dimanche 18 juillet 2010

Cours-y vite, cours-y vite, Rubempré !

Par-delà l'ukase moraliste selon lequel l'économie contribue au bien-être du quidam (attribut pléonastique : “de base”), nous subissons, et ce n'est pas nouveau, les revers d'un capitalisme totalement, globalement amoral. Un capitalisme générant ses laissés-pour-compte, on le voit très bien, on le vit surtout nettement moins bien dans la difficulté qu'il y a à ne plus pouvoir retarder le moment où chaque euro tombé dans l'entonnoir se perd aussitôt dans l'étranglement dispendieux d'une certaine pauvreté. On le voit également à travers les plus infimes détails s'imbriquant les uns les autres sans qu'on en ait seulement idée.
La plateforme BP explosant, tuant onze techniciens et réduisant à quai les pêcheurs côtiers, provoque un effondrement de sa valeur boursière. Irait-on encourager les retraites par capitalisation comme on le pratique outre-Manche, qu'on s'aperçoit que cette façon d'assurer ses arrières dépend, bon an mal an, des tergiversations de la Bourse (qu'on le fasse sciemment ou par l'intermédiaire d'une société d'assurances, un consortium bancaire). Ceci étant et pour en revenir à BP, dès lors que la plateforme explose, se sont quasiment tous les retraités britanniques qui en pâtissent ; en moyenne un sixième de leur pension en moins. Pensez, 8,4 milliards d'euros annuels de dividendes [1] en moins dans l'escarcelle, c'est pas du panaché !

Pour la France
Parlez de « moraliser le capitalisme financier » comme le prône le président Nicolas Sarkozy [2], est foncièrement trompeur. C'est aussi reconnaître et admettre l'immoralité de la chose. La libéralisation inconditionnelle de la mémoire courte ne fait qu'amputer l'avenir d'incertitudes hasardeuses par un droit d'aînesse dépassé. Autrement formulé, moraliser l'amoralisme, c'est briser la jeunesse avant qu'elle n'ait fait usage des prérogatives de ses études, de ses engagements, de ses attentes – fussent-elles celles du mousse espérant devenir capitaine. C'est exactement ce qu'on retrouve dans la primauté des concours administratifs surévaluant leur champ d'application.
Les pages immuables de nos quotidiens que sont la Bourse et le PMU (et, là encore, ce n'est certes pas un hasard) tiendraient tout autant de l'immoralité du capitalisme que du jeu : Ou tu gruges l'autre, ou tu gagnes le million. Tu parles d'une alternative !
Je suis triste en voyant la liste de tous ces jeunes admis aux examens, les imaginant bondissant devant le tableau des jurys. Je suis triste de leur mentir ainsi, du seul fait qu'ils devront se saigner pour “trois euros six cents” la tête bien remplie. Je suis triste pour tous ces Rubempré [3] hâtés de percer coquille. Parce qu'une fois encore, il y aurait plus que matière à débat : comment juger de ce que serait l'élite dès lors qu'on encense les Rastignac de la raquette ou de la balle au pied – ces graines d'Anelka qu'on n'est parfois même plus fichu de leur vendre ?


© Google images
Cependant que les mannes corporatistes virevoltent devant nos écrans plats, force est d'admettre que le basculement des valeurs n'est hélas plus à la résistance ou au savoir. Il n'est plus à l'exception mais au sensationnel, au support. Même les professeurs de médecine, les néo-praticiens de la spécialité s'affichent, non plus en exemplarité de leur boutonnière ou par le tropisme de la maîtrise parfaite, mais par la subversion de leurs yachts imposants, l'individualisme paradoxal de qui est sensé s'adonner à l'autre.
J'ai souvenir qu'autrefois nous voulions être pilote de chasse ou puéricultrice. Je ne me rappelle jamais avoir entendu l'une ou l'un d'entre nous vouloir être nounou ou plombier. C'est pourtant ce dont les récrés s'alimentent aujourd'hui : les bases minimalistes de la sociabilité, ce quelque chose de vital, comme une possible survie, aussi lucide que froide. Qu'est-il devenu le François de Tati qui faisait facteur parce qu'il savait lire et faire du vélo ? Qu'est-ce donc que ces monuments aux morts qui s'érigent aux portes de nos cités, à même les trottoirs des Pôle-Emploi de service ?

“ L'euro m'a tuer ”
La dernière intervention du chef de l'État [4] n'a quasiment porté que sur la question Bettencourt-Woerth. Qu'est-ce que les jeunes en ont à faire et est-ce que cette ultime précision suffira à laver la classe politique de tout soupçon ? Pas sûr.
Pas sûr, d'autant que, quand il est dit que Liliane Bettencourt paie « Plusieurs millions d'euros par mois » [5], c'est omettre qu'elle n'en paie que trois par mois, ce qui ramené à sa fortune personnelle estimée à plus de 10 milliards (oups !) ne représente que 0,5% du patrimoine total ; une paille !
Pas sûr, quand d'autre part il est dit que « Le bouclier fiscal existe en Allemagne depuis plus de vingt ans », alors qu'il a été supprimé en 2006.
Pas sûr, quand il est dit qu' « Il n'y a aucune raison que l'État s'impose une gestion rigoureuse et que les collectivités territoriales, notamment les régions, continuent une politique d'augmentation du nombre de fonctionnaires : 34.000 chaque année depuis 10 ans à compétence constante ». Car dans les faits, les régions (essentiellement marquées à gauche) assistent à des « transferts de compétence » (RSA, prestation de compensation du handicap...) qui motivent des emplois supplémentaires.
Vraiment pas sûr encore [6] :
écart entre 2000 et 2008 :
baguette
3 francs
0,85 €
+ 85%

lait
1,30 francs
0,56 €
+ 183%

P de terre
1,50 francs
3,30 €
+ 1435%

baril
30,00 €
119,00 €
+ 396%

salaire moyen
16 875,00 €
16 792,00 €
- 0,5%

salaire président
6 075,89 €
19 331,00 €
+ 218%

Hegel disait
… Que les intérêts particuliers contribuèrent à la chute de l'empire romain. [7] Par cette forme de décadence, la société civile ne s'est tout bonnement plus reconnue dans ce qui résultait du bien commun et de la cohésion.
On ne peut décemment se battre (guerre réelle quand elle était possible ou guerre économique larvée) ; à fortiori, maintenir la barre que, et seulement si, le peuple accepte et reçoit les armes. Car à vrai dire, nous serons toujours en guerre contre ceci ou cela. Parler d'un monde idyllique serait comme de jouer du violon sans partition ; viendrait le moment où les cordes se détendraient, où l'inspiration se déliterait.
[1] source LMD de juillet 2010
[2] Lors de la conférence de presse à l'ONU, le 23 septembre 2008
[3] Lucien de Rubempré (les Illusions perdues) et l'ambitieux Eugène de Rastignac sont deux personnages romanesques d'Honoré de Balzac
[4] 12 juillet 2010 depuis le perron de l'Elysée
[5] citations et chiffres : www.lexpansion.com , Comment David Pujadas aurait pu argumenter contre Nicolas Sarkozy
[6] extrait d'un courriel circulant actuellement et restant à confirmer

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