lundi 6 septembre 2010

Molécule


Combien de fois ne nous a-t-on pas rabâché que nous faisions un geste essentiel en optant pour les médicaments génériques ? Combien de médecins ne se sont-ils pas fait remonter les bretelles parce que ne prescrivant de préférence les génériques ?



Soit, bon an mal an, nous nous y sommes tous soumis. Et quand bien même y aurait-il matière à débat quant à la valeur de ces substituts, on ne peut s'empêcher de s'interroger quand on voit certains praticiens exiger encore que le médicament princeps soit donné. Mais c'est une autre histoire que la véracité, les tests, voire la mise sur le marché de ces génériques.
Tenons-nous en plutôt à l'aspect financier des choses, à cette l'histoire de gros sous, au lobbyisme de l'industrie pharmaceutique.

Le rapport de 2008 [1]
Se fiant aux données de la Commission européenne, en 2007, chaque européen a dépensé pour 430 euros de médicaments. Le marché des médicaments a ainsi généré 138 milliards d'euros de fabrication et rapporté 214 milliards d'euros de vente. En moyenne 25% moins chers que les produits d'origine dès la première année, les génériques tombent à 40% moins chers au bout de deux ans. Ce qui permet à chaque système de santé européen d'économiser 20% dès la première année et 25% après deux ans.
Dès lors que le médicament d'origine a perdu son exclusivité (expiration du brevet principalement), le temps d'entrée du générique sur le marché est dans la plupart des cas d'environ sept mois, réduit à quatre mois pour les traitements prioritaires ou les plus vendus. Ce qui retarde d'autant les économies.
Expiration du brevet... autrement dit entrave à l'entrée des médicaments concurrents sur le marché. Ainsi, pour qu'un générique voit le jour, il lui faut :
. franchir l'écueil de la multiplicité des brevets, ce qu'on appelle les “grappes de brevets” couvrant l'ensemble du territoire de l'Union européenne (jusqu'à 1300 brevets déposés pour un seul médicament),
. s'affranchir des procédures de litiges et de contentieux (700 litiges recensés par la commissaire européenne chargée de la concurrence, Mme Neelie Kroes ; soit, trois ans de procédure en moyenne et 60% de chance de voir le jour pour les génériques)
. conclure une série d'accords visant à attribuer l'exclusivité d'un générique à telle entreprise de génériques plutôt qu'à telle autre, de manière à limiter l'exploitation (jusqu'à 200 accords conclus avec les entreprises innovantes détentrices du médicament princeps),
. passer le cap des autorisations de mise sur le marché relevant des autorités propres à chaque pays (les entreprises innovantes n'hésitant pas à s'ingérer dans les procédures nationales d'agrément de médicaments !).
Tout cela dans le but d'entraîner des coûts supplémentaires – le prix du générique augmentant à mesure des difficultés rencontrées et dissuadant d'autant sa mise sur le marché – et réduire les incitations à innover. Bref, une histoire de barrage qui aurait tout de même permis d'économiser quelque 3 milliards d'euros [2] si les génériques étaient arrivés plus tôt dans les pharmacies.

Aujourd'hui
Ce rapport préliminaire de l'enquête relative au secteur pharmaceutique date du 28 novembre 2008. Il faisait état de la création d'un brevet communautaire unique et de l'institution d'une autorité judiciaire européenne unifiée.
Qu'en est-il aujourd'hui ?
Dans un premier temps, une enquête sectorielle diligentée par Bruxelles [3] a rendu ses conclusions le huit juillet 2009, à savoir :
- baisse de l'entrée des génériques sur le marché (40 par an entre 1995 et 1999, 27 par an dans les années 2000)
- allongement de la période de protection du médicament princeps avant la mise sur le marché de son substitut générique (14 ans en 2009 contre 10 ans en 2000)
- inapplication du brevet communautaire [4] :
* actuellement seuls 10 États ont signé l'accord de Londres sur le Brevet de l'OEB, Office européen des brevets (dont la France, l'Allemagne, le Luxembourg, le Royaume-Uni)
* actuellement un brevet européen coûte jusqu'à 20.000€ dont 14.000€ pour les traductions, contre 1.850€ pour un brevet US
* dans un deuxième temps, les 26 et 27 mars 2010 le Conseil européen a approuvé les éléments en faveur de la création d'un brevet européen en anglais uniquement ou en trois langues (anglais, français, allemand pour l'ensemble des États membres) avec publication au Journal officiel de l'UE et coût moindrement ramené à 6.200€
* nouvelle réunion du Conseil européen à l'automne 2010 et nouvelles discussions sur le brevet unique
- difficile mise en œuvre des articles 82 et 83 sur les règles antitrust
- ressenti de la crise financière par les entreprises de biotechnologie innovantes qui reposent essentiellement sur des investissements à capital-risque.

On le voit la question des gros sous est loin d'être résolue, comme d'hab. En attendant, soumettez-vous de grâce ou de disgrâce à la parodie des génériques dont les industries pharmaceutiques innovantes font quant à elles le blocus... engrangeant au passage les milliards d'euros que les systèmes de santé auraient pu économiser.
Mais quand même, en ces temps infinis de crise où l'on nous demande instamment de nous serrer la ceinture, 3 milliards – et tous les autres –, ça la fout plutôt mal.

[1] http://europa.eu/rapid/pressReleasesAction.do?reference=IP/08/1829&format=HTML&aged=0&language=EN&guiLanguage=en
[2] Le rapport de la Commission européenne porte sur un échantillon de médicaments dont les brevets sont tombés dans le domaine public dans 17 États membres entre 200 et 2007
[3] Article 17 du règlement 1/2003 sur l'application des règles de concurrence du traité CE
[4] http://ec.europa.eu/internal_market/indprop/docs/patent/translation_arrangements/proposition_com_2010_350_fr.pdf

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