dimanche 3 octobre 2010

LA POLITIQUE DE L'ESPOIR à la virgule près


Ce jour-là, vers 15h30, il a dit... Il a dit ce que les mots n'arrivent jamais à extraire des nuages dans les trouées bleues qui passent. Tandis qu'un doux vent de lavatère et de cosmos acquiesçait au passage de rien, pas même un chat, c'est dans le clair de cette absence qu'il a dit :
« Avec le temps bien des gens lâchent. Ils disparaissent de leur vivant et ne désirent plus que des choses raisonnables ».
Simples et raisonnables, comme Bobin en son monde.

Il venait de relever les yeux d'une page de France-Soir, ou de n'importe quel journal qui claironnent tous et toujours les mêmes redondances. Chapark et Curtis saluaient une dernière fois la salle. Mais avant qu'il ne perde son regard dans ce nulle part de toit, de vert et de clôture parfaitement blanche, il s'agrippa encore au mot « Justice » et « Enseignement supérieur ». Pensa à son fils, revint à lui-même, docile aux mots rencontrés.

« Au milieu de la rigueur, seuls les ministères de la Justice et de l'Enseignement supérieur voient leur budget augmenter en 2011. »
C'était donc cela, l'autre littérature ? Un assommoir de chiffres, de pourcentages et de projection qu'il était pourtant disposé à engranger, béatement. Comme si de savoir que la Chancellerie et ses créations d'emplois faisait de lui un privilégié. Après ce qu'il avait connu et vécu, comment penser qu'un jour la Pénitentiaire serait une des priorités de l'État ? À son tour, il ne désirait plus que des choses raisonnables. Raisonnables, la construction de nouvelles prisons, la rénovation d'établissements vétustes, l'embauche de 563 futurs surveillants. Longtemps ce qui se passait derrière les hauts murs ne regarda que les cloîtrés ; à eux de faire avec, que les fissures grandissent, que les peintures craquellent. Avec deux francs six sous, faire avec.
Et voilà que pour la cinquième année de consécutive on ouvrait les vannes, avec pour consigne de rattraper des siècles d'agonie, c'est dire si les milliards déversaient aujourd'hui leur obole : 2,8 pour 2011.

Et eux, ne s'étaient-ils pas démerdés comme des chefs !



Il reprit la pochette bleue, l'étiquette mentionnait le début d'une date : 27/7/10, un peu comme celle qu'on s'apprête à graver dans le marbre en attendant l'heure. Le dernier article parlait de leur démarche, tous syndicats confondus, au sein de l'hémicycle municipal neversois, parterre d'opposition et de majorité. Ils étaient bel et bien là, plantés de raison dans l'affranchissement de leur combat, le leur et le nôtre. Lionel, Mickaël, Stéphane et toute l'arrière-boutique au grand complet... d'uniforme et d'avenir. Photo couleur de la table d'un dialogue autrement plus ouvert que celui d'une direction interrégionale chiche, comme lasse de ces hommes et de ces femmes dans la force de l'âge ; autrement plus « mature » que le couperet d'un fax minable un matin de juillet – ce don de jouer avec les dates, qu'il s'agisse de virer les ouvriers d'Eurolia ou d'annoncer.

Et tout ce pognon dépensé. Partout la même chose, à Lure, à Guéret, Fontenay-le-Comte, Béthune, Ensisheim, Châlon-en-Champagne, Digne, Saint-Malo... Fil ténu d'une déshumanisation de l'espace le plus humain qui soit, la prison.
Alors ils frappent aux portes, entrebâillent des pans de politique locale, nationale aussi. Ils sont dans l'arène pour les leurs, enfants, conjoints, et pour l'autre dont le ciel est par-dessus le toit ou que des barreaux guettent, vous et moi, tout un chacun que l'imprudence viendrait à arraisonner. Ou l'autre encore, fût-il intervenant, directement et indirectement associé.
« N'est-il pas possible, alors, de placer Nevers au centre d'un projet de grande prison ? », revendique l'opposition.
Que nenni ! rétorque le jeune maire :
« Ce genre d'établissement est un mal ; l'intérêt de Nevers serait de voir sa Maison d'arrêt reconstruite ».




Les nuages ont fait place à une ligne d'horizon bleutée qu'un arc tendre étend de circonvolution. Oui, la Terre est ronde, et tourne d'immuabilité, comme affable de présence dans l'avenir des hommes ; mais sans plus, passant d'un ciel de traîne à cette pâleur automnale.
C'est exactement cela, décoller, s'envoler. Moteur sur Start, gaz à fond, vitesse 80 nœuds, vent quasi nul. Puis rentrer le train, ramener les volets, cap au 120 et route 396, 130 nœuds, pilote auto et directeur de vol activé, peinard et s'apercevoir d'une pointe de soleil sur Ouest 3 d'empennage.
Mais pourquoi les élus se battent-ils ainsi pour sauver une prison ? Un hôpital, une école, un foyer, un théâtre, un chantier naval ça se comprend. Mais une prison ? En manque-t-il une à Neuilly-sur-Seine qu'on nous jalouserait sans qu'on n'en sache rien ? La préservation d'un bassin d'emplois, la scolarisation des enfants, le maintien des liens familiaux, certes. Mais par-delà tout cela, tout ce qui coule de source et que l'on peut finalement résumer à la vitalité d'un territoire, pourquoi ? Pourquoi les hommes d'aujourd'hui mettent-ils l'accent sur ce que les pères d'hier décriaient ou reniaient par avance ? Curieux revers d'histoire. Comme si faire feu de tout bois donnait du grain à moudre aux symboles, quels qu'ils soient.
« Ce que je cherche dans la parole, c'est la réponse de l'autre », disait Lacan dans le tome 1 de ses « Écrits ».
Je scrute dans le ciel de 2014 les lointaines élections des conseillers territoriaux. Ou, plus près, celles de 2012 ? Tiens, les Cantonales de mars 2011.
Les réponses ne venant pas forcément à l'instant de son choix, c'est encore au maître d'éclairer nos lanternes vagabondes :
« Les non dupes errent ».

