dimanche 20 juin 2010

Le toueur de retraite

De toute façon à quoi bon gueuler puisque tout est “bouclé” ? Comme le dit, ce vendredi 18 juin 2010, le secrétaire général de l'UNSA, Jean Olive : « On a fait valoir toutes les critiques qu'on portait sur le projet, mais c'est quasiment bouclé ». Et de poursuivre, à sa sortie du ministère du Travail où il rencontrait Éric Woerth – retenez bien ce nom, parce que l'Histoire, elle, n'est pas prête de l'oublier – en compagnie des autres partenaires sociaux, excepté FO et la CGT : « [je ne suis] pas déçu par ce rendez-vous parce que pour être déçu, il aurait fallu attendre quelque chose » (lexpress.fr du 18/6).
On le voit, on le lit, on l'entend : que les choses soient claires, la réforme des retraites est belle et bien entérinée. La preuve, les médias qui clament à tout va que « D'ici à 2018, l'âge légal de départ à la retraite sera porté à 62 ans » (Le Parisien du 16 juin) ; « Fin de suspense. L'âge légal de la retraite sera porté à 62 ans en 2018 contre 60 ans » (Le Point du 16 juin) ; « Édition spéciale sur la fin de la retraite à 60 ans » (France Info du 16 juin à 9h10)... etc, y compris 20 Minutes et Rue89.
Même défaitisme du côté des sociologues, à l'exemple de Bruno Palier, expert en protection sociale. Selon le chercheur au Cnrs, le recul de l'âge de départ à 62 ans « ne touche pas une partie de l'électorat classique de la droite comme les professions libérales, les artisans, qui travaillent déjà après 60 ans... et les retraités actuels, qui ont voté à 65% Sarkozy » [1]. Non seulement, c'est foutu, mais en plus on connaît les coupables : le notaire du coin, le boulanger Banette et le petit vieux d'en face. Moralité, ne manifestez plus le 24 juin, cassez plutôt la gueule aux trois veinards sus-nommés.
D'ailleurs, le 24, c'est en attendant que le projet de réforme soit présenté au gouvernement qui sans faillir le confirmera, à quelques aménagements près, le 13 juillet prochain (veille de Bastille) ; et c'est surtout en attendant que le Parlement ne l'examine en septembre. Parce qu'en septembre, « la grogne sur les retraites télescopera les effets de l'austérité contenue dans le projet de budget 2011 », comme le souligne le Journal du Centre du 18 juin.
Et quand bien même 52% des Français jugent-ils la réforme « injuste et inefficace », quand bien même 60% ne sont-ils pas d'accord avec le recul de l'âge de la retraite à 62 ans [2], quand bien même l'intersyndicale retrouvée CFDT-CGT-FSU-Solidaires-Unsa appelle-t-elle à une mobilisation massive pour la journée d'action du 24 juin, qui pour arrêter ce qui a déjà été quasiment paraphé ? Et qu'est-ce qu'une journée quand on pense au blocus qu'il faudrait ? Appelons un chat un chat. Mais quoi, ne sommes-nous pas tous endettés, mouillés jusqu'au cou par les crédits maison-auto-conso et autre train de vie ? Message hyperbolien de la conséquence désastreuse que nous ne sommes même plus capables d'assumer dignement la rue. Et voilà bien ce qui force les médias à ce discours du joué-d'avance, du ça-y-est-c'est-bouclé : notre apathie sociale.

La retraite heureuse des Croisières Costa
À cents lieues du minimum vieillesse qui nous guette plus ou moins, page 36 de TV Magazine, je suis parti en croisière musicale sur le MSC Opera avec Julien Lepers. Inoubliable ! À la une du périodique de mutuelle, deux couples de septuagénaires aux anges m'invitaient à rire de franc cœur en partageant leur cure de balnéothérapie. Vivifiante ! Chez le pharmacien, Jane Fonda magnifiait le bel âge l'Oréal. Pure jouvence !... Siècle de gourmandises et d'attrape-nigauds, à tout âge.
Car comment peut-on me demander des efforts supplémentaires alors que j'en suis assailli ? Comment croire qu'on cherche des sous ailleurs que dans mon sabot ? Comment croire qu'une ville comme Saint-Léger-des Vignes puisse partiellement investir 769.000 euros dans un Centre d'interprétation culturelle et touristique du toueur – bateau qui servait à draguer la Loire pour en extraire le sable ? J'en passe et des meilleures, partout en France ou dans les Dom-Tom.

