jeudi 28 octobre 2010

La huile sur le feu


On a tout dit sur la retraite, tout entendu. Ce dossier restera sans doute comme l'un des plus révélateurs de la société française dans son ensemble, de haut en bas. Affrontement, le mot clé, comme un barbarisme sans cette violence où peu se reconnaissent.
Le travail est donc bien au cœur de nos préoccupations ; retraite et travail étant indissociables. On demande rarement à quelqu'un autre chose que se qu'il fait dans la vie, voire, dès lors que nous l'avons catégorisé, comment il va. D'instinct, il nous importe d'appréhender les genres par l'emploi qui leur échoit : la fameuse loi de la jungle, ou tout au moins comment hiérarchiquement se situer. Je n'aurais, hélas, pas la même considération d'une factrice que d'un oncologue à 50 euros la consultation. C'est une véritable tristesse et nous sommes tous des demeurés. Mais tout est là et, quoi qu'on dise, nous nous efforçons de le minimiser par un pseudo train de vie trop souvent usurpé. Revers de la médaille.
Partant de cette dynamique qu'il me faut coûte que coûte intégrer, on s'aperçoit rapidement de ce que préfigure le chômage autrement qu'en une admonestation sociale sans appel – quand même prétendra-t-on que l'assisté est toujours mieux loti qu'un exploité. Ainsi, par projection de ce que représente la retraite comme le désamorçage de tout ce qu'on a enduré dans la plupart des cas, nous vient alors cette soudaine envie de respirer, de se poser. D'enfin jouir.
Jusqu'au jour où... en approche de piste, il nous appartient d'amorcer la phase deux. Mais, encore une fois, pas tous de la même manière. Il y a ceux qui, pour diverses raisons dont la complaisance indispensable dans le travail (on imagine lequel), remettent plein gaz ; et ceux qui, dans leur immense majorité, guettent le jour J, l'ordre d'atterrir. Combien de collègues ai-je vu s'affubler de compte-à-rebours ringards, au propre comme figuré. Ils concevaient leur retraite comme l'exutoire d'une vie à ce point remplie qu'elle se laissait aller d'égoïsme et d'abandon. Les Anglais parlent de retirement, un peu comme un repli stratégique ; on se retire, on est hors-jeu. Plus pragmatiques, Allemands et Italiens préfèrent le mot Pension ou pensione ; on mange et après on voit ce qu'on peut faire. Les Espagnols exultent à l'idée de la jubilación ; c'est la fiesta !
Un mélange de tout cela...
Si l'acteur endosse tel ou tel habit pour les quitter tout aussi facilement, il n'en va pas de même dans la réalité de celles et ceux qui ambitionnent cela, cette juste sérénité – Tu parles d'une ambition ! L'exploit (de l'exploité) n'est donc pas dans un César, une médaille honorifique, mais plutôt dans la lente ascension de l'échelle où les heures ont de plus en plus de mal à passer. On dit que l'homme aspire, et c'est aussi ce qui l'épaule dans son combat.
Un mot des jeunes. Au jeu dangereux d'envier les vieux de soixante-dix balais, de brûler les étapes, peut-on leur reprocher d'agrémenter leurs espoirs des mêmes supports qui ont desservi les générations d'avant : un travail à point nommé, une vie sociale plus ou moins équilibrée ? Personne ne voulant être le fossoyeur de personne, pas même d'une Terre que l'on saccage, encore moins de ses enfants.

Leur retraite en trois mots...


Gérard Depardieu en scooter en pleine manifestation à Paris
© théo wurmster [1]


Âge effectif de cessation d'activité :
Malgré les disparités affichées en matière de retraite, on remarque actuellement une certaine homogénéité dans l'âge de cessation d'activité au sein de l'Union Européenne : Allemagne 61,7 ans, Belgique 61,2, Danemark 62,3, Espagne 62,9, France 59,3, Italie 60,8, Royaume-Uni 63,1, Pays-Bas, 63,7 et Suède 64,4. La moyenne se situant aux alentours de 61,7 ans.
En France donc, avec un âge de cessation d'activité de 59,3 ans, il faut comprendre que 6 salariés sur 10 sont hors emploi dès cet âge, soit à cause du chômage, soit d'une invalidité, d'une inactivité (les entreprises se refusant à embaucher ou garder des séniors), soit tout simplement à cause d'une dispense de recherche d'emploi de la part de Pôle emploi qui baisse les bras, toujours pour les mêmes raisons. Ce qui n'est pas payé par la caisse de retraite l'est principalement par les Assedic, les fonds de solidarité ou les centres régionaux de pensions. Dans tous les cas, il faut payer.
Plus l'on recule l'âge légal de retraite, plus il faut compenser la période comprise entre cet âge légal et la cessation d'activité.


