dimanche 2 janvier 2011

Tétrapode


Le plan-séquence est le suivant : moi dans mon canapé et le commentaire avisé d'un scientiste de France 5 pour ronron. J'ai pris ce Voyage aux origines de la Terre au hasard d'une pub sur TMC, et forcément j'ai raté les trois premiers milliards d'années !



Pépé lézard
La voix de baryton me dit que nous sommes au dévonien et je ne cherche en rien à la contrarier ; elle sait ce qu'il y a d'écrit sur le papier qu'elle lit sans accroc. Un poisson se balade dans les eaux primitives du Gondwana, Terre d'alors. Depuis quelque temps, un projet le taraude ; en fait, s'il tient à rester en vie le plus longtemps possible, autrement dit s'il ne veut pas finir comme ses congénères dans la gueule de plus gros et plus terrifiant que lui, son seul espoir : gagner la terre ferme. C'est ce qui se passe dans la petite tête de Panderichthys.
Patience, car entre le Frasnien (-385 Ma) [1] et le dévonien supérieur (-365 Ma), pas moins de vingt millions d'années à battre la nageoire ou ce qu'il en reste ! Largement de quoi se faire dévorer, mais aussi, de fil en aiguille, de quoi acquérir de réelles capacités pulmonaires, un volume encéphalique conséquent et la locomotion terrestre. La première bestiole à s'émanciper du milieu marin est un tétrapode répondant au doux nom d'Ichthyostega.
Ce serait, dit-on, l'ancêtre des mammifères, notre ancêtre.
Un reptile !


Ichthyostega © Wikipédia (cliquez pour agrandir)

Savoir qu'Albert Einstein ou le SDF mort de froid la nuit dernière descendent d'un lézard procure à l'être bien plus qu'une identité ou le scénario d'une série télé de type V. Notre arbre ne remontrait donc plus ni à Adam et Ève, ni à Homo sapiens, ni même à la Révolution française, aux templiers ; mieux que cela. L'Ichtyostega n'a pas posé la patte sur Terre qu'il ouvre notre généalogie.
Ainsi ai-je pour ascendance les couples Pierre-Simone, Pierre-Irma, Fernand-Jeanne, Jean-Marie, Gisbert-Adriana... et, comme tout un chacun (de Saddam Hussein, Sinatra, Watteau, Vercingétorix à Jeanne d'Arc en passant par l'Égyptien des pyramides, l'Australopithèque bipède ou miss France), les heureux couples de bonobo, de Proconsul hominoidea à 32 dents, d'Aegyptopithecus, de Carpolestes simpsoni, d'Eomaia, de Repenomamus, d'Hylonomus et finalement d'Ichthyostega en personne. Ce qui expliquerait, en partie, la salamandre du blason de François 1er ; mais en aucun cas notre trouille des serpents – Alors, on reconnaît plus pépé ?


Le jabot de Blake


William Blake par Thomas Philips

Le jabot de William Blake au firmament de sa notoriété n'arrête malheureusement pas le temps comme le laisserait supposer un regard tourné d'assurance. La belle affaire ! À sa décharge de ne pas connaître, ni même entrevoir, ce que furent réellement nos origines ; un jabot reste un jabot. Mais un Ichthyostega, non. Ça n'a de cesse d'évoluer. D'abord ça rampe, puis vient le moment où les pattes s'allongent. Au cénozoïque de son affaire, il y a 70 millions d'années, tandis que le cœlacanthe se refuse à quitter le milieu aqueux, il est un petit primate, disons entre le rat et le lémurien – certains s'y reconnaîtrons déjà.
63 Ma plus tard, il bazarde ses oripeaux simiesques, traversent des steppes, des savanes, épouse la jeune Lucy, mignonne hominidé d'Éthiopie et deviendra roi des Australopéthèque afarensis. En 400.000 avant Jésus-Christ, Jean-Jacques Annaud plante le décor de sa « Guerre du feu » en Terra Amata, non loin de Nice, et prend pour figurants et acteurs les descendants de Lucy et de son bel Homo Habilis, les Érectus du Paléolithique. Ils ne sont encore ni Néandertal (180.000 ans), ni Cro-Magnon (30.000 ans), ni proto-céramistes du Néolithique, ni Blake, ni vous, ni moi, mais ça viendra.


Les révélations de Max
Parce qu'il en a fait de belles, Ichthyostega, depuis qu'il s'est doré la pilule au sortir du bain. Et ce ne sont pas les paléogénéticiens de l'Institut Max Plank qui me contrediront. Du monde, des branches, il en a dispersé à tous les vents ; pire qu'Henri IV en période de brame.
Maintenant que l'on séquence tout des génomes de ceci ou de cela, c'est dire si les fossiles découverts ici et là en racontent des croisements, des métissages. Après nous avoir dit qu'il y avait du Néandertal [2] en nous, que 27% de nos gènes modernes seraient apparus durant « l'expansion archéenne » (entre -3,8 à -2,5 milliards d'années), les anthropologues évolutionnistes de Leipzig viennent de publier dans Nature [3] les résultats portant sur le séquençage du génome de l'Hominidé de Denisova.


Denisova hominin © eurosciences.net

Ainsi, la fillette des montagnes de l'Altaï au sud de la Sibérie – entre Kazakhstan et Mongolie –, dont l'auriculaire a été soumis à la question, nous apprend que à 4 à 5% de son génome vieux de 30.000 ans [4] se retrouve aujourd'hui chez les Mélanésiens (Nouvelle-Guinée et île de Bougainville comprises) [5].


Les paparazzi du Gondwana
Bref tour d'horizon pour dire que, si les Terriens d'aujourd'hui sont tous issus de trois à quatre branches (Néandertal, Homo sapiens, l'Homme de Florès et l'Homme de Denisova), leur métissage d'Afrique en Asie ou en Europe tendrait à aplanir bien des discordes. Que dire aussi du patrimoine génétique entre les races, dès lors que celui qui nous sépare des grands primates n'est que de 98% ; que dire alors de ce 100% gènes entre les humains ?
Si j'en reviens à mon lézard antédiluvien à qui les mammifères doivent leur existence, à fortiori l'homme moderne, ce n'est plus du 100% discursif ou relevant des sphères anthropologiques, mais belle et bien l'origine, notre origine – Je vois d'ici la tronche d'Hitler s'extasiant pour un Arien, comme je vois celle de qui se rend chez Botanic faire l'acquisition d'un iguane.
À la rigueur et à chercher la petite bête, « la part néandertanlienne chez les non-Africains actuels et l'héritage dénisovien chez les Papous pourraient-ils susciter des thèses racialistes » [6] – en quoi d'ailleurs l'homme aurait-il besoin de s'enfoncer si loin pour dénicher tel ou tel argument de sa haine ? –, que, sans notre bon vieux saurien du Gondwana, nous ne serions vraisemblable-ment pas là ou sous cette forme pour nous chamailler. Et dire que Panderichthys n'avait qu'un petit pois pour cerveau !
Davantage qu'une leçon de SVT, des émissions comme Voyage aux origines de la Terre n'ont pas leur pareille pour nous inviter à cheminer selon nos propres radicelles. Là où les linguistes justifieraient le lexème étymologique classificateur, l'ordre et la mesure, le paléoanthropologue, bien que certainement mû par des guéguerres intra-spécialistes, avance, quant à lui, avec des pincettes. À vrai dire, quand Ichthyostega est sorti de l'eau il n'y avait pas plus de vidéo surveillance que de paparazzi pour témoigner de leur cannibalisme. Et c'est même par ce que la Terre lui donne à lire, que l'homme de Max ou du Muséum s'évertue de déchiffrage, pièce après pièce, avec mille et un retours en arrière ; tout dans la nuance, la déduction méthodique.
Une chose est sûre : chaque organisme sur Terre provient d'ancêtres très éloignés. Nous ne serons donc jamais celui ou celle que nous pensions être.


Dura Mater du Connéen
Nos vues s'arrêtent-elles à notre nombrilisme, nos caprices, que l'Histoire de l'homme évolue sans chichis ni trop d'artifices. Au train où vont les choses, il n'est que deux scenarii possibles : ou ça passe, ou ça casse.
Ça passe et nous poursuivons notre chrysalide à grands renforts de sciences – on peut raisonnablement supposer ne plus perdre nos dents, venir très vieux, voyager autrement et plus loin... avec tout ce que cela sous-entend de “ déraisons ” et/ou de mutations. Ça casse [7] et la Terre se passe de nous. Elle se crée un nouveau Petit Prince, droit sorti d'un néo-Gondwana. Ce ne sont ni les idées ni les plaques qui lui manquent, il n'est que de creuser pour s'en rendre compte.
Mais combien triste serait-il de laisser à nos lointains descendants d'exhumer les fossiles de l'Ère du Connéen soi-disant supérieur, de les effrayer par notre apparence rebutante inscrite dans la roche des fonds marins ; dure-mère aussi superficielle que résistante. « Indignez-vous ! » [8]
De toute façon, pas mieux lotis qu'une Rome antique, une civilisation maya, nous ne serons jamais qu'une virgule dans le grand Livre.
Y' aurait comme un lézard !






[1] Noté aussi MA (!)
[2] 1 à 4% des gènes de l'Homme de Néandertal se retrouvent chez les Chinois Han, les Français, les Papous de Nouvelle-Guinée (source David Reich, Havard Medical School, également cosignataire de l'article paru dans Nature, voir note suivante)
(article payant du 23/12/2010)
[4] L'Hominidé de Denisova est contemporain de Cro-Magnon et de Néandertal, mais n'a aucune lignée avec eux
[6] Note précédente
[7] Six points de bascule majeurs ont été identifiés : la fonte des glaciers du Groenland, la panne du tapis roulant Atlantique, la disparition de la forêt amazonienne, la raréfaction des nuages de poussières du Sahara, le dégel du permafrost sibérien, l'arrêt de la mousson (sources Science & Vie n°1120, de janvier 2011)
[8] Du cri d'un grand résistant : Indignez-vous !, Stéphane Hessel, Indigènes éditions, oct.2010, 32 pages, 3€

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