reconquête des richesses par le biais du social, voire du socialisme [8]. La question est une reconnaissance sociale des valeurs. Sommes-nous tous capables de poursuivre des études ? L'allongement de l'espérance de vie empiète-elle sur des domaines réservés ? En gros, devons-nous continuer à sacrifier les jeunes sans diplômes, les vieux trop envahissants ? Quand François Patriat, président du Conseil régional de Bourgogne, ironise [9] qu' « on ne peut pas baser un programme électoral uniquement sur la société du “Care” », il se trompe autant qu'il a raison. S'il se fourvoie sur le “levier”, il aborde une autre réalité : car si le Care est un instrument de prise de conscience (“baser” n'est-ce pas “poser les bases” ?), il n'est effectivement pas la BCI, Banque centrale d'investissement.
A l'image de L'Esprit des Lois cher à Montesquieu, le Care nous introduit en quelque sorte à l'Esprit de Société. Le verbe engendrer (et toutes ses déclinaisons qui vont de l'accouchement à la renaissance) est sans doute le verbe qui vient à l'esprit. Le Care n'a donc rien d'un Téléthon passager ; la redistribution s'inscrit parfaitement dans la durabilité.
Mai 68 est venu de la contestation estudiantine, pourquoi le Care ne viendrait-il pas d'une controverse féministe, de pauvres Desperate Housewises ou même de « la cuisine à Jupiter » comme disait Coluche ? Pourquoi le Care ne jaillirait-il pas d'un remue-ménage politique ? Qu'importe qu'on naisse en Airbus quelque part entre Hawaï et Mexico, l'important c'est cette infime pulsion vitale qui conduit à la vie.
« Vivre en autrui est la vie la plus haute » soutenait Jean Jaurès en 1898 [10].
Quel mal y a-t-il à réévaluer les petits bonheurs à la Rimbaud, à sous-estimer les tenants du capital, à ré-estimer les acteurs de la vie ?
[1] How much you earn determine your lifestyle, comme disent les Anglais (Ce que tu gagnes définit ton style de vie)
[2] Le yoyo des Bourses édicte ses lois en fonction de l'humeur du moment. Ainsi, l'effondrement boursier de ce 25 mai, suite à l'indécision conflictuelle des deux Corée, au sauvetage de la caisse d'épargne espagnole (la Cajasur) et à une euro faible, dans le seul but politique de "Recherche[r] désespérément grand homme d'Etat européen capable de s'imposer à ses pairs, puis de trancher ou de concilier les contraires", tel que le présente l'économiste François Leclerc sur le blog de Paul Jorion (www.pauljorion.com/blog)
[3] Voir sur le sujet, ma précédente réflexion, Les Raisins de la Raison Close
[4] Les trois scenarii du GSG (Groupe de scénario global) : 1) Les mondes classiques (continuité sans surprise des valeurs actuelles), 2) La Barbarisation ( le monde s'enfonce dans le conflit et l'effondrement), 3) La Grande Transition (les valeurs de solidarité et d'environnement durable font place aux valeurs exclusives du matérialisme et de l'intérêt)
[5] Jean-Michel Aphatie dans le blogactu RTL du 15 avril 2010 et Michel Deguy dans Libération du 19 mai 2010
[6] 1.100.000 associations actives en France en 2009
[7] Blog de Camille Peugny dans Alternatives Economiques du 17 mai 2010
[8] Voire du socialisme : le réseau de Jean-François Copé (UMP), Génération France, s'intéresse également de près à la théorie du "conservatisme compassionnel" du leader tory David Cameron. Les conservateurs anglais préconisant un renforcement de la société civile, mobilisant ses réseaux familiaux et associatifs afin de lutter elle-même, et plus efficacement qu'un Etat jugé omniprésent, contre la solitude, l'échec scolaire ou encore la drogue ou l'alcool.
[9] De même Jack Lang préférant le "Yes we Can" au "Yes we Care"... quand bien même le "Yes we Can" du Président Obama entend-il être fondé sur des bases sociales (blog de la rédaction des nouvellesnews.fr)
[10] Christian Paul, député de la Nièvre, citant Jean Jaurès

