lundi 30 août 2010

PEUPLE SOUVERAIN, Réflexions de pré-rentrée


L'un des premiers à comprendre et à exprimer ses doutes quant à la responsabilité dans les affaires d'État n'a ni été un chef de parti, ni un vertueux censeur, mais un poète. En 1847, dans Les destinées et son poème à Wanda, Alfred de Vigny écrivait ce vers :
Peuple silencieux, souverain gigantesque !
Est-il néanmoins besoin de prendre l'Histoire à contre-pied de la rime pour tirer les conséquences de ce constat : Que sont les tsarévitchs ?...

Le dernier chanoine
Premier chanoine [1] de l'archibasilique de Saint-Jean-du-Latran bien que divorcé, proto-chanoine [2] de la cathédrale d'Embrun, le co-prince d'Andorre ne manque, on le sait, ni de ressources, ni d'aplomb. Il est tout et son contraire, hier baisant l'anneau papal, aujourd'hui chassant Roms plus chrétiens que lui.
Homme d'Église en cet héritage venu du fond des rois de France, Nicolas Sarkozy – puisqu'il s'agit bien de lui –, déclamant à Benoît XVI, ce 20 décembre 2007, jour de son intronisation au titre de chanoine du Latran, que : « Dans la transmission des valeurs et dans l'apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l'instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur parce qu'il lui manquera toujours la radicalité du sacrifice de sa vie » (les enseignants ont apprécié), ce même homme d'Église, laïc entre tous, expulse une minorité avec autant de vigueur que s'il s'agissait d'une horde de Huns mettant en péril l'intégrité du pays.
J'ai souvenir que les mêmes coulisses du Latran nous offrirent déjà le spectacle sulfureux, affligeant des deux consorts accompagnant l'intronisé : un Jean-Marie Bigard et un Jean-Claude Gaudin mâchouillant chewing-gum sous le nez du Saint-Père. Mais ce jour-là, le chanoine était de foi et disait aux cardinaux présents : «[ comprendre ] les sacrifices que vous faites pour répondre à votre vocation parce que, moi-même, je sais ce que j'ai fait pour réaliser la mienne ». Nous y reviendrons.
A cent lieues de ce qu'il prêchait devant le 265ème successeur de saint-Pierre, son discours sécuritaire de Grenoble en juillet dernier, aboutissement des nuits d'émeutes du quartier de la Villeneuve par les casseurs et de la fronde de Saint-Aignan par les Gitans, prône cette croisade qu'il entend mener, et contre les bandes (222 bandes dénombrées à ce jour par les Renseignements Généraux, « pas une de plus pas un de moins ! [3] »), et contre les Rroms [4] en situation illégale. Pleins pouvoirs donc aux ministres de l'Intérieur et de l'Immigration, qui ne s'en privent pas.
Mais voilà bientôt le chanoine et sa garde rapprochée rattrapés par l'Église qui l'a adoubé. Le pape d'abord, ne citant pas expressément le gouvernement français, qui incite à : « Savoir accueillir les légitimes diversités humaines » [5] ; le président de la conférence épiscopale et archevêque de Paris, le cardinal Vingt-Trois, qui estime que de monter les gens contre les autres n'est « pas le message de l'Évangile, ni le message d'une société civilisée » [6] ; l'archevêque d'Aix-en-Provence et Arles, Mgr Christophe Dufour, pour qui « Les discours sécuritaires qui peuvent laisser entendre qu'il y a des populations inférieures sont inacceptables » [7] ; l'archevêque de Toulouse, dom Robert Le Gall qui, ce vendredi 27 août, dresse un parallèle entre les expulsions des Roms aujourd'hui et le sort fait aux juifs en France durant la Seconde Guerre mondiale ; l'évêque de Nevers, Mgr Francis Deniau, qui rappelle dans les colonnes du Journal du Centre du jeudi 26 qu' « Il y a des discours qui ne doivent pas être tenus car ils stigmatisent une population » ; ou encore le virulent Père Arthur, curé lillois, qui « prie pour que monsieur Sarkozy ait une crise cardiaque » [8].
Affaire Dreyfus que l'affaire des Roms ? En tout cas les commentaires, les chamailleries vont bon train. D'un côté Alain Minc, conseiller du Président – de qui ne le fût-il pas ou ne le sera-t-il pas ? –, invité mercredi 25 août de l'émission L'été en pente douce et qui déclame furibard : « On peut discuter ce que l'on veut sur l'affaire des Roms, mais pas un pape allemand. Jean-Paul II, peut-être, mais pas lui ». De l'autre Christine Boutin amenant aussitôt l'économiste mercenaire à « présenter des excusent à Benoît XVI pour avoir insulté sur France Inter le pape, les catholiques, les Allemands et les Européens ». De l'autre toujours, le Comité pour l'élimination et la discrimination raciale de l'ONU appelant la France à « éviter » les renvoi des Roms ; de l'autre encore les Français sondés qui prétendent que l'Église n'a pas à sortir d'une réserve instituée par la séparation de 1905. Affaire à suivre donc, si tant est qu'elle ne se laisse pas submerger par une rentrée orientée vers d'autres préoccupations que l'amalgame entre Roms, gens du voyage, tsiganes, voleurs de poules, multirécidivistes [9], voire ce que coûte l'expulsion des étrangers hors de France [10].

