samedi 4 décembre 2010

Le pétrole nouveau est arrivé

L'après pétrole

Côté bagnoles
35.000 euros, voire 499€ mensuels, c'est le prix qu'il en coûte pour se procurer la dernière Peugeot entièrement électrique. À l'instar de ses jumelles, la Mitsubishi I-MiEV et la Citroën C-Zero, la Peugeot iOn relève encore de l'exception. Et bien qu'il faille déduire un bonus écologique de 5.000 €, le silence de la iOn revient à prix d'or, d'autant qu'il convient de recharger ses batteries tous les 150 kilomètres.
Il y a bien la SimplyCity à 12.999 euros (déduction faite), mais pour ce rabais, l'autonomie est réduite à 50 kilomètres et les batteries sont en plomb. Guère mieux du côté des hybrides à moteur principal essence couplé à un entraîneur électrique comme sur la Toyota Prius, ou l'inverse, à moteur électrique principal assisté d'un petit moteur essence comme sur l'Opel Ampera. Pas le top non plus.
En attendant des jours meilleurs, nonobstant l'engouement de façade, les portes du Mondial de l'Automobile se sont donc refermées sur le fiasco de la fée électricité. Bref, on est loin d'en avoir fini avec le vieux moteur thermique.

État des lieux
Rouler électrique ou thermique, peu importe d'ailleurs. L'essentiel étant de rouler, de se déplacer comme l'habitude nous y contraint : travail, plaisir, inutilité... etc. Dans l'absolu, on voit également mal ce qui pourrait remplacer tout ce qui fonctionne grâce aux énergies fossiles : camion, bateau, avion, chaudière, industrie ; vaste liste.
Las, cela ne peut plus durer. La déplétion arrive à grands pas. Le fameux pic pétrolier de Hubbert est annoncé pour cette année ; allez, tout au plus 2030. C'est dire combien ça urge.
On peut faire autant de salons, autant de grenelle qu'on veut, les grèves de fin octobre l'ont révélé : la pétro-addiction hante notre société. Nous sommes comme narco-prisonniers d'un système qui a vu la pétrochimie produire mille et uns intrants agricoles qui nous ont permis de passer de trois milliards de Terriens sains en 1960 à 6,9 milliards de pré-cancéreux en 2010. Voilà pourquoi l'urgence. D'abord parce qu'on va manquer de pétrole (entendra-t-on jusqu'à quel prix nous nous procurerons bientôt notre essence ?), ensuite parce qu'il nous contamine de partout : dans les médicaments, les vêtements, dans tous les produits justifiant tous les progrès. Du biberon au matelas anti-escarres, tout est pétrole. On fait même du beurre avec du pétrole, et on en a même tous mangé !
Voilà dans quel pétrin nous sommes et ça ne fait que commencer. Qui s'appropriera le pétrole dans dix, vingt ou trente ans ? Quelle police planétaire gèrera cette ressource si fondamentale ? La guerre du pétrole équivaudra-t-elle à ce que la guerre de l'eau est déjà en différents endroits de la Terre, comme au Darfour, en Haïti [1] ?
Stop !
Et puisque la mode irlandaise est à l'austérité, que nous en sommes au grand déballage de Wikileaks, sacrifions dès aujourd'hui à l'illusoire toutes ces mesures qu'il faudrait mettre en place – Impossible ! Vas savoir ?
Démotorisation du quelque 1 milliard de véhicules circulant sur Terre
Fiscalité dissuasive appliquée de manière dégressive selon la consommation, la pollution et la nécessaire utilité du véhicule
Restriction des véhicules tous-terrains aux seuls usages qui l'exigent
Arrêt du développement du réseau routier déjà suffisamment dispendieux en entretien
Incitation au civisme du covoiturage
Gratuité des transports urbains
En finir avec le système inflationnaire entretenu par les constructeurs automobiles
Multiplication des péages aux abords des villes
Interdiction du trafic aérien des vols touristiques et privés
Taxation sur l'utilisation des dérivés pétroliers dans l'industrie...
Illusoire. Je vous assure, cher cousin, que vous avez dit bizarre.