lundi 17 mai 2010

Logos

Quelle différence y a-t-il entre Georges Bernanos et Noam Chomsky ? Aucune, si ce n'est que ce sont des chercheurs de solutions. Leur but est de pointer du doigt ce qui ne va pas – et qui pourtant nous apparaît comme une évidence dans sa réalisation –, de disséquer et de dire. A les lire, rien ne va, ou voici comment les choses ont basculé, sans réelle prise de conscience de la part de tous les acteurs. Chomsky et Bernanos ne recourent pas à la boule de cristal, ils interprètent les mouvances dès lors qu'elles se produisent. En ce sens, ce sont des historiens de l'immédiateté qui prennent à revers nos revers et les décapitalisent de toute influence.
Quand Chomsky écrit sur l'anarchisme, il ne dit pas ce qui est bien de ce qui est erroné ; il compose de discernement et s'abstient. Quand Bernanos parle de sainteté, il crève un pan caché de l'idéologie : en l'espèce, l'espace lumineux qui jaillit des ténèbres. Chomsky et Bernanos éclairent nos lanternes et ne peinent pas à le faire puisque, par essence, tout est imparfait (pour preuve ce que vous lisez).


Un des symboles de l'Administration pénitentiaire est une porte à demi ouverte, à demi fermée. Que faut-il y voir, en retenir ? Qu'est-ce que l'ouverture, qu'est-ce que son contraire ? Mettons, cette fois, que la porte s'ouvre en grand, peut-on néanmoins dire que la lumière finira par éclairer toutes les pièces ? Le travail de Chomsky et de Bernanos est un travail “in-fini”, la source in fine du diaphragme immortalisant le cliché à l'instant t ; une image, une vision toujours dérangeante. La richesse qui découle de tout cela, c'est l'infinie mosaïque de leur réflexion sur fond ténu de la futilité ambiante à laquelle nous adhérons autant par facilité que par méconnaissance. C'est un peu l'idée des pas japonnais nous aidant à franchir la rivière.
Leurs références relèvent souvent de la finitude grégaire des animaux, et plus particulièrement des insectes ; à croire que leur société soit la plus amène à user du temps et de la continuité qui lui sont impartis : survie de l'espèce, reproduction, sacrifice, altruisme. Parler d'un oiseau sur une branche de tamaris en fleur, il n'y a rien de plus à dire qu'à se laisser bercer par la vivacité de l'oiseau contrastant avec le balancement de la branche ; autrement dit, cette quasi-perfection naturelle, cet ordre établi suffisent à combler de paix qui s'en délecte. Une quasi-perfection si parfaite qu'on en oublierait presque la prédation que cache cette pateline quiétude.
La phrase de Chomsky qui est « Je ne connais aucun » (élément, argument, commentaire...) [1] illustre à quel point ce penseur de la science sociale a objectivement creusé son sujet, nourri sa naïveté. C'est le genre de Candide qui fait avancer bien des choses, les extirpant de l'ombre, les exposant à la lumière d'auditoires combles et en présentant la plus exacte photographie qui soit. Notre relativité intellectuelle nous porte, hélas trop souvent, à notre propre obscurantisme, et c'est ici précisément que naissent les forces vives d'un intellectualisme dépassionné, celui-là même qui va nous aider à parfaire les imperfections de la route, à tout le moins nous faire comprendre qu'il est d'autres voies, d'autres issues, d'autres portes entrouvertes.
En ces temps de vacillement démocratique, tous les repères sont bons à prendre. La désinformation ou même son plus infime démantèlement d'imbrication pratiquent une modification génétique de nos comportements au moins aussi efficace que la science actuelle nous y autorise. Il en va de même de la société comme d'un organisme recomposé. Si l'oiseau et la branche sont bel et bien réels, l'image que nous en tirons oblitère aussitôt les composantes environnementales et comportementales. Suis-je sur terre pour regarder les oiseaux ? Et si tel est le cas, ne suis-je pas un arcandier trop gavé de littérature, un opportunisme de la contagion ? Quand on veut noyer son chien... etc.
Sous le soleil de Satan procure à Mouchette – Sandrine Bonnaire dans le film de Pialat – les clés qui vont bouleverser l'image qu'elle se faisait de sa vie ; il y aura donc un avant et un après Mouchette. Chaque film, chaque œuvre rend compte de cette dynamique. Si “Le bonheur est dans le pré” situe un état qui serait “pré-liminaire” à son attribut, il ne faut pas perdre de vue que, si bonheur il y a, il ne sera que postérieur à l'image que l'on s'en fait. C'est à ce genre de raisonnement que nous initient avec bonheur des gens comme Chomsky, Bernanos, ou même le froid Mauriac. Autant nous retenons les paroles d'une chanson qui nous plaît, autant nous créditons la façon dont ces paroles rendent compte d'évènements qui nous sont personnels, autant nous incarnons l'esprit de son auteur. C'est le b a ba de la distraction, prise au sens premier de prélèvement, d'« action de distraire [2] [de séparer] d'un ensemble » et non d'étourderie, de divertissement ou de récréation. Dire que le travail de Chomsky ou de Bernanos relèverait du chansonnier serait totalement faux, déplacé et foncièrement réducteur ; ce sont avant tout des gens de parole (sans s), des impatients du logos et non des assujettis de la logorrhée, du verbiage et de l'entregent.
Bien sûr qu'ils dérangent, ils sont là pour ça.
[1] Que l'on pourrait traduire par "à ma connaissance, il n'y a pas... etc"
[2] Du latin distrahere "tirer en sens divers" ; Détacher, séparer, prélever, dixit le Robert

samedi 15 mai 2010

Caliméro


Par nos esprits seigneuriaux, nous réfutons tout ce qui n'est pas d'esprit totémique. Nous sommes des gens de castes, aptes à ne concevoir que ce que l'ordre auquel nous appartenons nous donne à entrevoir. Hors de cela point de salut, point d'infiltrés ou de mode, nulle indulgence à celui ou celle dont l'esprit fertile tenterait de s'immiscer outre.
« De quelle caste es-tu l'ami qu'il te faille déjouer de courtisanerie ? Quel est donc ce pâle tartan ? Passez, monsieur ! Vaquez à vos usages et vos styles ! À toutes épousailles la mariée ne saurait prétendre, et quand bien même, nos laquais donneraient-ils leçon à l'importun fieffé. »
Nous sommes tous des gens de castes étrangers les uns des autres. Nous sommes tous l'étranger de quelqu'un, pour ne citer que Marc Lévy. Nous sommes tous étranger de nous-mêmes. Et quant à chercher aux tréfonds de son âme, on trouve suffisant de n'y parvenir tant la chose nous effraie. C'est dire si l'étranger fait peur, si ce monde de barricades fomente de craintes, d'appréhension, de restriction ou d'abandon. La verte prairie n'est belle qu'à ne la savoir libre de tout serpent, la mer à n'en connaître les abîmes.
L'étranger est un abîme, ou l'engrenage qui peut nous y conduire. Les choses nous apparaissant ainsi, il n'est rien moins préférable que s'en tenir à l'addiction de sa seule personne, de son entourage, de son clan. On peut même vivre sa vie durant en marge, ne frapper qu'aux mêmes portes ou ne pas frapper du tout.

L'esprit frappeur
Frapper : c'est précisément cela qui frappe. Comme quelque chose que l'on assène, la violence de qui s'affranchit des murs, le sans-gêne de qui met les pieds dans le plat. Personne n'invite l'étranger, ou seulement dans les romans hugoliens, ou peut-être dans le concert débordant des Facebook et des rencontres approximatives. Personne n'invite l'étranger, mais s'il lui vient à l'esprit de s'inviter de lui-même, on parle immédiatement de lui comme d'un esprit frappeur, d'un rustre. A-t-il de la science ou du don, l'étranger a forcément mauvaise presse. On le verrait bien sortir de prison, on le verrait bien voleur et parasite.
Il est de nos métiers qui nous y conduisent plus que d'autres. Il est même des expériences dont on ne sort pas indemne. À tout bien penser, l'étranger, tous les étrangers dans le même panier. Parce qu'il est des groupuscules dévastateurs, des foyers sombres, des clans malfamés et que ce n'est pas à nous d'en démêler l'écheveau. Chacun sa merde.

La règle du tyrosémiophile
Comment voulez-vous qu'un ouvrier devienne patron, qu'un esseulé décroche la lune, que les premiers barreaux jouissent de la reversion des derniers ? Chacun son corpus et sa lanterne. Voilà pourquoi, par nos esprits seigneuriaux, nous réfutons tout ce qui n'est pas d'esprit et de rang ; voilà pourquoi bien des choses dont l'ostracisme s'arrange et nous arrange.
Qu'un tyrosémiophile devienne spécialiste en camembert, personne n'y trouve à dire. Mais qu'un numismate se prévale de connaissances ottomanes, on pensera seulement qu'il pète plus haut que son cul et qu'il est, ma foi, bien innocent. L'inverse est possible : un professeur de médecine peut tondre sa pelouse et monter un muret en béton armé. Cela ne choque personne, mieux, ce sera perçu comme le signe d'une grande ouverture d'esprit.
Après tout, nous faisons tous de la météorologie, de la politique, de la sélection, étranger y compris.

mardi 11 mai 2010

L'institution de la crise La crise instituée

Quoi, ma crise ? Qu'est-ce qu'elle a ma crise ?

Le Crisaire
Vous aviez entendu parler du Permien, du Trias, du Jurassique, du Crétacé, du tertiaire et du Quaternaire ; vous aviez entendu parler d'octobre 1929 et de la Grande dépression. Voilà le Crisaire.
Vous avez connu la crise à ses débuts, aujourd'hui vos enfants la connaissent, que vos petits-enfants se rassurent, ils la connaîtront. À tout dire, nous sommes les enfants de la crise, et pour un bail.
La crise est environnementale – et encore l'emmenthal se bouffe. La crise est didactique, réelle, virtuelle, pesante ou comme un bruit de fond, un fruit blet sans date de péremption. Elle est tout cela, et la faute à Voltaire.
Mais pour comprendre le Crisaire, il faut des clés, dit-on ; attention : pour seulement le comprendre, parce qu'un trousseau de clés quel qu'il soit ne fait sauter en rien ses verrous, il permet juste de situer. Comme si de le vivre de l'intérieur ne nous conduisait pas illico in situ.
Le Crisaire serait avant tout un cours d'Histoire, un dessous de cartes : tel jour d'octobre 1973 en aurait décidé une bonne fois pour toute, sous le nom rebattu de Premier choc pétrolier – Tiens, je revois comme si c'était hier le guindé Giscard en 604 et la publicité qui disait qu'on avait « pas de pétrole mais des idées » à revendre. Encore plus cérémonieusement et tout récemment, l'excellentissime banquier Trichet pérorant sur les chiffres de la Banque Centrale Européenne et nous expliquant la crise de l'Euro : tels autres jours d'octobre (!) 2009, l'Irlande qui dit oui, la Grèce qui dodeline et s'effondre, l'Italie qui se planque, l'Allemagne qui découvre l'ampleur des dégâts, le Portugal qui se verrait bien sur Mars, l'Espagne comme une maison vide, la France lessivée, l'Angleterre entêtée.

