mercredi 10 novembre 2010

ROUTE mal BARREE



Image tenace : J'ai l'impression de ramper sous les barbelés avec les balles me sifflant au-dessus. Je suis la nouvelle cible.
… Passant ainsi de l'homme debout à l'homme couché, il me semble balayer d'un trait de plume les millénaires me séparant de Néandertal. Voilà bien l'oléocène de la grande régression : noyés d'or et de pétrole – on n'est pas sortis de l'auberge –, nous sommes guère moins revenus à l'âge de pierre ; à nous battre et nous débattre comme jamais, jusqu'à faire le pari risqué de donner naissance. Nous vivons un monde d'économie et d'appauvrissement. L'économie du pognon qui manque de toutes parts, l'appauvrissement d'une ghettoïsation pré-sélectionnée.
État des lieux et bizarreries de la :


RGPP
Révision générale des politiques publiques.
Vision pléonastique de politiques qui ne peuvent être que publiques, ou comment contraindre à ce qui n'a pas plus de but que d'essence. Et ça marche.
Le but, mettons : virer les fonctionnaires jugés en trop. L'essence : un peu comme un crime sans mobile, ou qui sait, refiler les ex-fonctionnaires à Pôle Emploi, finalement les avoir quand même sur le dos (dès lors qu'ils appartiennent à des catégories recyclables, abstraction faite des policiers, des gardiens de prison non-indemnisables...).
Ceux qui ont le plus de boulot dans l'affaire, ce sont les équipes d'audit chargées d'orchestrer le dégraissage des différents mammouths. Principalement des SSII comme Accenture, Capgemini [1], Ernst & Young, McKinsey.... Je les verrais plutôt en Undertaker, fossoyeurs and Co.

PP par l'exemple
Dernière en date de la remise à plat des politiques publiques, la suppression des miradors en maison d'arrêt. Pour cela, il aura donc fallu répondre à cette fameuse grille de sept questions [2].
1. Que faisons-nous ?
Rien, mon lieutenant. Nous n'empêchons ni les intrusions, ni les évasions. En quoi nous regarde les bagarres entre détenus, les rackets, les trafics ; en quoi nous intéresse cet espace de liberté que nous leur octroyons deux fois par jour ? Mettons plutôt en place « un dispositif visant à faciliter la mobilité des agents » [3] et appelons cela flexibilité, ça sonne bien et c'est très XXIème siècle.
2. Quels sont les besoins et les attentes collectives ?
Les besoins : Une paire d'yeux bien expérimentés. Les attentes : Que la matière humaine garde son humanité dans le respect des lois et des décrets de procédure pénale (dont on s'apprête également à l'allègement).
3. Faut-il continuer à faire de la sorte ?
Certainement pas. Pendant que les détenus s'évadent, que les autres se tapent sur la gueule, qu'une bande de malins balancent des drogues ou des armes par-dessus les murs..., pendant ce temps-là les prisons se vident et s'humanisent. « Supprimons les missions jugées obsolètes ou trop coûteuses » ; même si demain, il faudra faire tout et son contraire, en attendant, supprimons.
4. Qui doit le faire ?
Gaston, le robot-maton. Une vraie fine mouche avec ses yeux multiples.
On vire les surveillants des miradors. Gain non-négligeable qui permet de remplacer ceux qui tombent malades à tout bout de champ. On en garde un ou deux qui travaillent en free-lance depuis chez eux via intranet, principalement affectés à une surveillance joystickienne de haut rendement. Voilà qui s'appelle « mutualiser les missions de support et d'encadrement ».
5. Qui doit payer ?
Les malades donc, les planqués en attente de défourailler l'ordre reçu, les contaminés de la branlette assise, les pseudo interdits de détention parce que trop rigides ou ceci et cela, les cruciverbistes et les endormis. D'où la « création d'une indemnité de départ volontaire ».
6. Comment faire mieux et moins cher ?
Faire mieux qu'un maton, ça doit pas être compliqué ; moins cher aussi. Avec une économie moyenne de quatre surveillants, il y a forcément de quoi s'offrir le dernier jouet en matière de vidéo-surveillance ultra-sensible, quitte à ce que ce genre de bijou tombe en panne tous les quatre matins. Mais ça le promeneur des cours hautement gardées ne le saura jamais... ou le lendemain.
7. Quel doit être le scénario de transformation ?
Principalement, une histoire de gros sous. Ouvertement, la libéralisation exponentielle d'un système qui basculera de lui-même de public en privé sous-exploité. Scénario tout droit sorti de l'implacable cerveau du PDG, soi-même, d'Accenture ; grand homme aux incommensurables capacités. Visionnaire généralissime de la Révision générale et du « transfert des missions aux entreprises privées ».

