dimanche 22 août 2010

Tutti Frutti


L'expression la plus vile qui soit de nous en vacances, c'est certainement l'avoir de l'être : ainsi ajoute-t-on volontiers crédit à ses débords. C'est ce que j'appellerai la dynamique de l'autoroute. On y entre avec la ferme conviction de modérer son allure et, par le truchement des dépassements de plus lents que soi, on se surprend à flirter avec ce qu'on s'interdisait au départ. Partis adoubés de notre style de vie, nous arrivons à l'imprécation du linge qui se trempe sous l'averse.
L'insouciance nous détrempe à tordre. Son balcon pour 320.000 € FAI compris, un terrain right in front de mer, son mobil-home tout équipé ou le hors-bord de cent cinquante chevaux, rien ne nous effraie, tout est dans l'air du temps, comme de licher sa boule de glace peinard sur investissement. D'autres le font et paradent, pourquoi pas soi ?
Je ne préfère rien tant la plage au débarcadère. La plage nous dénude, au propre comme au figuré. Une serviette, une crème, du sable, de l'eau, quasiment le dernier endroit vierge, à peine un avion traînant son lot de publicités – et qu'importe ceux qui décrient la futilité du bronzage idiot. Mais déjà le soir nous guette avec ses envies de resto, ses trouvailles à prix record, ses rues piétonnes affairées, ses offres inédites, son allant.
Et tout quitter : son boulot qui n'existe plus, ses remboursements maladie, son cancer. Tout plaquer et s'installer, adopter illico sa Rom attitude, refaire le monde juste avec soi-même. C'est cela que l'on écrit au dos de chaque carte, qu'on adresse avec force balai : une croix barrée à grand trait. Sorte de j'y-suis-j'y-reste, le soleil en prime.
Les voyages nous enrichissent, ne dit-on pas. Même à s'asseoir sur un banc, même à contempler l'on n'est plus soi mais l'autre qui prend vie sous le blanc-seing de son chèque en blanc, aussi bois que le dur sur lequel on est assis. Une semaine, quinze jours suffisent amplement à gravir les échelons d'une introspection qui n'a de cesse de nous souffler qu'il n'est jamais trop tard. Tout est modulable, emboitable à souhait, il n'y a plus qu'à.

Voilà donc l'homme – la femme – que l'on rend au travail. Un homme patates à l'eau et basses besognes, pire qu'un coup de pied au cul... au bout de six mois il n'y paraîtra plus. Six mois, le temps aux arbres de perdre leurs feuilles, aux feuilles d'arrondir les fins de mois, aux mois d'engoncer des habits toujours plus chauds. Jusqu'à la Noël, Noël aux quatre saisons. Vivement !
C'est un dessous de plat, une carte punaisée, signes extérieurs de ce qu'il reste d'une mangue caramélisée, de la mouclade. Petits matins fiévreux la tête dans le bol, dans une espèce d'apnée rivée sur la montre, les infos bouclées à la va-vite. Et la gueuse lestée qui vous entraîne à cent ou deux cents mètres de fond. Je voudrais tant que les vacances soient aussi éphémères qu'on le prétend. Il est vrai que le souvenir s'efface, c'est même le propre de tout souvenir, de s'empiler en strates confuses, de déjouer l'émotion. Ainsi se souviendra-t-on plus facilement d'un vélo, d'un coucher de soleil, d'une odeur de poiscaille, d'une piste pierreuse que de cette chose qu'on s'est pourtant efforcé d'engranger. Eh oui ! même la fuite des vacances ne nous appartient pas, comptoir colonisé d'étranges apartés, parfois aussi douloureux que les êtres aujourd'hui disparus les peuplant.
Quand même, l'algue havane et bistre tenue entre ses mains a toutes les couleurs du monde, la vague vindicative emporte tous les rires d'un bout à l'autre de la marée humaine, le barbecue rabouté cumule tous les mandats, la bougie de belle étoile n'en finissant de perdurer. Seul présent de l'indicatif qui soit, tartine beurrée à consommer sans modération, les vacances vivent et meurent dans l'absolue nécessité du trou noir qui avale tout.


(c) Charle V. / Oléron
Et
C'est si bon, si bon, si bon,
De partir n'importe où,
Bras dessus, bras dessous,
En chantant des chansons...
C'est si bon
. [1]
Encore une semaine, waou ! C'est si bon...
Oléron, ce jour.
[1] Musique : Henri Betti, paroles : André Hornez, Interprètre : Yves Montand

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