34ème sur 200, autrement dit dans le tiers de tête avec un peu plus de 16,5/20, c'est aussi cela la Maison d'arrêt de Nevers en terme de gestion. Sagement plantée dans ses bottes, dirait un ministre.
Oui, comme des chefs ! À secouer le cocotier bien comme il faut...
La preuve, le lendemain de leur forcing en plein conseil municipal, la réponse du berger à sa bergère au même endroit du journal. La gravité des hommes du Rassemblement pour l'Avenir de la Nièvre, groupe d'opposition municipale, en parfait décalage avec le sourire énigmatique de la députée, avec l'ambiance bon enfant de celui que son mandat de maire amènera sans tarder à faire « le siège des ministères ».
Mais avec un temps d'avance, le Ran annonce qu'il a déjà rencontré le directeur adjoint du cabinet de la ministre de la Justice.
« Il peut y avoir une solution alternative à la fermeture de la Maison d'arrêt de Nevers, sous la forme de la construction d'un nouveau centre pénitentiaire. »
Petit hic : que le maire abandonne son projet de rénovation de l'actuelle prison et se joigne aux recherches d'un terrain viable [1] assorties d'une autre date butoir, fin mars 2011. Sacré mois de mars, dieu des combats.

Mon avion va finalement me servir.



Carte, compas, cercle de 20 kilomètres de rayon, c'est vrai que « les solutions ne [sont] pas pléthore ». Mais bon, qui ne tente rien n'a rien. Cap nord avec l'autoroute A77, le sud-est de la Charité-sur-Loire, quelque chose comme La Marche, Chaulgnes, un petit rectangle de 400 mètres sur 380, un site désaffecté, ça doit pouvoir se trouver. Avantage non-négligeable, nous sommes en plein fief d'un député menacé, donc apte à sortir le dossier qui frappe.
Je survole un temps le champ de tir près de Forge, mais je me dis qu'entouré de bois, ce n'est peut-être pas l'idéal. Quoiqu'en cette matière, l'idéal n'est souvent que repli.
Le sud aussi présente quelques opportunités, notamment Saincaize, sa gare (pensons aux familles des prisonniers) et l'autoroute toute neuve à proximité... toujours plus directe que la nationale d'Imphy. Pure supputation.
Ou l'Est, le Cher et la traversée de la Loire par seulement deux ponts : Givry ou Le Guétin. Disons un secteur défini par une ligne nord-sud allant de Ménetou-Couture à Grossouvre en passant par La Guerche-sur-l'Aubois.
À partir de rien on a bien construit un circuit, un techno-pôle ; une taule, ce doit bien être possible.

Mais je sais qu'ils s'illustreront de nouveau et cloueront le bec à plus d'un pyrrhonien. Qu'ils feront, eux aussi, le siège de ceci ou de cela.
Et voilà comment l'on met un M majuscule à Maison d'arrêt, à la manière des Gaulois qui érigeaient des oppidums en plein néant et qu'une ancienne voie romaine pave encore ; comment l'on interpelle de façon durable. Parce qu'à voir les sphères s'agiter de la sorte, on ne peut que croire en quelque chose de plus ou moins bien. Ce bien qui fait sentir qu'on travaille avec des gens biens, que l'on n'est pas une bande de ramassis et de matons par procuration – un peu de ce que les anciens appelaient de la conscience professionnelle. Il n'est de voir ou de lire l'humanité qui ressort de tout cela : ce non aux prisons usines à gaz et totalement aseptisées ; ce non à l'effacement pur et simple d'acquis de longue haleine, inlassablement remis sur le métier d'une Procédure pénale d'observance fiable ; ce non de fausse route qui conduirait à des pertes dont nul encore ne mesure aujourd'hui la portée.
Et ce consensus qu'à ce stade l'on sent poindre parce que « C'est un dossier important pour l'avenir. Il y a nécessité de montrer un front uni dans le département ».
À croire que l'unité des gardiens en appelle d'autres tout aussi indispensables à la survie d'une Nièvre déjà si malmenée. Espérons.

« Très peu de vraies paroles s'échangent chaque jour, vraiment très peu. Peut-être tombe-t-on amoureux que pour enfin commencer à parler. Peut-être n'ouvre-t-on un livre que pour enfin commencer à entendre. »
Il relit Bobin et finit par lui. Le Folio reposé de La plus que vive, il pense à ce qu'est la vie et qu'elle n'est pas. À ce que l'Histoire retient de mineur et de concision dans les faits importants du moment. Derrière ces simples mots : La prison de Château-Chinon a fermé le 25 novembre 1945, peut-on se douter du coup de massue ressentie par les gardiens alors en poste, par les familles, la vie locale ?


La virgule, disait Cioran, tout l'art de la distraction dans la vérité des jours. L'a-t-il formulé de la sorte ? Qu'importe.
Chapeau, les gars ! Belle virgule, beau souffle !

[1] 15 hectares d'emprise à 20 km autour de Nevers et à 20 minutes du palais de justice et du centre hospitalier

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