Répartition et/ou capitalisation ?
En Grande-Bretagne, on peut travailler jusqu'à 70 ans et toucher une prime de 32.000 euros. C'est l'exception qui confirme une règle qui voit la plupart des Anglais partir au bout de 44 ans de versement. En cela, deux arguments : le taux d'emploi des séniors (55-64 ans) y est de plus de 57,5% (il n'est que de 39% en France) et la retraite par capitalisation atteint 28% du montant global. Les Anglais raquent pour leurs vieux jours, ce que nous serons obligés de faire dans les années qui viennent, à l'instar des Allemands (11% par capitalisation), des Hollandais (32%).
Pour autant, l'on peut comprendre la capitalisation de deux manières. Soit par une épargne privée, soit en augmentant les cotisations du système par répartition. L'avenir de la génération montante passe par encore plus de sacrifices : les jeunes d'aujourd'hui peineront à cumuler leurs trimestres de versement et devront épargner pour arriver à l'équilibre précaire de leur pension de retraite. Pas gagné.

L'espérance de vie :
Ce qui nous amène à l'emploi des séniors. Dans tous les cas, nous nous apercevons que, quels que soient les pays de l'Union européenne, les chiffres de l'âge légal de la retraite sont rattrapés par ceux de la réalité de terrain : l'âge de cessation d'activité est toujours moindre que celui de l'âge légal.
Parler d'espérance de vie grandissante, c'est oublier la fatigue qui fait, que l'on soit Italien, Grec, Polonais ou Français, on arrive au constat que tous les médecins connaissent : il n'est pas beau de vieillir. Être en bonne santé voilà la première richesse et chacun sait qu'il est plus agréable de travailler dans de bonnes conditions que se retrouver en fauteuil devant Secret Story (!).
L'échéance qui vient normalement ensuite, ce temps qu'il nous reste à vivre plus ou moins décemment, inquiètent à plus d'un titre. C'est le propre de l'homme. Mais rien n'arrête le temps dans son enfilade de peur et de reproches : ce qu'on aurait pu faire qu'on n'a pas fait, cet insatiable goût de vivre quel qu'en soit le prix. Parce qu'au final nous sommes toutes et tous des jouisseurs de vie, et il est humain d'espérer en jouir le plus longtemps possible.
Peut-être pourquoi nous taquinons-nous quant à savoir pourquoi l'espérance de vie est toujours plus élevée chez la femme que chez l'homme [2]. Une dérobade.




Digression factuelle
Le temps ne suspend en rien son vol, c'est plutôt le vol des jours qui nous suspend d'interdits : touche pas à ça, p'tit con ! La légitimité des grèves contre la réforme des retraites avait pour elle deux objectifs : contrer le pouvoir dans toutes ces exigences, et pas seulement la retraite ; exacerber la peur du lendemain. Deux interdits globalement liés, eux aussi. Non, ce n'est pas la société que nous voulions, ce n'était pas ce monde-là que nous souhaitions. Celui que nous portons au fond du cœur a pour lui tous les errements d'enfance, la grande paix et le verbe clair, tous à égalité de jeux, sans plus de violences qu'une belle bosse, un fou rire. Genre de contrat social à la Rousseau.
Et nous avons inventé les chiffres, créé de nouveaux langages, donné un nom à ce qui n'en avait pas. Nous avons ouvert la boîte de Pandore. Les chiffres ont mué en statistiques bornées, l'instance populaire a transmué en raison d'État, les couleurs ont viré au gris roi, une sorte d'hiver boréal s'est levé et la vérité s'est mise à dépasser la fiction – J'imagine la tête de Stanley Kubrick s'apercevant que nous lui grillons toutes ses idées, mais lui aussi a tiré sa révérence.
Les générations passent, réfutant d'usage celles qui les ont précédées ; la génération passe, bidouille son alchimie et ne fait pas mieux que la précédente. Parfois en pire : guerres (toutes les guerres, territoriales ou économiques), aveuglements, choix politiques, exodes. Exode des rues qui s'emplissent et grondent au sein de ghettos parfaitement structurés, bellement ignorés. Exode de la grande mendicité ; faire la manche pour le redonner aussitôt (aides aux agriculteurs, allocations en tous genres). Dirigisme d'énarques formatés bêtes comme choux, Pythies des temps modernes, ceux que l'on consultent parce qu'ils savent, un peu comme madame Irma et sa boule de cristal. L'ignorance dans tous les sens du terme : ne pas savoir, ne pas reconnaître. On dit que c'est comme ça, et pas autrement – Voix de cour et chasse réservée...
Ugh !

[1] La plupart des photos de Depardieu pris dans la manif du 19 octobre 2010ont "disparu" du web...
[2] En 2010 : 77,8 ans pour les hommes et 84,5 ans pour les femmes (Insee)

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