Le toueur de Saint-Léger-des-Vignes (Nièvre)

Oui, c'est « Une réforme brutale » comme le dit la CGT. Oui, elle est « profondément injuste et inacceptable, car elle fait peser la quasi-totalité des déficits dus à la crise sur les salariés », comme le clame la CFDT. Oui, elle est « injuste » (Unsa), « bancale » (CFE-CGC). Bien évidemment que de « siphonner aujourd'hui le Fonds de réserves des retraites, c'est piller le futur », comme estime le député de la Nièvre, Christian Paul [3].
Et alors, qu'est-ce que ça change ? Madame Bettencourt se rend-elle seulement compte de ce qui se passe ailleurs qu'à Neuilly ? Se rendra-t-elle seulement compte du taux marginal de la tranche supérieure de l'impôt sur le revenu passant de 40 à 41%, que les prélèvements sur ses plus-values mobilières (actions, obligations) passeront de 18 à 19% et ceux sur ses plus-values immobilières passeront de 16 à 17% ? Presque un jeu d'écriture que ses avocats d'affaires balaieront du trait de plume dont le capital se réserve l'exclusive : évasion fiscale, techniques boursières des marchés en yoyo, investissement or4... etc. Nous battons les grenouilles d'une autre manière pour que les princes dorment tranquilles : « C'est une révolte, sire ? ». Même pas, mon pauvre Gavroche.

La taille et la dîme
Tout y passe. Le fonctionnaire fonctionnera comme on lui dit, normal, y'a pas plus hiérarque qu'un fonctionnaire. Ce sera pratiquement un jour de salaire en moins sur sa feuille de paie dès lors qu'en cotisant de 7,85% à 10,55% (on est loin du 1% “subi” par le capital) son salaire net baissera d'autant. De la même manière, les entreprises privées répercuteront sur la masse salariale la diminution des exonérations de cotisations sociales (ponction équivalente à quelque 2 milliards d'euros). Pas rien non plus.
Et la pénibilité, parlons-en [5]. Le départ anticipé à 60 ans sera soumis à l'obligation d'un cancer ou d'une maladie professionnelle déclarés. Autrement dit, avec un pied dans la tombe, le salarié goûtera paisiblement à cinq ou six mois de repos avant de décéder... encore qu'on ne le déclare pas apte à caner comme Molière en scène.
Sarközy de Nagy-Bocsa, prince d'Andorre, le sait bien, le crédit de la France est aussi menacé que l'est celui de l'équipe nationale de foot. Les derniers accords concluent avec madame Merkel pour une gouvernance européenne ne sont autre que cela : Ramène ton pays dans le droit chemin, après on verra. Et pour du chemin c'est du chemin. Nous deviendrons le pays européen le plus drastique en la matière : ainsi au Royaume-Unis, « il est envisagé de travailler jusqu'à 68 ans, mais en... 2046 », en Allemagne « on peut partir aujourd'hui avec une retraite à taux plein à 63 ans avec 35 ans de cotisations seulement ! ». De même que « nombre de pays reconnaissent bien plus généreusement l'invalidité des salariés âgés […] : alors que seuls 2,9% des séniors sont dans ce cas en France, ils sont 12,9% aux Pays-Bas et 15,8% au Danemark, deux pays pas vraiment réputés pour la dureté de leurs conditions de travail » [6].
Et comme disait Bigeard (à la belle espérance de vie) à propos de la bataille d'Alger en 1957 : « nos méthodes s'avèrent aussi efficaces en ville que dans le bled » [7]. Fermez le ban !
[1] terra-economica.info
[2] Sondage CSA/Aujourd'hui en France du 17 juin 2010
[3] JdC du 17 juin 2010
[4] L'once d'or bat des records avec un prochain seuil prochainement garanti à 1.300 euros (l'effondrement des monnaies favorisant la hausse de l'or)
[5] Ne pas confondre pénibilité et dangerosité (militaires, policiers, gardiens de prison...) : exemple d'un policier âgé de 50 ans en 2010, il pourra bien partir à 50 ans car ses droits à la retraite sont déjà ouverts. Par contre, s'il a 45 ans en 2010, il devra attendre ses 52 ans pour partir ; l'âge d'ouverture de ses droits étant augmenté de deux ans
[6]Trois citations extraites de l'article web de Philippe Frémeaux, Alternatives Economiques 18 juin 2010
[7] actu.orange.fr du 18/6

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