Haut de gamme de transition : de l'utopie...
L'entêtement spectaculaire des pouvoirs politiques, des médias (pourquoi diantre ?) dénie la question de l'après pétrole. Il n'est tout simplement pas politiquement correct ne serait-ce que de l'évoquer. Certes le réchauffement climatique ; certes la mondialisation de l'économie (comment contrer ces milliards de Chinois qui produisent tout six jours par semaine et huit heures par jour pour 120 euros par mois ?) ; certes la financiarisation des crises que nous n'aurons de cesse de connaître ; certes tout cela, mais la fin du pétrole, comment même l'envisager ?
L'ouvrage de Rob Hopkins, The Transition handbook. From oil dependency to local resilience [2] (par résilience entendons autonomie) possède au moins le mérite d'aborder cet épineux problème.



Tout est pétrole. Nous l'avons vu.
Pis, les pouvoirs politiques, à l'échelle planétaire, sont prêts à tout pour maintenir l'approvisionnement en pétrole – rapport Hirsh de 2006 – : une guerre en Irak, en Afghanistan ; une diplomatie ici, son contraire là ; là le traitement à prix d'or des sables bitumeux ; là encore la coûteuse implantation de plateformes hauturières, l'idée d'aller explorer le plancher des pôles, de liquéfier le charbon... Rien n'arrête le pieux lobbyisme. Du pétrole, du pétrole. Et si les astéroïdes en contenaient comme le pensent de plus en plus de planétologues, au rang desquels l'insatiable John Lewis de l'université d'Arizona ? Extraire le pétrole des entrailles d'un géocroiseur serait largement compenser par les métaux précieux couvrant sa surface [3], dit-il.
Non... nous ne sommes absolument pas préparés à affronter la question qui relève autant de la survie que du vivre autrement.
Faisant suite à la première partie, intitulée The Head, la seconde, intitulée The Heart, nous invite à la réflexion. C'est là où commence le travail de Hopkins.
Une manière de rebondir face à ce problème qu'on a volontairement situé au cœur même de la dépendance de l'individu (d'où son addiction) ne peut relever que de la dynamique collective bien connue des Mousquetaires : un pour tous, tous pour un. Indépendamment des structures étatiques monopolisantes, la communauté, « comme lieu de construction d'une autonomie collective à partir d'une situation commune » [4] révèle la forme la plus stable d'une autonomie locale. Prenons pour exemple les communautés monastiques qui, loin de l'autarcie dans lesquelles on cherche à les cloîtrer, s'auto-équilibrent d'elles-mêmes dans leur brillant exercice pluri-séculaire. Dans un contexte moins restrictif, l'on pourrait aussi parler de cette Allemagne qui, générant des profits substantiels à l'exportation, fait aujourd'hui le gros dos et la sourde oreille au sein de l'Europe. Plus que le populisme ravageur dont la Suisse s'est affranchi le week-end dernier (dimanche 28 novembre 2010), c'est à un retour aux sources d'une collectivité responsable (pensons au village gaulois, Astérix en tête ; pensons aussi aux Parsonniers morvandiaux dont j'ai déjà traité du sujet [5]) que cette deuxième partie d'ouvrage nous convie.
L'objet de la troisième partie, The Hands, est de fournir les outils nécessaires pour construire et faire durablement vivre cette communauté, à travers un projet consistant à passer à une économie moins dépendante des énergies fossiles.
Poussant plus loin sa réflexion, Rob Hopkins nous invite ainsi à « rompre avec l'industrialisme, avec la religion de la croissance et l'enrôlement obligatoire dans le salariat » [6]. Bigre !

… à la réalité
Usons donc de la même méfiance qui faisait craindre à André Gorz que les communautés villageoises pouvaient nourrir d'utopie. Pour lui, la relocalisation nécessaire des différentes activités d'un groupe telles que nous les connaissions dans les années soixante-soixante-dix, avant que l'éclatement des familles ne voient leurs membres dispersés au quatre vents (le Strasbourgeois travaillant à Nice et le Niçois contraint de s'exiler à Pétahouchnok) ne se distancie pas des structures étatiques. Bien au contraire, les initiatives locales tendraient à nous faire « regagner le contrôle que nous avons perdu sur les institutions qui gouvernent nos vies » [7]. Plus de collectivismes, davantage d'associations renforcent la cohésion d'un même État.
Récemment, je regardais une émission de Ruquier. Il recevait Arnaud Montebourg au sujet de la sortie de son livre-projet de campagne, Des Idées et des Rêves. Où l'on apprend que ce dernier plaide pour « un capitalisme coopératif », un retour aux coopératives, et de citer pour exemple de grands groupes tels que Candia, Douce France, Prince de Bretagne, Savéol, le groupe Chèque Déjeuner, les mutuelles. Dans ces entreprises les employés sont possesseurs des moyens de production et la différence de salaires entre le PDG et la secrétaire n'est que de un ou un cinq. Pas banal, non plus.
On voit que l'utopie de Rob Hopkins, en quelque sorte revue et corrigée par André Gorz, commence a fait des émules jusque dans les hautes sphères de la démocratie. C'est cela la transition, cette prise de conscience suivie de faits et de propositions sinon viables du moins extrêmement fiables, puisque testés dans l'agro-alimentaire et les services, y compris les banques.
Une solidarité étendue, non pas comme simple devoir de solidarité (je te donne une pièce dans la rue et je m'en vais aussitôt), mais « comme une réelle interdépendance de tous ». J'habite où je travaille, avec ce que cela sous-entend de noyau familial recréé, autrement dit le projet des « Transitions towns » [8] prend toute sa signification. Moins de dépenses énergétiques, moins de déshumanisation, plus de collectivisme, de solidarité et de responsabilités partagées. Plus de vie.
Gorz disait : « l'évaluation de nos besoins et de la manière de les satisfaire constitue le domaine réservé d'une caste d'experts s'abritant derrière un savoir supérieur, prétendument inaccessible à la population ».
Vous vous trompez, messieurs, nous prenons notre avenir en mains, pourrions-nous leur rétorquer.

Il est déjà trop tard !
Frank Fenner, professeur de microbiologie et de virologie à l'université de Canberra, éminent membre de l'académie australienne et de la Royal Society, en est convaincu.
Trop tard : l'espèce humaine devrait s'éteindre d'ici peu. La révélation est tombée le 16 juin dernier sur les téléscripteurs du quotidien The Australian [9].
« Nous allons disparaître. Quoique nous fassions maintenant, il est trop tard. »
D'autres que lui soutiennent aujourd'hui cette thèse, tels le prix Nobel de chimie, Paul Crutzen, ou encore Éric Lambin [10], membre de l'académie des sciences. L'Anthropocène, cette ère géologique dans laquelle nous sommes entrés depuis les années 1800 avec la révolution industrielle et l'exploitation massive des énergies fossiles, scellera le destin de l'humanité.
À cela, l'explosion démographie (9 milliards de Terriens en 2050) [11] et « la consommation effrénée ». « Nous allons subir le même sort que les personnes sur l'île de Pâques. Le changement climatique ne fait que commencer ».
Sans doute avait-il lu le romancier James Howard Kunstler [12] prédisant que « L'âge de la croissance touch[ant] à sa fin, nous n'avons pas besoin de passer du temps à critiquer le système car, de toute manière, le capitalisme va s'effondrer de lui-même » ?
En tout cas, Fenner de déclarer dans son interview : « Homo sapiens devrait disparaître, peut-être dans 100 ans », […] « j'essaie de ne pas trop le dire car il y a des gens qui essaient de faire changer les choses ». Et là, sans doute pensait-il à son collègue, Stephen Boyden, qui fait effectivement montre d'un optimisme raisonné :
« Bien qu'il n'y ait qu'une lueur d'espoir, cela vaut la peine de résoudre le problème. »
Croisons les doigts.