Le Critias
Entre ces deux mouvements d'Histoire, ou plus précisément dans sa continuité, la nette impression que la crise pallie à toutes les carences, de l'infime nombrilisme au devenir sociétal. Ainsi ce 7 mai, Berlusconi décrète « l'état d'urgence » et Sarkozy parle de « mobilisation générale » quant à l'espérance de survie de l'Union Européenne sur fond de déchéance grecque : si ce n'est pas de guerre dont il est question, ça y ressemble furieusement.
Voilà donc en deux temps trois mouvements, comment nous sommes passés d'une crise de finances privées en 2007-2008 (celle des produits dérivés et autres subprimes) à une crise de finances publiques en 2009-2010 (celle des titres souverains) ; mesurant, par ailleurs, avec quel degré d'imbécilité, d'incapacité paradaient les paons économistes qui nous conduisirent au foutoir spéculatif. Car avant eux, avant le choc financier de 2007, on ne parlait pas de dettes étatiques. Tandis qu'avec leur saloperie de pouvoir virtuel – et Dieu sait que les volumes de transactions auraient pu propulser les affaires différemment –, ils ont bousillé l'économie réelle, laissant les États creuser leurs déficits. Le problème ainsi posé, ce n'est ni plus ni moins que la garantie des acquis sociaux opposée à la finance.
Et nul besoin de jouer les pythonisses pour comprendre que nous sommes en phase critico-critique (ce que décrivent bien les cycles de Kondratieff ou de Juglar) et que tout peut arriver : ou l'embrasement de ce que vit la Grèce, ou l'accalmie. Mais, avec ces gens-là, ne rêvons pas. Contrairement aux promesses, le Pacte de stabilité n'a pas tenu les siennes, et rien, absolument rien n'a été prévu pour le cas où. C'est triste et c'est ce que nous vivons en Europe, et dans les faits même de la mondialisation.
On ne peut quand même pas “ tourner ” comme ça ad vitam æternam : combler les trous des finances privées puis ceux des finances publiques, et ainsi de suite. Arrive un moment – aujourd'hui – où le capital trouve de lui-même ses limites. À tel point qu'on redoute déjà le renflouement des banques ibériques en pleine déconfiture monétaire de l'Euro, que l'on redoute un vaste naufrage. Si la souveraineté des États part en eau de boudin chaque fois qu'il leur prend de réclamer pour leur sauvetage, autant ne plus faire d'Europe sur les bases même de l'Euro. Autant voir plus loin – comme l'avancent certains [1] – et sortir de la gangue de l'Euro, monnaie unique, au profit d'une monnaie commune où chaque monnaie nationale fonctionnerait « en gros comme des dénominations de la monnaie commune européenne », où chaque État chercherait sans cesse à s'aligner sur le modèle monétaire commun, non plus par le seul Pacte de stabilité, mais en engageant sa responsabilité.
Pas dit, non plus, que les assignats émis pour la première fois en 1791 ne reviennent sur le tapis ; à dire dans quelle situation nous sommes ! Ce que fait déjà la Californie (!) depuis 2009 en payant ses fonctionnaires avec des bons à terme appelés IOU [2], ce que pratique aussi le Royaume-Uni avec sa planche à billets, la Quantative Easing, exquis assouplissement quantitatif, autrement dit quand y en a plus, y en a encore. On marche sur la tête !
« Le passage de la douleur à la révolte n'a rien d'automatique, mais rien d'impossible non plus », citant Frédéric Lordon dans le blog du Monde Diplomatique [3], n'est pas une billevesée de plus. Cette époque de sur-endettement que nous vivons est réellement la période du tout ou rien – pour mieux sauter.

Boulet
Voici ce qu'écrivait Benjamin Constant :
« La guerre et le commerce ne sont que deux moyens différents d'arriver au même but : celui de posséder ce que l'on désire[4].»
Or, le commerce devenant très aléatoire dans cette formulation conventionnelle qu'entendait Ferdinand Galiani [5]... la crise serait en quelque sorte une guerre qui ne dévoile pas son nom (le voile n'étant que l'énième illusion qui masque la crise).
Parce que tout est crise.
Pour des générations, de A à Z.
Au nom de la seule survie, tout devient crise. Faute de compétitivité on instaure la compétition, et tout est dit : à l'élève de seconde, on demandera de choisir sa voie, un peu comme un leurre, avec des branches porteuses qui accouchent de tous les masters qui soient. De trimestres en semestres, il grimpe les échelons, s'agrippe aux branches rabougries. Crise oblige, comme il y a trop de monde sur l'échelle, on ajoute d'autres barreaux. Il faut se battre ! (langage guerrier)
Je ne vous fait pas de dessin, parce que le seul dessein qui soit dans tout cela, c'est un plafond bas, un horizon bouché, une fin en soi... jusqu'en 2050, tente-on de nous rassurer. Dans l'urgence.
La crise est une guerre sans morts comptabilisés, une sorte d'orage sec qui casse tout, le pire qui soit. Quand le tonnerre claque trop fort, on nous dit que chez nous ça va, qu'on ne risque rien, un peu comme avec le nuage de Tchernobyl. Mais l'orage finit, les cendres de l'Eyjafjöll retombées, on nous assène l'aggravation, on nous ré-engage à faire le dos rond, à nous serrer davantage la ceinture. Car à tout lire dans la presse, ce sont plus que des mots, c'est notre ration quotidienne, forme diligentée des galettes de terre haïtiennes.
Un boulet qu'on se refile, l'objet culte d'une abjection sourde. Les vieux se font incinérer parce que c'est la crise, les plus jeunes vivent plus longtemps [6] dans l'espoir fou de la folle envie de s'en sortir. Ils envoient les cartes postales de la crise : soleil et couleurs locales, secret espoir que tout cela était vrai.

