samedi 15 mai 2010

Caliméro


Par nos esprits seigneuriaux, nous réfutons tout ce qui n'est pas d'esprit totémique. Nous sommes des gens de castes, aptes à ne concevoir que ce que l'ordre auquel nous appartenons nous donne à entrevoir. Hors de cela point de salut, point d'infiltrés ou de mode, nulle indulgence à celui ou celle dont l'esprit fertile tenterait de s'immiscer outre.
« De quelle caste es-tu l'ami qu'il te faille déjouer de courtisanerie ? Quel est donc ce pâle tartan ? Passez, monsieur ! Vaquez à vos usages et vos styles ! À toutes épousailles la mariée ne saurait prétendre, et quand bien même, nos laquais donneraient-ils leçon à l'importun fieffé. »
Nous sommes tous des gens de castes étrangers les uns des autres. Nous sommes tous l'étranger de quelqu'un, pour ne citer que Marc Lévy. Nous sommes tous étranger de nous-mêmes. Et quant à chercher aux tréfonds de son âme, on trouve suffisant de n'y parvenir tant la chose nous effraie. C'est dire si l'étranger fait peur, si ce monde de barricades fomente de craintes, d'appréhension, de restriction ou d'abandon. La verte prairie n'est belle qu'à ne la savoir libre de tout serpent, la mer à n'en connaître les abîmes.
L'étranger est un abîme, ou l'engrenage qui peut nous y conduire. Les choses nous apparaissant ainsi, il n'est rien moins préférable que s'en tenir à l'addiction de sa seule personne, de son entourage, de son clan. On peut même vivre sa vie durant en marge, ne frapper qu'aux mêmes portes ou ne pas frapper du tout.

L'esprit frappeur
Frapper : c'est précisément cela qui frappe. Comme quelque chose que l'on assène, la violence de qui s'affranchit des murs, le sans-gêne de qui met les pieds dans le plat. Personne n'invite l'étranger, ou seulement dans les romans hugoliens, ou peut-être dans le concert débordant des Facebook et des rencontres approximatives. Personne n'invite l'étranger, mais s'il lui vient à l'esprit de s'inviter de lui-même, on parle immédiatement de lui comme d'un esprit frappeur, d'un rustre. A-t-il de la science ou du don, l'étranger a forcément mauvaise presse. On le verrait bien sortir de prison, on le verrait bien voleur et parasite.
Il est de nos métiers qui nous y conduisent plus que d'autres. Il est même des expériences dont on ne sort pas indemne. À tout bien penser, l'étranger, tous les étrangers dans le même panier. Parce qu'il est des groupuscules dévastateurs, des foyers sombres, des clans malfamés et que ce n'est pas à nous d'en démêler l'écheveau. Chacun sa merde.

La règle du tyrosémiophile
Comment voulez-vous qu'un ouvrier devienne patron, qu'un esseulé décroche la lune, que les premiers barreaux jouissent de la reversion des derniers ? Chacun son corpus et sa lanterne. Voilà pourquoi, par nos esprits seigneuriaux, nous réfutons tout ce qui n'est pas d'esprit et de rang ; voilà pourquoi bien des choses dont l'ostracisme s'arrange et nous arrange.
Qu'un tyrosémiophile devienne spécialiste en camembert, personne n'y trouve à dire. Mais qu'un numismate se prévale de connaissances ottomanes, on pensera seulement qu'il pète plus haut que son cul et qu'il est, ma foi, bien innocent. L'inverse est possible : un professeur de médecine peut tondre sa pelouse et monter un muret en béton armé. Cela ne choque personne, mieux, ce sera perçu comme le signe d'une grande ouverture d'esprit.
Après tout, nous faisons tous de la météorologie, de la politique, de la sélection, étranger y compris.

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