jeudi 12 août 2010

Les eaux de ruissellement


À seigneur, tout honneur : commençons par un clin d'œil en Nièvre. Lu dans le Journal du Centre de ce 3 août 2010 :
article : Les élus nivernais en vacances :
Didier Boulaud, sénateur PS, président de la communauté d'agglomération de Nevers.
« Comme l'an dernier, je pars en Argentine. J'ai une maison là-bas. Pendant deux semaines en août, je vais aller à Buenos Aires et Mendoza, à la frontière chilienne. »
Nous vous rappelons qu'il reste encore quelques billets pour un voyage spatial à bord du Space Ship Two de la Virgin Galactic ; contactez : www.unticketpourlespace.fr et bénéficiez de nos dernières promotions : trois à quatre minutes en impesanteur [1] pour seulement 200.000 $ !

Plus sérieusement, la lecture gratifiante et tellement actuelle de :
Thomas Paine (29/01/1737 – 08/06/1809), intellectuel pamphlétaire, Les Droits de l'homme ; en réponse à l'attaque de M. Burke sur la révolution française, Belin poche, avril 2009, pp 10-11 :
« […] je réponds –
Il n'y eut, il n'y aura jamais, il est même impossible qu'il existe dans aucun temps ou dans aucun pays un Parlement qui ait le droit de lier la postérité jusqu'à la consommation des siècles, ou de commander de quelle manière le monde doit être gouverné, et par qui il sera gouverné jusqu'à l'éternité.
[…]
– Chaque siècle, chaque génération doit avoir la même liberté d'agir, dans tous les cas, que les siècles et les générations qui l'ont précédé. La vanité et la présomption de vouloir gouverner au-delà du tombeau est la plus ridicule et la plus insupportable de toutes les tyrannies.
L'homme n'a aucun droit de propriété sur un autre homme, ni les générations actuelles sur les générations futures.
[…] Chaque génération a et doit avoir la compétence d'agir suivant que ses besoins l'exigent.
»
On saisit mieux toute l'amoralité qu'il y a à trop vouloir imposer ses vues, s'enferrant à terme dans l'espace restrictif de ses propres convictions. J'adore cette rubrique de fin de magazine qu'on trouve dans chaque Science et Vie [2], quand l'interview d'un savant l'amène à concéder, d'une part, ce qui a pu le faire changer d'avis ; ce dont il est intimement sûr sans pouvoir le démontrer, d'autre part. C'est le champ libre de la réflexion. Ce qui fait avancer la machine, produisant le plus bel effort qui soit : « Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage [3]».

Science ne nuit donc pas, la preuve avec :
Dorothée Benoit-Browaeys, journaliste scientifique spécialisée dans les sciences du vivant, déléguée générale de VivAgora, Le meilleur des nanomondes, Buchet & Chastel, mars 2009, chapitre La descente vers l'invisible, pp 37-38 :
« La firme Applied Digital a reçu l'an dernier [4] l'approbation de la Food and Drug Administration (l'autorité américaine en matière de médicaments) pour sa « puce médicale incorporée », qui s'implante sous la peau et émet, par la technologie RFID (Radio Frequency Identification, identification par radio-fréquence), l'histoire médicale complète du patient. »
En ces temps où la science-fiction n'a plus aucun mal à rejoindre la réalité (pensons au film de Doug Liman avec Matt Damon dans le rôle de Jason Bourne, La mémoire dans la peau, 2002, adapté du roman éponyme de Robert Ludlum), en ces temps, dis-je, où les apprentis sorciers s'illustrent en maximes divinatoires, il est un homme. Il est l'homme ; cet homme dont le philosophe René Girard ne cesse de nous entretenir par unique désignation du bouc émissaire. Plus besoin désormais de trianguler un portable pour le géolocaliser, plus besoin d'alibis, d'arguments péremptoires, suffit-il d'inféoder l'homme aux fers de sa propre liberté. Il sera toujours d'autant plus commode de signaler l'ennemi, la bête noire, le rebelle (celui sur qui on fera peser tous les maux) que, sous couvert de progrès inavouables, on s'arrogera la pire comédie qui soit : l'Arlequinade.
A donc, comme Applied Digital pour « Chiffrage appliqué », quasiment un numéro sur un avant-bras, le digicode des marchés aux bestiaux. Sachant que nous venons en grande partie d'elle, la Femme de Las Palmas, ancêtre mexicaine de 10.000 ans :

© La mujer de Palmas / lepost

Emprunté à la bibliothèque municipale, ce magnifique ouvrage de :
Philippe Bovet, journaliste photographe spécialisé en environnement, habitat et urbanisme écologique, Eco-quartiers en Europe, Ma Ville, Ma Planète, éditions Terre Vivante, mai 2009, p. 18 :
« Inauguré en 1998, le site François-Mitterrand de la Bibliothèque nationale de France (BNF) à Paris est l'archétype du bâtiment qui, dès sa conception, a tourné le dos à la question énergétique. […] Le bon sens n'aurait-il pas dicté de faire l'inverse : mettre les livres dans les sous-sols sombres et frais, et les lecteurs en hauteur pour qu'ils profitent de la lumière naturelle ? Le résultat est accablant : le site engloutit chaque année 54 gigawattheures (GWh) d'électricité et de chaleur. En comparaison, les besoins municipaux annuels de Montpellier (bâtiments communaux, éclairage public et feux tricolores) sont de 63 GWh. »
Le livre, ou le Siècle des Lumières pour des siècles d'obscurantisme... Tiens, j'imagine le Bombé et le Glaude péter comme des sourds et la Denrée emmener tout ce beau monde sur Oxo : BNF et cadrin [5] de soupe compris ! Ça, ce serait de la postérité à moindre coût !

