mardi 6 juillet 2010

Fragile


Haut
Il faut savoir qu'en ces beaux quartiers, Villa Montmorency [1] par exemple, on se fiche pas mal de la Coupe du monde, tout juste discourra-t-on sur la dernière victoire de Nadal à Wimbledon, le tournoi de polo à la Ferme d'Apremont, en Oise. Pour le reste, autrement dit tout le temps, on fait salon, on déjeune aux chandelles, on se dit « propriétaire de la France [2]» (les autres n'étant sans doute que les locataires chargés de verser loyer), on revient d'un voyage forcément harassant, on prétend que « les femmes sont sorties de la société lorsqu'elles sont entrées dans les bureaux [3]» (entendez bien, la société dès lors qu'il n'en est qu'une possible, la haute). Les enfants s'invitent en cercles concentriques clos, copulent et viennent à faire salon. C'est la France d'en-haut, la France présidentielle, la France autrement plus communautaire que la France populiste, la France du Siège et de l'Argent.
Une France présidentielle parfois bien dérangeante. Ainsi, la gouaille détonante, le curriculum vitæ pompeux [4] de son Président ; ainsi les écarts de ses serviteurs dont monsieur le maire de Chantilly, Éric Woerth, et madame, contraints au seul lest qui soit. Qu'importe d'ailleurs, pourvu que l'économie libérale ou néolibérale continue d'asseoir son ingérence dans les arcanes du pouvoir, pourvu que le peuple reste à sa place et n'aille pas faire amende de son dû comme ce fut le cas durant les grèves de 1995, célèbres par leur ampleur contre le plan Juppé sur les retraites et la Sécurité sociale, par la crainte qu'elles incitèrent dans les hautes sphères.

Bas
Pas de noms, pas de titres, reconnaissable entre tous : l'illustre à rien s'illustrant en tout. Un champion de l'audimat publiant son roman, une eurodéputée vocalisant sur RTL2, un rappeur pilotant un monstre aux 24 Heures du Mans, la “fille de” s'autoproclamant actrice, un usager du smoking à deux doigts de créer son parti. Et tout le talent qui va avec.
Je me suis toujours plu à croire à l'incommensurable succès de Ravaillac contant par le menu ses mémoires de trucideur royal. Ah, la belle époque que la nôtre s'il avait été de ce monde et gracié d'indulgente justice ! Le Seuil ou Plon auraient vendu père et mère pour manœuvrer d'étals et de tirages gloutons. Que n'avons-nous pas perdu de Landru, du grognard napoléonien, de Mata Hari ou de l'aspic de Cléopâtre ?

© images Google

Mais déjà je vois poindre les derniers œufs de Domenech, d'Escalettes et d'Anelka, tous dans le même panier de la ménagère de moins de cinquante ans, par ailleurs lectrice de tabloïds sur fond de plage. Pas foutus, nos trois larrons, de parler d'autre chose que de la chose n'ayant aucun rapport avec le foot – ah, ça non ! Triste sort que le nôtre accroché aux potins, avide d'insignifiances contagieuses, graduellement disconvenu dans l'effort de noyer le quotidien dans son bain de futilités, d'évasion, de positionner sa vie dans celle de l'autre. Et pas n'importe quel autre : l'homo notorietae spectaculis, 'xcusez du peu ! Comme si la notoriété hissait pavillon et société aussi bien qu'un brasseur en plein torpeur.
En haut donc, un vrai-faux diplômé à la tête de la France ; en bas, un bac +5 empêtré dans un CDD à gratter pour une entreprise de nettoyage tandis que la célébrité du même âge s'escrime dans le bocal. Chercher l'erreur.
Et le milieu dans tout ça, le juste milieu ? Comme Le monde de silence avalant la Calypso ou l'ermite dans un champ de bataille, en voie d'absorption, compression de César entre gloire et loto, coincée entre naphtaline et grand jour ?
Fragile tout ça, very fragile. Handle with care, beaucoup de care. Ce qui arrive souvent quand on met ses œufs dans le même panier... Et si le milieu – un peu comme l'avenir de la voiture électrique passe par le lithium, comme il y a du Neandertal en chacun de nous, comme les singes ne parlent pas qu'avec les mains ou comme les apsaras dansent toujours seins nus – et si le juste milieu, c'était justement une question de déménageurs, de bons et solides pros, du genre de ceux qu'on emploie dans les garde-meubles ?
[1] 150 maisons cernées de murs, dont celle de Carla Bruny-Sarkozy
[2] Vicomte Olivier de Rohan Chabot, in rue89 : Affaire Woerth : Comment on se rend service dans le gotha, entretiens avec les sociologues Pinçon-Charlot
[3] Ibid rue89, Philippe Denis
[4] fondation-copernic.org : Sarkozy et l'université - la revanche d'un cancre, article de Alain Garrigou, professeur de science politique Paris X-Nanterre, 26/02/2009. Où l'on apprend que le Président a bien obtenu son "Certificat d'aptitude à la profession d'avocat en 1980 avec la note 10/20", mais pas son DEA de science politique Paris X-Nanterre... avec mention. Le DEA ayant été "ajourné" en première session" car le candidat a été déclaré "absent de l'épreuve et n'ayant pas rendu son mémoire". Guère mieux que le fils en quelque sorte.

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