… Petite musique de Nuit ne nuit pas
Quand Pascal Lamy, directeur général de l'OMC, s'interroge sur le capitalisme comment ne pas soi-même s'interroger en ramenant la question à sa simple crémerie, son vécu ?
En marge d'une cérémonie l'intronisant docteur honoris causa de l'université de Montréal, ce jeudi 4 novembre 2010, le patron de l'OMC déclare :
« Depuis quelques années, je m'interroge sur les racines culturelles et anthropologiques du capitalisme de marché qui est intrinsèquement injuste et stresse toujours plus les ressources humaines et naturelles. » [4]
Retenons bien cet aveu d'un des hommes les plus en vue de cette planète : cette injustice stressante tant pour les hommes que pour la nature. On est en plein dedans.


© images Google / Flickr by Stefan


Lessive GPP
Souvenons-nous : l'anodin passage de L'ANPE à l'ANDE – comprenons l'Agence nationale de destructions [5] d'emplois – conduisit rapidement le grand mathématicien Edwin Mervel à sa célèbre formulation aujourd'hui connue de tous :
RGPP = M A2
où M représente la masse salariale et A la constante de destruction envisagée. A2 parce que la réalité dépasse toujours la fiction.
Voyons maintenant quelques exemples concrets d'une liste de 524 mesures de la RGPP. C'est parti.
1 – Quand la SNCF paient un droit de péage à RFF (Réseau ferré de France), s'en suit aussitôt des suppressions de trains et une hausse substantielle des tarifs et abonnements (Avril 2008)
2 – Avec le nouveau système d'immatriculation des véhicules s'instaure un surcoût d'achat de plaques pour les véhicules d'occasion, la remise à jour systématique des cartes grises conjuguée à une hasardeuse simplification des pièces à fournir (Avril 2009)
3 – La privatisation du contrôle des transporteurs (autocars, poids lourds) a multiplié par trois le tarif des-dits contrôles.
4 – Dans l'enseignement, la suppression de 3.000 postes de RASED (enseignants spécialisés des réseaux d'aide aux élèves en difficulté), la destruction de 34.238 postes équivalents plein temps dans le public et de 3.704 postes dans le privé sous contrat, entraînent la fermeture de classes, voire d'établissements
5 – Dans les travaux publics, augmentation des coûts en matière d'archéologie préventive dédiée à des entreprises privées
6 – Suppression de 178 tribunaux d'instance, 55 tribunaux de commerce, 62 conseils des prud'hommes, 2 tribunaux de grande instance, plus de 180 blocs opératoires et de maternités, 40 centres de Météo France (réduction globale des 2/3 des effectifs dans les départements entre 2007 et 2012)
7 – Les 60 établissements pénitentiaires sous le coup d'une fermeture, sans remplacement envisagé par de nouvelles structures de proximité, entraîneront un surcroît de travail pour des surveillants et un encadrement réduits à minima ; exit des conditions de détention plus dégradées, des contraintes supplémentaires pour les familles de détenus.
8 – La fusion des Assedic et de l'Anpe en Pôle Emploi génère nombre de dégradations : manquent de moyens, de formation pour les agents débordés et stressés, retard dans le traitement des dossiers, entretiens reportés
9 – En application de la RGPP, la branche famille des 123 CAF, connaissant un accroissement de travail et de problèmes liés au manque de moyens et à la réduction des effectifs, se trouve dans l'impossibilité graduelle de servir à temps ses allocataires (souvent au bord de l'exclusion)
10 – Le nouvel outil comptable, Chorus, d'un coût de 1,5 million d'euros, fonctionne très mal et engendre des retards de paiements tant pour les agents publics (frais de remboursements de déplacements ou de nuitées) que pour les entreprises et les prestataires de service (paiement à 10 mois ou plus entraînant des problèmes de trésorerie et/ou d'emplois)
11 – La suppression de l'ingénierie d'État (DDE, DDAF...) prive les collectivités territoriales d'aides et de conseils neutres en matière d'eau potable, d'assainissement, d'éclairage public, de traitements des déchets..., mais aussi en matière de prévention et de gestion des risques (inondations, tempêtes, crues...)
12 – La réduction des missions de police et de gendarmerie (gardes statiques, motorisées et protections individuelles), le réajustement territorial police-gendarmerie, la suppression d'unités, la rationalisation des moyens de la police technique et scientifique ont réduit les capacités d'interventions locales et d'expertises des forces de sécurité
13 – L'autonomie des 58 universités a conduit à la suppression de 93.000 emplois et à l'incertitude des salaires des personnels (quand il faut payer la note de gaz et la réfection des locaux, il ne reste plus grand-chose pour les enseignants-chercheurs)
14 – La suppression de 700 emplois au ministère des Affaires étrangères a permis une délégation des pouvoirs à des sociétés privées gérant désormais le service de la valise diplomatique (!) et l'étude des dossiers de demandeurs de visas (coûts supplémentaires, inquiétude en matière de sécurité des données)
15 – La loi HPST (Hôpital Patients Santé et Territoires) et la création des Agences régionales de Santé permettent la fermeture de pans entiers de services et d'établissements. Pour les malades, la démarche commerciale des établissements leur impose de gérer les patients selon « leurs caractères rentables », de diminuer le temps d'hospitalisation, de faire payer de plus en plus d'actes directement par le malade
16 – En décrétant l'augmentation artificielle du pourcentage de réussite au permis de conduire (de 53% à 66%), l'insécurité routière et les risques de mortalité, notamment chez les jeunes, accroîtront d'autant
17 – Dans le sport, suppression de postes de professeurs d'EPS, fermeture des centres régionaux d'éducation populaire et de sport, privatisation de la formation
18 / 524 – Marchandisation de la culture, augmentation des tarifs, recherche de fonds propres [6]...