Remarquable de concision et d'approche par son enseignement aujourd'hui largement reconnu :
Lucien Sève (09/12/1926), philosophe, membre du Comité central du PCF jusqu'en 1994 (démissionnaire en avril 2010) et membre du Comité consultatif national d'éthique de 1983 à 2000, Penser avec Marx aujourd'hui, Tome 2, L'homme, éditions La Dispute, novembre 2008, p. 560 :
« Sous l'éclatement de la bulle spéculative [6] formée par l'enflure de la finance, il y a l'universel accaparement par le capital de la richesse créée par le travail, et, sous cette distorsion où la part qui revient aux salaires a baissé de plus de dix points, baisse colossale, il y a un quart de siècle d'austérité pour les travailleurs au nom du dogme néolibéral. »
(p. 569)
« “ Moralisation ” du capital ? Mot d'ordre qui mérite un prix d'humour noir. »
Je ne vois pas ce qu'il y aurait d'autre à ajouter, sinon rien ? Quand l'érudit sort de sa tanière au rythme des grandes marées d'équinoxe, on se prend à penser que les Sartre, les Althusser, les Foucault, les Bourdieu, les Furet, les Claude Lévi-Strauss, les Braudel... ne font finalement qu'un. Un peu « La voix de celui qui crie dans le désert [7] ».

© Emmanuelle Vial / à livre ouvert / google images

Quant aux quotidiens, les articles s'enchaînent avec un telle brutalité que seuls l'exorbitant ou l'entreligne suffisent de complicité pour qu'on s'y attarde. Lu dans le Figaro (du 8 août 2010), cette dépêche AFP :
« Le ministre de l'Intérieur Brice Hortefeux, en visite dans les Pyrénées-Orientales sur le thème de la sécurité, a évoqué à Argelès-sur-Mer la future présence de policiers roumains dans les effectifs des renforts saisonniers estivaux.
Rencontrant notamment deux policiers, un Allemand et un Néerlandais qui participent au “commissariat européen” installé ponctuellement dans cet endroit particulièrement touristique, Brice Hortefeux a déclaré qu'il allait “demander que ces policiers roumains intègrent ce dispositif” dans les Pyrénées-Orientales, un département où se trouvent plusieurs camps de Roms.
Les policiers de ces “commissariats européens” sont chargés de venir en aide, le cas échéant, à leurs compatriotes qui trouvent de la sorte un professionnel de la sécurité qui parle leur langue.
»
Après le plombier, le médecin, voici le policier roumain... hardiment payé en son pays... et dorénavant le nôtre : début de carrière à 2280 lei (535 €), puis selon l'échelon entre 3420 et 3600 lei (802/845 €) ; trois pour le prix d'un.
À supposer que les commissariats européens soient érigés par des maçons bulgares, aménagés par des plâtriers roumains, des électriciens slovaques, on peut facilement transposer ce modèle sur celui des prisons à construire, et on divise tout par trois.

Terminons cette brève quête de lecture par ce qui compose l'essentiel de ce qui nous inspire tant : fussent-ce un paysage, les yeux d'un enfant, une chevelure jais, un arôme, l'arabesque d'un geste, une rose... ; terminons par :
François Cheng, Cinq méditations sur la beauté, Albin Michel, 2006, p.36 :
« La vraie beauté ne réside pas seulement dans ce qui est déjà donné comme beauté ; elle est presque avant tout dans le désir et dans l'élan. »
(p.37)
« La beauté est quelque chose de virtuellement là, depuis toujours là, un désir qui jaillit de l'intérieur des êtres, ou de l'Être, tel une fontaine inépuisable qui, plus que figure anonyme ou isolée, se manifeste comme présence rayonnante et reliante, laquelle incite à l'acquiescement, à l'interaction, à la transfiguration. »
Pourra-t-on jamais dire à quel point ce mot de transfiguration baigne d'attraction ? Certainement la plus belle des gifles qui soit !
Je pense à ce que me disait Pierre Paulet, thésard de biologie végétale à la Sorbonne puis professeur à l'université d'Orléans ; dont je partageais l'amitié et la passion (voir note 7) : « La nature est une image de la grâce [8]». J'ai compris plus tard qu'il me citait Pascal, mais qu'importe. Il validait en quelque sorte cette supplique qui nous atteint quand le derme endurci – pensait-on – se trouve soudain parcouru de chair de poule.
[1] L'impesanteur étant préférée à l'apesanteur que l'on confond souvent avec la pesanteur
[2] Rubrique : Nos 3 questions à... (la troisième question étant "Qu'est-ce qui vous semble important et dont on ne parle jamais")
[3] Nicolas Boileau, L'Art poétique (1674)
[4] en 2008
[5] Le cadrin : mot issu du latin "quadrus", signifiant "carré" ou de "quadrens", signifiant "quart", désigne un pot de fer blanc muni d'une anse. Il était utilisé pour porter la soupe ou divers repas dans les champs ou au travail
[6] des subprime
[7] Jean 1, 23 (Bible de Jérusalem)
[8] Pensée 675

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