mardi 15 février 2011

La revanche des nénuphars


Je dirai qu'il est des réflexes que nous portons tous du commun usage de nos habitus. Ainsi Giscard se prenait-il pour Verchuren dans les couloirs de sa noble maisonnée ; ainsi, du post-aveu de Mazarine, Mitterrand se plaisait-il à regarder Starsky & Hutch. Peut-on pareillement supposer qu'hier soir, j'ai bien dû regarder quelque chose que notre Élyséen a zieuté.
À part ça, RIEN.
Ils avaient, ils ont pour eux d'émietter notre pauvre et benoîte société. Rien de partage entre eux et moi. Autant demander à Némo ce qu'il sait des pêcheurs de palourdes, à Roland Emmerich
[1]
ce qu'il sait de la fin du monde : entre ignorance pour le premier et parfait décalage pour l'autre. Le goût de l'enrobé que l'hiver s'amuse à défoncer et qu'on rustine au printemps. C'est un peu le sens des nombreux PPS que l'on reçoit.
À part ça donc, RIEN.
Disons, une mare silencieuse dans la ferveur de ses pets méthaniques : des coassements, le dos sombre de la poiscaille, la platitude des nénuphars ; mettons Monet en sus et figeons la perspective, l'attrait touristique.



La revanche des nénuphars
La Révolution du jasmin, aujourd'hui celle des Cairotes de la Place Tahrir, c'est un peu la revanche des nénuphars quand la crue vient à s'en mêler. La crue, comme la sarabande de la piétaille appelée à faire taire les crapauds pour que dorme en paix la seigneurie lasse. Et cette danse, cette incantation vire soudain à la pluie, aux rus qui se ruent en troupes compactes, décidées, battant pavé et formant d'amples deltas contestataires.
Mais quoi pour en arriver là que nul [au sens propre] ambassadeur, nulle pompe, nulle CIA n'a vu venir ? C'est comme si notre pêcheur de toute à l'heure s'intéressait plus à l'attirail qu'à la faune halieutique fricotant à ses pieds.
Alors quoi ?
Quoi, si ce n'est ce que l'on peut résumer du seul mot de mafia. Prédateurs mafieux fourvoyés à l'extrême dans la corruption généralisée où tout se paie, tout s'achète. Une voiture négociée le matin même à 4000 dinars et contractée le lendemain à 8000 [2] ; des billets glissés entre les pages du passeport ; le blé coté en Bourse comme une vulgaire ferraille. Affameurs, corrupteurs et la liesse populeuse qui monte et Louis XVI de s'interroger qui de la révolte ou de la révolution. Trop tard.
Un jeune s'immole par le feu.

Mais nous ?
Qu'en est-il de l'Europe et de ce vieux pays arguant son évangile au frontispice des mairies ? Avec nos “ Déclaration universelle des droits de l'homme et du citoyen, Convention, Constitution, chartes et serments ” encalminés, sommes-nous mieux lotis ? Les domaines ne manquent pas où nous pourrions dire : « Vivante, en effet, est la Parole, efficace et plus incisive qu'aucun glaive à deux tranchants, elle pénètre jusqu'au point de division de l'âme et de l'esprit, des articulations et des moelles, elle peut juger les sentiments et les pensées du cœur. Aussi n'y a-t-il pas de créature qui reste invisible devant elle »[3]. Fille aînée de l'Église, comme il est de la qualifier, la France laïque jusque dans ses redondances les plus athées n'en est pas moins au ban de sa propre désillusion. Paupérisation des classes moyennes – c'est dire de la France d'en-bas –, épée de Damoclès en permanence au-dessus de la tête, peur au jour le jour – c'est dire du lendemain –, technocratie omnisciente et sans état d'âme, faux prophètes mercantiles, les domaines de fauverie ne manquent vraiment pas.


T.E.S. soupe(s) aux choux
Le Travail fermement dissocié de l'Emploi et l'emploi lié à la Santé pour n'en faire qu'un seul et même ministère, comme une prophylaxie de la cause et de l'effet – la cause imparfaite et l'affaire entendue. Parce qu'il n'est plus d'emplois pour lesquels les RGPP n'ont de cesse de prôner le dégraissage ; parce que la constante, public-privé tout confondus, est justement de tordre la serpillère déjà sèche comme les couilles à Taupin. Parce qu'il n'est plus d'emploi qu'on ne s'emploie à supprimer ; façon de dire qu'il n'y a de travail que pour 28 millions d'actifs [4]. Les autres, la cour des jobs béquillés au noir, des appointements de comptoir, des fèves de galette, relevant de la réserve indienne par l'usage colonial de la cacahuète jetée en pâture ; la dignité sacrément mise à mal – le Glaude et le Bombé de La soupe aux choux.
Et la santé, cet élément comptable rationalisé d'ARS et de guingois, aussi dégarnie qu'un crane chauve, en personnels, en lits (pas sitôt opéré qu'il faut rentrer au bercail) ; aussi Picsou qu'un ticket modérateur quasiment indexé sur la grimpette du prix de l'essence [5] ; aussi préoccupée de santé que le déremboursement des médicaments et l'auto-médication le laissent penser. Pourtant. À tout salaire, toute pension la part toujours plus substantielle des mutuelles et, bizarrement, des cotisations sociales. Tout le contraire d'une Bourse repue de veaux d'or, d'un CAC40 émule de paradis fiscaux, de comptes numérotés, de bedaines daumières pavanant sur les ponts frais teckés, dans les cercles, les yacht-clubs.


Daumier 1831 (agrandir)


Saint Louis rendant la Justice New Age
La Justice chahutée pour un chêne de tapisserie, une balance d'antiquaire : bouquet garni d'une carte judiciaire remaniée à grands renforts de redéploiements, d'attributions, de pôles, avec tout ce que cela comporte de distance et de distanciation. Tribunaux engorgés, services de probation submergés de suivis et de contrôles, prisons dépassées, lampistes et dindons de la farce contraints de faire grève pour une sordide histoire de mec dont on devrait disperser les restes au quatre vents de l'indifférence – En cela, une autre volonté, du courage. Ce n'est même plus donner sa chance, c'est offrir sur un plateau ce que la société dénie au simple soldat.
Dans sa Vie de Napoléon, Stendhal affirmait déjà le vrai courage :
« [On commence à voir en Europe que] les peuples n'ont jamais que le degré de liberté que leur audace conquiert sur la peur. » [6]
Les prisons ne sont plus ces lieux justiciables où l'on met pour un temps les plus turbulents au piquet. On en est bien loin. Autant donner le contrôle d'une classe aux plus agités, leur conférant des droits là où eux-mêmes ne s'en figuraient même pas : Tu as fait le con, je te file pleins de bonus pour ton collector, voilà en substance le New Age. Application non-dissuasive des peines plancher de la récidive et du tout carcéral, tout simplement parce que la prison n'est plus le lieu du redressement, allez, de réinsertion, mais la foire à neuneu, un neuneu cent fois mieux servi, mieux assisté que les victimes ou nos Anciens – vous savez, ceux-là mêmes qui ont fait et se sont battus pour que nous soyons ceux que nous sommes, à leur grand dam, parfois leurs regrets. Donnerait-on la lune aux usagers qu'il faut désormais nommer, par antonomase circonlocutoire, « personnes placées sous main de Justice », qu'ils casseraient encore la baraque cependant que leurs proches clameraient à micros ouverts la loi du toujours plus.
Mais quoi, à peine écrouées, ces mêmes personnes se voient diversement remettre crédit de peine, accès au téléphone, trousse d'indigence... même les tampons d'empreintes ne marquent plus les doigts. Viendront ensuite les timbres, les aides juridictionnelles ou non, les colis de Noël, les spectacles, tout un panel de petits soins et de bienveillance ; entendons par-là la prévention d'un suicide hautement impensable et autrement plus capital que celui du surveillant ou de l'acculé père de famille. Dans l'heure qui suit son incarcération, ladite personne s'entretiendra avec une foultitude de monde : personnel de direction, médecin (urgentiste s'il le faut), infirmier, services sociaux. Sera-t-elle ensuite reçue par l'instituteur, le psychiatre, le psychologue ; lui proposera-t-on du travail dès lors qu'on en aura et qu'on la jugera apte. Quelle institution plus garante du bien-être de ses pensionnaires pour faire mieux que cela, mieux que la vie de tous les jours et de tout un chacun ne peut procurer en un laps de temps aussi faible ?
« Lorsque j'étais enfant, un garçon de dix-neuf ans menait une section au feu. Et la ramenait. Autant que possible. S'il s'endormait en sentinelle, on le fusillait. Quand un garçon du même âge, aujourd'hui, plante un couteau dans le ventre d'une vieille dame, on en accuse la société. On plaint le pauvre enfant d'avoir manqué d'une mère qui le chouchoutât suffisamment. Peut-être a-t-on raison […], mais on est bien obligé de constater que l'âge adulte commence plus tard. », remarquait Vialatte [7] dans son billet du 5 février 1967. Qu'en penser, quarante-quatre ans plus tard ?
Je suis fier de mon administration, c'est une ruche à nulle autre comparable, un condensé de société, une fichue école de vie en accéléré, avec ses hauts et ses bas, ses rencontres, quelques surprises. Je suis fier de mon administration, mais pas de celle qui veut nous faire prendre des vessies pour des lanternes, aussi indécise qu'une jeune mariée devant le fait accompli ; pas de celle qui passe le plus clair de son temps à produire du 21 x 29,7 parapluie, là où une bonne rodomontade s'imposerait. Je suis fier d'une administration qui m'épaule et me soutienne, mais pas de celle qui circonlocutionne devoirs en droits au bon dos d'une autocratie européenne. Qu'est-ce que cette nébuleuse vient faire dans la spécificité sociétale, pour faire plus court, l'Histoire de France ?
… Construire de nouvelles prisons c'est, d'une part, donner du travail à ceux qui y travaillent, mais certainement pas le goût d'y travailler (Il n'est de voir, en dernier lieu, tous ceux et celles que l'on recrute à des moyennes et des psychologies dépassant l'entendement : concours illusoire et comico-cruel qu'une publicité aseptisée appelle de ses vœux). Construire ces prisons modèles, c'est aussi faire entrer le loup de l'externalisation dans la bergerie. L'argent public capitalisant les grossistes de la Bourse tels que Bouygues, Eiffage, Sodexo [8], c'est dire s'il fera long feu du Public... contenant heureusement jusque-là ses pouvoirs régaliens (Il n'est de se rendre compte du crédit donné aux boîtes d'audit [9]).
À l'instar du dernier opus de Pascale Roze [10], les ratés ne sont pas toujours ceux que l'on pense.


Doucement les basses
Et ça fait le dos rond. Et ça fait de grands slupp. Ça rêve de pelotons d'exécution, de tranchées, de baïonnettes et de mines, celles qui explosent, celles qui noircissent les poumons. Ah, la guerre, la vraie, que n'est-elle plus ?
Il n'est rien de dire que la vie relève autant du continuel miracle que de cette absurdité qui nous enfonce la tête sous l'eau. C'est le grand pléonasme de la modernité.
Tiens, le prix des carburants : pourquoi chiffrer l'impossible à ce millième d'euro qui n'existe pas ? Pourquoi le litre de gasoil à Dunkerque diffère-t-il de celui de Gap, alors qu'on a créé le prix unique du livre ? Consommerait-on davantage de bouquins que d'essence ? Idem pour la carotte et le kilo de patates, les nouilles et le riz [11]. Alors quelle Europe, quand on est même pas fichu d'uniformiser sur un même territoire les produits de grande nécessité, quand le simple étiquetage, la plus subreptice augmentation ramenés au franc nous fait soudain prendre conscience du poisson que l'on noie à grand renfort de statistiques bidouillées. Et mille et unes choses de la sorte.
Là encore, ce n'était pas cette Europe-là que nous appelions de nos vœux, intouchable père Fouettard, mais celle de l'équilibre dans les échanges (main-d'œuvre, compétences...), avec ce grand tout de l'harmonie – certes utopique, en tout cas à cent lieues d'une arbitraire harmonisation.


Abstract @ Inez Correia Marques
http://www.fotocommunity.com/ (agrandir)

Miracle, ô mon beau miracle.
Il n'est pas une page de journal qui ne culpabilise de hausses ou ne chiale de suppressions. Nous le savons, nous le vivons, nous, dont la grande majorité n'est qu'à un ou deux salaires de la rue, de la caravane. Il est bien loin le temps du bas de laine entre les draps, de la poire pour la soif, des trousseaux. On le sait, la vie est à crédit : les vacances, les études, la maladie, l'espérance faussaire de se croire plus heureux l'objet acquis. Faire son jardin, élever de la basse-cour, acheter sa carte de pêche, toutes ces activités autrefois dévolues au petit peuple ont sacrément pris de l'altitude. Alors pensez, bouger le petit doigt de ses rêves, autant croire au crétacé de la farce !
Non, la meilleure place est encore celle de l'homme face à la mer. Ermite, de préférence célibataire et de grande ascèse, sans enfants, sans habitudes, sans boîte à lettres ni trop de pluie. Un Robinson, mi Koh-Lanta, mi Seul au monde [12], comme il en est tant au fond de nous. Une île seychelloise, tant qu'à faire. Et pourquoi pas celle d'Arros [13] ? Ou même au fond des bois.
Mais ça, c'est une autre histoire.
Doucement les basses ! gueulerait en chaire l'abbé Delon.


[1] 2012 a été désigné par la NASA le film de science-fiction le plus absurde :
http://www.allocine.fr/article/fichearticle_gen_carticle=18600564.html
[2] Article « Les mentalités doivent évoluer aussi », Le Journal du Centre du samedi 22 janvier 2011, témoignage d'Abdelmalek et de Walid, d'origine tunisienne
[3] He, 4, 12
[4] Nombre d'actifs (en millions) : 2005 = 27,6 ; 2050 = 28,5. Sources Insee, enquêtes Emploi, Projection de population active 2006 – 2050
[5] L'on notera les 10 milliards d'euros de bénéfices engrangés par Total pour l'exercice 2010 (+ 32% !) ; sources tous Quotidiens du 12/02/11
[6] Petite bibliothèque Payot n° 611, novembre 2006, p. 19
[7] Chroniques de La Montagne, Alexandre Vialatte, collection Bouquins-Robert Laffont, volume 2, 1962 – 1971
[8] Sodexo, champion du travail bas de gamme (article Basta ! du 10 février 2011) :
http://www.bastamag.net/article1417.html
[9] Une case de tableau Excel pour unique évaluation “parfaitement licite”, cette même case qui manque à son auteur :
http://eco.rue89.com/2011/02/09/erreur-de-clic-la-drh-envoie-un-fichier-secret-aux-salaries-189612
[10] Aujourd'hui les cœurs se desserrent, Stock, 2011
[11] Nouveau pic historique des prix alimentaires mondiaux (article notre-plantete.info du 11 févier 2011) :
http://www.notre-planete.info/actualites/lireactus.php?id=2704
Quand dans le même temps, le salaire mensuel de base a progressé de 0,2% au quatrième trimestre 2010 et les prix à la consommation (hors tabac) de 0,6% sur la même période (sources France tous Quotidiens du 12 février 2011)
[12] Film de Robert Zemekis, avec Tom Hanks et Helen Hunt, 2001
[13] http://www.parismatch.com/Actu-Match/Politique/Actu/Affaire-Bettencourt-voici-D-Arros-l-ile-mysterieuse-198260/

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