Le premier de la classe
Ceci dit, et c'est là ou j'en reviens, le chanoine du Latran est tout et son contraire. Nous venons de le voir, mais on pourrait tout aussi bien le décrypter avec le débat sur les retraites.
« Le droit à la retraite à 60 ans doit demeurer, de même que les 35 heures continueront d'être la durée hebdomadaire légale du travail. Que ce soit un minimum, cela me va très bien », concluait-il dans un interview au Monde, le 23 janvier 2007. Il est vrai que la crise qui n'avait encore frappé légitimait selon lui ce retournement : « Vous savez, quand on pense à ce qu'a fait François Mitterrand en ramenant l'âge légal du départ à la retraite de 65 à 60 ans ! On aurait beaucoup moins de problèmes s'il s'était abstenu» [11].
Passons.
Passons pour en revenir aux moutons d'un ministère longtemps choyé par le preux : l'Intérieur. Mais avant cela, une petite digression par l'Histoire de l'immédiat après-guerre.
Lucky Luciano contrôle les ports américains, ce qui fait les affaires des services secrets US. Les contacts entre Luciano et lesdits services passent par Frank Wisner Sr (cofondateur de la CIA), puis par le Corse Étienne Léandri. La prohibition et Luciano font appel à un bootlegger canadien, Maurice Joly... dont le gendre, Charles Pasqua, reprendra la suite, passant cette fois de l'absinthe à l'anisette Ricard.
Quand Pasqua créé le SAC, ce service d'action civique dont la mission est de protéger De Gaulle des complots montés contre lui par l'OAS sous couvert de la CIA et de l'OTAN, il fait naturellement appel à Léandri et à un ancien garde du corps de De Gaulle, un autre Corse, Achille Peretti.
Quelques années plus tard, Peretti prend pour secrétaire Christine de Ganay, alors belle-mère de Nicolas Sarkozy, mariée en secondes noces à Pal Sarközy de Nagy-Bocsa. Peretti deviendra maire de Neuilly-sur-Seine de 1947 à 1983 (retenons bien cette ville) et Président de l'Assemblée nationale.
Divorcée d'avec Pal Sarközy, Christine de Ganay épouse en 1977 le numéro deux de l'administration centrale du département d'État des États-Unis, Frank Wisner Junior, le fils du même Wisner qui faisait le lien entre la CIA et Lucky Luciano. Nicolas a alors 22 ans, et, par l'intermédiaire de sa belle-mère dont il est proche, l'Amérique s'ouvre à lui [12]. Peu après, il adhère au RPR, fréquente le responsable de la section départementale des Hauts-de-Seine, Charles Pasqua, et met ainsi le pied à l'étrier.
En 1982, l'avocat Nicolas Sarkozy épouse la nièce d'Achille Peretti, Marie-Dominique Culioli, et acquiert une propriété à Vico, sur l'île de beauté. Mais dès 1984, soufflant la vedette à Pasqua en devenant à son tour maire de Neuilly, il entretient une liaison avec Cécilia – qu'il épousera en 1996 avec pour témoins, Martin Bouygues et Bernard Arnaud –, la femme de Jacques Martin, l'animateur de télévision. Fâché un temps avec les Chirac en 1992 parce qu'il poursuit de ses assiduités Claude Chirac, il attend son heure. Et c'est en 1993, lorsque la gauche perd les législatives, qu'il devient ministre du Budget et porte-parole du gouvernement de cohabitation confié par Mitterrand à Jacques Chirac. Charles Pasqua, le mafieux, devient quant à lui ministre de l'Intérieur. Le cercle rouge dont parle Jean-Pierre Melville dans son film éponyme se forme peu à peu. Ainsi Wisner Jr prend-il, en 1993, les rênes du sous-secrétariat de la Défense du président Clinton – le verra-t-on plus tard participer au groupe de Bildberger [13] en tant que vice-président des assurances AIG et éminence grise.
Pour autant, peut-on affirmer comme on le prétend [14], qu'à ce titre, Frank Wisner Jr planifie dès ce moment, avec l'aide de la CIA, la fin du courant gaulliste et l'avènement de Nicolas Sarkozy ? Le cycle est rien moins connu : acte un, l'élimination du Premier ministre Alain Juppé avec la fameuse cassette tombée entre les mains du juge Éric Halphen, confession vidéo de Jean-Claude Méry, membre du comité central du RPR ; acte deux, Nicolas Sarkozy prend la direction de l'UMP en 2004 et devient ministre de l'Intérieur ; acte trois, l'affaire Clearstream des faux listing de comptes bancaires cachés au Luxembourg calomniant Nicolas Sarkozy, lequel porte plainte et sous-entend une machination de Dominique de Villepin visant à l'évincer de la candidature aux Présidentielles. L'Histoire retenant sans doute qu'il s'est présenté contre la plus faible candidature de gauche, Ségolène Royal – acte quatre. La pièce est jouée.
Devenu président de la République, il prend pour secrétaire général du palais de l'Élysée, l'ancien bras droit de Charles Pasqua, Claude Guéant, et accède(rait) [15] à la requête de Wisner Jr pour nommer Bernard Kouchner ministre des Affaires Étrangères et résoudre ainsi l'indépendance du Kosovo... Duquel Wisner Jr, comme un renvoi d'ascenseur, il avait choisi le fils, David Wisner, en tant que responsable anglophone lors de sa campagne électorale.

La victoire en chantant, Bronze de Phalempin
(Le chant du départ)


Tout cela pour dire, d'une part que le monde est un village ; d'autre part, que la politique ça s'apprend tout petit. Car non seulement il convient d'en discerner les arcanes mais aussi d'en faire partie, en tout cas d'œuvrer d'aise dans le labyrinthe aux initiés.
Quant aux pauvres Roms, que sont-ils dès lors que plus puissants qu'eux ne sont que des pions ? À peine des bouche-trous bons à combler les effectifs des classes menacées par la carte scolaire ; à peine des bohémiens, des gdv ?
À peine un peuple silencieux, tout juste un souverain.

[1] Dignitaire ecclésiastique (définition Le Robert)
[2] Titre du premier des chanoines qui a préséance sur tous les autres chanoines (Wikipédia)
[3]Gérard Mauger, sociologue, N° 9 de la revue Savoir/agir : http://atheles.org/editionsducroquant/revuesavoiragir/revuesavoiragirn9/
[4] Selon la graphie dérivée du cyrillique
[5] Le 22 août 2010
[6] En juillet 2010 sur RTL
[7] Témoin de l'expulsion des Roms le dimanche 22 août 2010
[8] Et renvoie sa médaille de l'Ordre du mérite au ministre de l'Intérieur ce dimanche 22 août
[9]Voir sur ce sujet le très bon décryptage de Télérama.fr, Les Roms, ces boucs émissaires, interview de Marcel Courthiade, professeur de langue et de civilisation romani. « Roms recouvre donc une identité culturelle, historique et patrimoniale. Nomades (puis gens du voyage après guerre) est une catégorie administrative. On recense un demi-million de Roms en France (chiffre déclaré à la Commission européenne par l'actuel gouvernement, en 2008), mais 50% seulement des gens du voyage sont roms. Et 15% des Roms français sont mobiles. Cette mobilité est d'ailleurs une spécificité hexagonale, puisque 2% seulement des Roms européens sont itinérants, ce qui ne les empêche pas de la considérer, avec fierté, comme partie intégrante de leur patrimoine culturel : ils ont adoptés cette mobilité, la revendiquent désormais comme leur richesse face à l'uniformisation des modes de vie. Rappelons d'ailleurs que cette singularité est un droit, reconnu par l'article 13 de la Déclaration universelle des droits de l'homme. »
http://www.telerama.fr/idees/qui-connait-vraiment-les-roms,59347.php
[10] Selon un rapport du Sénat publié en 2009 : « L'État a ainsi déboursé près de 415,2 millions d'euros en 2008 pour 19.800 reconduites forcées. Chaque expulsion a donc coûté 20.970 euros ».
[11] Le figaro du 25 mai 2010
[12] Ce qui, durant la campagne présidentielle de 2007, fera dire à Éric Besson de Nicolas Sarkozy qu'il est « Un néo conservateur américain à passeport français ».
http://www.liberation.fr/politiques/010190493-un-neoconservateur-americain-a-passeport-francais
[13] Voir précédent article de ce blog : « Bildberger », juin 2010
[15] Note précédente
Mille excuses pour ces notes relativement indispensables

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