Et cette satanée voiture qui nous dévoile
Imaginaire phallique libidinal chez l'homme, outil pratique chez la femme, l'automobile tend aujourd'hui à surpasser le rite au profit d'une éco-responsabilité partagée. Le tigre dans le moteur d'Esso ou « Il a la voiture, il aura la femme » d'Audi, font place à d'autres arguments. BMW n'y va pas par quatre chemins – en serait-il autrement d'une voiture ? – susurrant que « Le plaisir est une énergie renouvelable ». Range Rover promettant rien moins que « Le moteur qui respire ».
Mais qu'on ne s'y trompe pas, les performances et le statut sont toujours bel et bien d'actualité. Et c'est très certainement l'une des causes qui justifie qu'on s'y adonne avec autant de plaisir, sinon plus qu'avant. En fait, nous sommes tous tiraillés entre la fatalité du renoncement (les Chinois bazardent déjà leurs vélos au profit de la bagnole, c'est dire que ce n'est pas prêt de s'arrêter) ; entre l'optimisme en cet avenir qui verra, tôt ou tard, l'avènement de la voiture propre ; entre le rejet d'une responsabilité ne nous appartenant pas, et, pour finir, entre l'argument matériel, plus ou moins justifié, qu'il n'est rien d'autres que sa propre voiture pour se déplacer.

L'après pétrole, vous avez dit... Quel après pétrole ?



[1] Des tensions sont font déjà sentir ailleurs pour la gestion de l'eau potable. Ainsi la question du contrôle du plateau du Golan entre Israël et la Syrie, le partage des eaux du Tigre et de l'Euphrate entre la Turquie, la Syrie et l'Irak, les captages sur le Nil entre l'Égypte et le Soudan, sur le Colorado entre l'es États-Unis et le Mexique, sur le Parana entre le Brésil, l'Argentine et le Paraguay, le Sénégal entre la Mauritanie et le Sénégal, le Zambèze entre la Zambie et le Zimbabwe, le Mékong entre la Chine, le Laos, le Vietnam et le Cambodge, la Cenepa entre l'Équateur et le Pérou, le Douro entre l'Espagne et le Portugal, le Danube entre la Slovaquie et la Hongrie, l'Indus entre l'Inde et la Pakistan, le Gange entre l'Inde et de Bangladesh, la Syr-Daria entre le Kirghizstan et le Kazakhstan... etc. Il faut savoir qu'un milliard de Terriens n'ont pas d'eau potable alors que dans le même temps un Français en consomme 180 litres par jour, un Japonais 280 litres, un Américain 295 litres et un Canadien 330 litres.
Sources Géopolitique de l'eau,
www.scienceshumaines.com
[2] Manuel de transition, De la dépendance au pétrole à la résilience locale, traduction française SilenceEcosociété, 2010
[3] À 60.000 euros le kilo de rhodium, contre 30.000 pour l'or, un astéroïde de 100 mètres de diamètre représenterait une manne de 10 milliards d'euros. De quoi largement aider à tirer des plans sur... l'astéroïde. Source Sciences & Vie n°1118
[4] Op. cit. Rob Hopkins, p.93
[6] Op. cit. Rob Hopkins, p.212
[7] Sortir du capitalisme a déjà commencé, texte visible dans la revue EcoRev', http://ecorev.org/spip.php?article735
[8] À ce sujet, on verra l'article de Wikipédia : Ville en transistion. Des villes comme Grenoble, Lyon, Saint-Quentin-en-Yvelines, Trièves, Sucy-en-Brie, Bruxelles, Québec, Sutton, Denver, Boulder... ont déjà entamé une réflexion de transition.
[10] La Terre sur un fil, Eric Lambin, Le Pommier, rééd. 2010
[11] Chiffre de l'ONU
[12] World Made by Hand, 2008, in www.bastamag.net

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