Rappelons-nous, juste pour la route, ce soudain repenti de Pascal Lamy, Directeur général de l'Organisation mondiale du Commerce :
« Depuis quelques années, je m'interroge sur les racines culturelles et anthropologiques du capitalisme de marché qui est intrinsèquement injuste et stresse toujours plus les ressources humaines et naturelles. »
Oui, quelles racines dans tout cela ? La terre est devenue tellement friable que n'y poussent plus qu'adventices destructrices et chiendents étouffants. Elle est devenue une lune percluse des blessures d'ovnis astéroïdes surgis d'on ne sait où : de grands cratères sur fond de poussière triste. Sacrés labos explorateurs, sacrés couillons, rigolards « [de] la perte de sens, [de] l'individualisation à outrance, [des] attaques contre les droits statutaires, [des] suppressions de postes et de services, [des] mobilités forcées, [des] fusions et [des] délocalisations, [des] dégradations des conditions de travail, [du] mépris d'un management brutal et sans considération » [7].
À croire que tout consiste désormais à renier ce que les prédécesseurs ont mis des années et des années à pondre. Quand bien même tout ne serait pas à garder, ça va fichtrement vite. À croire qu'à faire l'économie de tout, on ne cherche qu'à faire celle des hommes ; traduction littérale d'un management tout juste bon à vendre du Tupperware et nourrir les boîtes d'audit en manque d'anglicismes.

L'est-i pas plus belle la vie comme ça, mame Baudin ? Un vrai feuilleton, je vous dis ! Plus forts que les Experts amis-amis.


[1] 30% du CA de Capgemini (soit 2,511 Mds € en 2009) provient du secteur public ; CA d'Accenture : 25,28 Mds € en 2008 (source Wikipédia). 2-s-2-i pour Société de Services en Ingénierie Informatique
[2] Wikipédia, article RGPP
[3] Ibid RGPP, chapitre Les Moyens, citations entre guillemets
[4] Entrefilet paru dans le Monde du 5 novembre 2010
[5] Terme fréquemment retenu. Imaginons si nombre d'entreprises apposaient à leurs portes, non plus les résultats propres à satisfaire l'égo des actionnaires, mais le permis de destruction des emplois à venir
[6] Extraits d'une conférence de Pascal Pavageau de Force Ouvrière
[7] Ibid Pascal Pavageau

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire