lundi 13 septembre 2010

Bibracte la Gauloise


… pensée à Claude Chabrol


Tout ce qui se passe aux États-Unis serait-il systématiquement transposable en Europe, qui plus est en France ? Dans la plupart des cas, on peut répondre oui et préciser qu'il s'agit souvent d'une question de délai. Dans d'autres cas, ce n'est pas non plus impossible, notamment par confrontation du cheminement démocratique, à tout le moins de veiller à ne pas amalgamer les politiques propres à chaque pays, à chaque culture, chaque Histoire. Ainsi cette grogne, cette internationale du mécontentement qui prend aujourd'hui autant d'ampleur qu'en leur temps les hippies des années 60, les féministes des années 70.

Le mouvement des Tea Parties
À cette grande différence qu'en France, la contestation – ne pas confondre avec une opposition finalement structurée autour des mêmes thèmes que ceux de la majorité – se cantonne en une bonne quinzaine de micro-partis, dont les mouvements alternatifs et indépendants (blogs politiques, newsgroups, cyber-partis...), les mouvements libertaires (l'anarchisme, les mouvements contestataires proprement dits – communautarisme, pacifisme, écologisme, militantisme homosexuel... etc –, les mouvements fédéralistes tel que le mouvement européen, les mouvements autoritaires (extrême-droite, extrême-gauche, monarchie non-parlementaire), voire les courants anti-industriels exempts de tout clivage.
Particularisme actuel de la politique états-unienne, la gauche démocrate de Barack Obama est au pouvoir et son opposée, la droite républicaine, se tient à l'affût des prochaines élections de mi-mandat, le 2 novembre. C'est grossièrement le schéma... Avec cette fois-ci un nouvel acteur de la politique américaine guettant lui aussi avec intérêt ces Midterm elections [1] : le mouvement des Tea Parties.

Origines et extension
La Tea Party du 16 décembre 1773 qui voit la colonie du Massachusetts jeter dans le port de Boston une cargaison de thé de la Compagnie des Indes pour dénoncer les taxes imposées par Londres, peut être considérée comme le signe précurseur de la Révolution américaine du 4 juillet 1776.


Tea partiers © Washington Post 16.4.09

C'est donc sur cette même base révolutionnaire et sur les principes fondamentaux de la Constitution énoncés par les Pères fondateurs de la Nation ( Samuel Adams, Jefferson, Madison...) que les Américains de la classe moyenne ne décolèrent pas contre l'ennemi d'aujourd'hui : leur propre gouvernement. Répondant à l'appel de Glenn Beck, présentateur de Fox News, et par une sorte de bouche à oreille empreint du web – en cela les blogs politiques, les newsgroups français relaient-ils d'identité –, ils étaient 100.000 ce 28 août à Washington pour « restaurer l'honneur » [2] de l'Amérique.


Restoring Honor Sarah Palin 28.8.10 © images Google

Force grandissante, quasi apolitique et difficile à manœuvrer, le mouvement des Tea Parties est pour ainsi dire animé par trois courants. Le premier prône une réduction drastique du déficit budgétaire, un refus de tout nouvel impôt (le fameux « no taxation without representation » de 1773), la fin de la réforme de l'assurance maladie telle que le souhaite Obama, une politique étrangère plus stricte et une législation sur le changement climatique qu'ils remettent en doute. Ce courant s'accorde une large représentativité chez les tea partiers à l'instar de Sarah Palin, ex-colistière de John McCain et figure de proue du mouvement. Le second courant reflète la montée des théories du complot faisant d'Obama celui par qui le pays peut basculer dans le socialisme. Nombre de ses tea partiers gardent également un œil sur les “comploteurs” du G8, du G20, de l'OMC, du groupe de Bildberger, du Council of Foreign Relations, de la Commission Trilatérale, du groupe Carlyle (copiloté par Olivier Sarkozy, le frère), des Skull and Bones... Le troisième et dernier courant anti-establishment trouverait ces racines dans la manifestation d'un immense ras-le-bol vis-à-vis de cette société où tout est régulé par des experts, des élites, des spécialistes, le Congrès. Ce sont, quant à eux, les « révoltés du county » – l'Amérique de base – croisant contre le plan de relance, l'avortement, le mariage gay ou le contrôle des armes, et pour la prière à l'école ou la peine de mort.
Prendre tous ces gens, à dominante blanche, pour des hurluberlus serait à ce point réducteur que des milliardaires, des gens en vue n'hésitent pas à y aller de leur franche obole : Rupert Murdoch, le patron de Fox News, mais aussi les frères Koch, magnats du pétrole ; Scott Brown, sénateur ; Pat Robertson, télévangéliste. Autant de personnalités dénonçant les oligarchies au pouvoir à Washington.
De blogs en blogs, de Facebook en Twitter, de chaînes câblées en radios locales la Vox populi s'est rapidement formée, a régulièrement grossi. Cette spontanéité fait réellement peur. Redoute-t-on les rassemblements du mouvement comme les échéances électorales à venir ; sa calme mais ferme impétuosité allant même jusqu'à prouver l'inéligibilité de Barack Obama, un peu kenyan, un peu britannique [3].
Voilà donc, dans le domaine de la contestation, ce qui croît outre-Atlantique [4].

Sommes-nous des tea partiers ?
Ce mouvement des Tea Parties pourrait-il faire des émules en France, en Europe ? Répondre à cette question relève certainement de la partisanerie. On peut néanmoins affirmer combien la contestation va grandissant ici et là, il n'est de sillonner les marchés, de prêter l'oreille aux salles d'attente... pour s'en rendre compte. Et ne croyons pas qu'il en aille différemment de la Grande-Bretagne ou de l'Allemagne.
À nous rabâcher la crise, non seulement chacun d'entre nous finit pas abonder d'objectivité, mais aussi par décrier ces rouages que nous peinons de plus en plus à maîtriser : vie chère, euro facile, un jour ci, un autre ça, vis sans fin et grand essorage. La grogne fait partie de notre grande gueule, certes, mais là, à ce point, au point d'en parler comme de la pluie et du beau temps, comme de l'ennemi qui nous assaille tous, tout âge confondu, ce n'est vraiment pas commun.

Manifestation du 7.9.10 La Réunion © ActuRéunion Orange / *ImazPress

À tout dire, il y a chez nous de cet irréductible Gaulois, peuple fondateur. Nous portons en nous comme un ferment de révolte, ce Spirit of 68' qu'on aimerait retrouver, des hardiesses qu'on aimerait s'approprier. De Voltaire à Rousseau, de Robespierre à De Gaulle, du marché noir au système D, la France est un pays de frondes et de révoltes, nous avons l'âme révolutionnaire. Et si nous ne l'avons pas d'autres l'ont eue, d'autres l'auront. C'est ainsi. Et c'est cela qui nous fait mal, cette automutilation de la conscience autant générée par le respect que par la crainte. Ni vous ni moi n'y pouvons rien, dit-on ; et pour peu qu'il fasse soleil on se prend à tailler ses rosiers.
Ni vous ni moi ne sommes des tea partiers, d'une part parce que tout ne nous “branche” pas ; d'autre part, parce que l'Amérique est encore loin. On pourrait même parler de décalage, de quelque chose qui rend patraque, comme jadis une indisposition de hippies, de baba-cools. Parce que l'éphémère aussi est en nous : « Après moi, la fin du monde ».
Des contestataires défilent, d'autres brûlent, mais aucun parti politique, aucune force coutumière et constitutionnelle. Juste une multitude de programmes, de promesses, d'harangues, de vœux pieux décryptés les élections même pas achevées, à coup de résultats sortis des urnes, de redistribution des voix, de re-positionnements, de projections. Des fourchettes à vous couper l'appétit ; maudite abstention, alors que nous sommes au moins tous d'accord sur un point : les choses changent et se délitent. Pourtant, que d'efforts ne menons-nous pas au nom de nos familles, du Pays, et de nous-mêmes afin de laisser la meilleure trace qui soit !
Tout cela pourquoi : un balayeur à bac +5 et au smic, la charge héroïque du toujours plus et de la mendicité ? Finalement, nous sommes tous des Roms en devenir, des apatrides d'une Patrie qui ne nous aime plus, qui se la joue perso, côté flambeur et mondialiste. Comme si égoïsme – et toutes ses déclinaisons, de népotisme à passe-droit –, comme si égoïsme et patrie pouvaient aller de pair ! On pourrait même dire qu'à mesure où s'ouvre l'avenir (pensons à l'espérance de vie), le ciel n'a de cesse de s'obscurcir. Un paradoxe que d'aucuns exorcisent fiévreusement au comptoir des buralistes [5]. Comme si, pour eux aussi, il y avait quelque chose derrière la case grisée : avatar réducteur de têtes qui enverrait tout balader ; tout ça et les autres : Pôle Emploi, Lidl, la retraite, la génération Mitterrand, 2012... Avatar de manif'.
[1] Élections où l'ensemble des 435 sièges de la Chambre des représentants des États-Unis, où 33 ou 34 des 100 sièges du Sénat américain et plusieurs législatures ou gouverneurs d'états américains sont renouvelés. Ces élections interviennent à la moitié du mandat du président des États-Unis, d'où leur nom (Wikipédia)
[3] Un flyer de l'organisation The Birthers dit ceci : « Obama is NOT a Natural Born American Citizen. His Father was not a US Citizen nor an Immigrant. Barack Obama Jr. Is a natural-born British Subject ». Site « birthers.org ».
[4] Voir document de l'IFRI, Potomac Paper 2 : http://www.voltairenet.org/IMG/pdf/Mouvement_des_Tea_Parties.pdf
[5] Au bilan du 24 août dernier de la Française des Jeux : les jeux de grattage qui ont été plébiscités par les Français ; les mises de jeu étant en progression de 16,9%, s'établissant à près de 3,9 milliards d'euros.
http://www.larep.com/une-19386.html

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