Dorothea Lange – Migrant mother 1936

Et ça soûle
Tout n'est plus que crise, Crisaire, Critias, et ça soûle. Il n'est plus de domaines jusque-là intouchables : les soins, l'alimentaire, l'école, les aides, la Terre. On vit un monde d'extrême connaissance et de belle technicité et l'on inscrit tout aux restrictions des remèdes jugés trop dispendieux ; comme si la Terre et l'homme avaient un prix.
Rien de linéaire, dans le fil rouge de cette crise à l'emporte-pièces, rien de droit. De fondamentalement droit. Ni tremplin, ni rebond, et droit dans le mur.
[1] Michel Aglietta et André Orléan, La monnaie souveraine, Odile Jacob 1998
[2] Ces reconnaissances de dettes IOU (I owe yoiu = je vous dois), rapportant des intérêts, ne sont échangeables contre argent cash qu'à des échéances dépendant de la trésorerie de la Californie. 30% des salaires des agents californiens sont payés de la sorte.
[3] In Crise, la croisée des chemins
[4] De l'esprit de conquête, paru en 1814, l'Archange minotaure, 1986
[5] Dialogues sur le commerce des blés, Londres 1770, Corpus des oeuvres de philosophie en langue française, Fayard 1984
[6] Environ un trimestre de vie par année

dimanche 9 mai 2010

Digression numérique

Comprendre la photographie, c'est savoir par quelles évolutions elle est passée. D'un académisme culturel, relevant aussi bien des Beaux-Arts que du professionnalisme, elle se numérise et appartient désormais aux supports qui la composent, la véhiculent et la retouchent.
En 2009, le parc d'appareils photographiques numériques français dépasse les 45 millions d'exemplaires ; auxquels il convient d'ajouter les 5,3 millions de jetables. C'est dire avec quelle vélocité se déploie son image sur Internet et dans nos vies. La photo n'est plus palliative ou souterraine, non plus qu'elle argumente les prétentions d'auteurs confirmés – À contrario de son universalité, elle est volatile, elle nous glisse entre les doigts, ne s'arrêtant qu'au contenu des batteries, comblant clés, CD, disques durs de nos ordinateurs.

Les HD se sont depuis longtemps imposées à notre curiosité comme au défilement croissant de sites dédiés, dont Flickr s'arroge l'honneur et la gratuité. Partant de là, les millions de pixels s'appropriant l'hyper-définition des objectifs numériques, la technique ne se vulgarise plus trop par la claustration pesante des réglages et des proportions. Certes, ils forment la base, mais à vrai dire, nous sommes tous capables de faire de bonnes et de belles photos. Et c'est bien là que réside la rigidité conceptuelle, entre ce que maîtriserait une élite et l'art dans sa globalité.
Il y a ceux qui en vivent plus ou moins bien et qui rejettent le terme même d'amateur appliqué à l'image, soit-elle de studio ou de reportage. Ces pros-là dénoncent la retouche et les logiciels qui vont avec, ainsi l'incontournable Photoshop. Hélas ! dirait-on.
A l'inverse de la photographie et de son corporatisme intéressé, on a vu le livre évoluer avec l'ebook, la musique avec sa portabilité et sa vulgarisation , le cinéma avec le 3D – il n'est de voir le succès planétaire d'Avatar. En ce sens, la retouche ne peut être que la dimension créatrice de la photographie, son avenir, son champ de recherche et de splendides découvertes. Sa palette est infinie, comme l'est celle des peintres. Et pourtant chacun sait que ce n'est pas la palette qui créer le peintre, mais bel et bien l'usage qu'il en fait, ce degré d'émotion qui mène à l'art dans toute sa digression !
Le photographe restitue sa sensibilité événementielle en combinant son regard avec la charge émotionnelle qu'il compte rendre. En voici un exemple parmi tant d'autres [1] : la première image est pour ainsi dire brute d'appareil (un “malheureux” Sony 3,2 Mp), la seconde est une image retravaillée qui a remporté le podium au Salon de l'agriculture 2007 ; je l'avais tout simplement intitulée le Champ de la Bœlle, un terrain situé en face d'une déchetterie.

Lumière pâle et dure, et pourtant tout est là.

Voilà donc le secret d'une bonne photo numérique, tout juste retouchée à l'évidence d'une sensibilité qui m'interpellait à l'époque.
Autre exemple, également visible sur un site d'outre-Rhin (voir lien ci-desous en bas de page) : première composition ru-dimentaire (2007, 3,2 Mp, pas mieux qu'un mobile bas de gamme d'aujourd'hui), seconde image retouchée, intitulée Boute à terre, primée par l'Otsi de Charente-Maritime, plus tard incluse dans son catalogue été.

Espace géométrique mais manque cruel de luminosité


Sans parodier l'image de synthèse, domaine particulier, on peut dire que l'essentiel de la photographie ne se pratique plus au seul stade de la prise de vue, mais par le biais de la création visuelle, au même titre qu'on parle de création littéraire.
Car comment concevoir un livre sans une relecture, sans corrections ? Écrire revient d'abord à coucher sur le papier son prime ressenti puis à retravailler le texte jusqu'à bonne et tenace résonance. La photo, c'est exactement pareil. L'horizon qu'ouvre le numérique ne relève de rien d'autre que de la même tonalité.
Qu'est-ce qu'on en a affaire qu'une image ait été “ réalisée sans trucage ” ou avec [2]? L'essentiel, c'est l'instantanéité du regard (et dans ce domaine, Dieu sait que ça va très vite !) puis sa lente macération qui tiennent autrement lieu de verdict.
Avec une résolution de 12 Mp et son attirail de capteurs électroniques, l'amateur doué de la même réflexion qu'un écrivain jetant ses idées sur le papier, est capable de révéler la vibration originelle qui accompagne l'image et s'y dissimule. Plus n'est besoin de sortir de Saint-Cyr pour jouer les cadors en affichant l'ouverture, la sensibilité, la vitesse d'exposition ou la qualité de l'objectif. Il suffit d'observer avec quel degré de composition le mitraillage journalistique parvient à ses fins au cœur même de la bousculade ou de l'évènement (allez demander à un taliban de poser pour la postérité). En trois coups de cuillère à pot l'information numérique s'affranchit de l'espace inter-satellitaire et vient mourir sur l'écran des rédactions ; le reste appartenant à l'illusion, au rendu, voire à la postérité.
L'urgence avec laquelle de tout temps nous avons pris des photos, justifie pleine-ment l'héritage de pionniers comme Doisneau [3], Cartier-Bresson, Stieglitz, Abbott, Moon... avec l'instantanéité de la chose observée, unique, universelle, enfin libérée de sa gilde. Toute une résolution menant à délectable révolution.

[1] Je n'en tire aucune gloire si ce n'est de prouver ce que j'avance
[2] La retouche remonte à loin. La photographe Gisèle Freund y eut recours dès 1936. Roland Barthes dans La chambre noire, Susan Sontag dans Sur la photographie, et Rosalind Krauss évoquent avec bonheur le sujet. Les tirages, en jouant sur les réglages de l'agrandisseur et les différents bains chimiques, en sont une illustration.
[3] Le baiser le l'hôtel de ville est la vision personnelle de son créateur en ce sens où ce fut une scène posée instantanée.

samedi 1 mai 2010

Jabulani de la farce


A six semaines de la coupe du monde de foot et après m'être demandé si l'équipe de France passerait ou non le cap du Cap, le cap des poules de qualifications – dixit Ribéry – j'ai cherché à savoir ce qu'il en était du ballon proprement dit. Passera-t-il ou non, lui aussi, le cap de son argument ?

Officiellement



Officiellement, on dit qu'il sera de fond blanc habillé de quatre triangles colorés, inspirés de la culture Sud-Africaine. On prétend aussi qu'il sera pratiquement ce qu'il fut lors de la dernière Coupe d'Afrique des nations en janvier de cette année. Celui-là même qu'utilisent aujourd'hui les allemands de la Bundesliga – Adidas oblige. Et, qu'en fait, il ne serait pas si novateur que cela, en ce sens où des joueurs l'auront préalablement utilisé au sein de leurs clubs. De sorte que, les gazons synthétiques pas même posés, le ballon, désormais validé par la FIFA, y va déjà de sa prédominance. Peut-on dès lors se demander ce que serait le foot sans sésame vasouillard ?
Paraphrasant sir Beckham en présentateur agréé : d'un poids de quatre cent quarante grammes, variant seulement de 4,5 pour cents lors de fortes pluies, ce sera le premier ballon conçu par soudure thermique. Véritable prouesse technologique, le Jabulani – c'est son nom, qui veut paraît-il dire Fête en Zoulou – est composé de seulement huit panneaux 3D, formant un rond quasi parfait. Reconnaissable à ces cannelures et à sa surface « chair de poule » Grip'n'Groove, il nous promet, dit-on, de belles mains – exit mister H –, des tirs onusiens, des trajectoires obusières. C'est dire si les goals n'ont qu'à bien se tenir.


Objectivement




Objectivement, il sera ce qu'il a toujours été : une part du génie humain. Kopa et son cuir à douze panneaux fermés par lacets, Pelé et son Telstar noir et blanc de 1970, Platini et Tango, Maradona et son Azteca de Dieu, Ronaldo et son Fevernova de 2002, Pirlo et le Teamgeist de 2006 ; tous indissociables de gestes techniques inédits, de coups parfaits ; capables de faire basculer une finale, d'enflammer la planète. Ces gens-là sont des créateurs, ils portent leur art aussi haut et loin que Jordan, Lewis ou Bolt. Ils sont ce qu'ils n'auraient jamais été sans cette extraordinaire cohésion de l'usage et du don. Ils sont l'exception. Celui qu'on attend, qu'on nous promet et qui tarde ou s'attarde.


Les arénistes de la Finance

Car à tout regarder ou seulement entrevoir, qu'est-ce donc que ces jongleurs, ces attentistes, ces prétentieux, ces arénistes attitrés de la finance, tout juste bons à se vendre dans le Corriere dello Sport ou pour Gillette ?
4000 euros le Jabulani, quatre-vingt-quatorze millions d'euros un Cristiano Ronaldo figé dans ces impostures, à des années-lumière des premiers joueurs de soule, pas même gladiateur, toujours fatigué, toujours gueulard. On les connaît les tsarévitchs, les apparatchiks des sphères footbalistiques hautement loties, comme une kabbale qu'on nous sert à chaque fois ; jamais les mêmes, toujours pareils.


Ballon rond

Passés les cris, les fureurs, les emportements, la joie ou les pleurs, on enfermera Jabulani dans son écrin post-finale. Les équipes regagneront leurs vestiaires, leurs jets ou leurs puissants coursiers. Les scientistes de la science infuse diront, commenteront, se perdront en superlatifs et autres conjectures. L'arène se refermera et l'on se dira déçu, la tête bourrée de matches, mais foncièrement déçu. Quand bien même son favori aura-t-il remporté le trophée des trophées, quand bien même cela et la liesse qui va avec : on se sentira leurré, comme sur sa faim, clamant encore, plus ou moins secrètement, celui qui mènera le prochain Jabulani au-delà de l'extraordinaire, aux frontières du vrai don, limite invraisemblance et légende.
Car on le voit, même le ballon, Jabulani de la Fête, se la pète, joue les crevés d'avance. Et comment voulez-vous qu'il en soit autrement ? Il ne répond même plus aux lois de ce qu'il fut il y a peu, aux lois des simples solides de Platon, ainsi l'icosaèdre tronqué qu'il fut durant de décennies, invention d'un génial goal, Eigil Nielsen. Prenez vingt hexagones blanc, douze pentagones noirs et cousez-les ensemble : vous obtenez un vrai ballon ! Un truc pas très très rond, mais qui faisait quand même dire au mathématicien Euler, à la manière de Galilée s'extasiant sur la Terre : « Et pourtant, il tourne ! ». Euler dont la formule f + s – a = 2 reste vraie pour un vrai ballon (32 faces + 60 sommets – 90 arêtes = 2). Deux, comme un score sans appel, deux comme une belle cohésion, on l'a vu.
Planétairement connu, presque ignoré, il tournait vraiment rond, ce foutu ballon. Il partageait l'affiche d'un virtuose comme Garrincha ! Aujourd'hui, c'est autre chose, on l'encadre ; tout juste si on ne lui file pas la Légion.